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2% de « maîtres restaurateurs » à Strasbourg, pourquoi la sauce ne prend pas

Une vingtaine de restaurants à Strasbourg et environs arborent une plaque de « maître restaurateur » à l’entrée sur les quelque… 750 établissements que compte l’agglomération. Ce titre d’Etat encore méconnu garantit a minima la présence d’un cuisinier derrière les fourneaux et la transformation sur place de la majorité des produits servis aux clients. Mais la démarche a ses limites.

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Jacques Eber, patron du restaurant Aux Plaisirs Gourmands à Schiltigheim, a été le premier maître restaurateur du Bas-Rhin en 2008 (Photo MM)

Le titre a été créé par le secrétaire d’Etat Hervé Novelli en 2007. Les premiers « maîtres restaurateurs » ont pu l’afficher en 2008. Depuis, un peu plus de 2 000 restaurateurs en France l’ont obtenu, une centaine en Alsace, 70 dans le Bas-Rhin (premier département de France en nombre de titres, voir la liste), 10 à Strasbourg. Parmi eux, des tables prestigieuses comme Le Crocodile ou Chez Yvonne, mais aussi des adresses plus populaires comme Kohler Rehm place Kléber ou l’Europ’Café place de l’Homme-de-Fer, des tables d’habitués comme Lucullus rue Jacques-Peirotes ou encore  touristiques comme le Tire-Bouchon, rue des Tailleurs-de-Pierre (proche de la cathédrale).

L’idée du gouvernement, en accord avec la profession, est de permettre aux clients d’identifier les restaurants où les entrées, plats et desserts sont préparés sur place, et pas seulement réchauffés ou disposés sur assiette. Par opposition aux établissements ou le professionnel ne fait plus qu’ouvrir des sachets et appuyer sur les boutons du four à micro-ondes… Parallèlement, l’objectif est d’assurer une meilleure visibilité aux restaurateurs qui font le choix de continuer à peler les légumes et faire un jus de viande. Les professionnels qui obtiennent le titre peuvent – accessoirement – obtenir un crédit d’impôts de 15 000€ sur 30 000€ d’investissements engagés.

34 points à satisfaire lors d’un audit

Pour décrocher le label, ces restaurateurs « volontaires », insiste-t-on à l’Association française des maîtres restaurateurs (AFMR) chargée par l’Etat de la promotion du titre, font une demande écrite à la préfecture, qui les adresse à l’un des quatre organismes mandatés en France pour réaliser un audit de l’entreprise. Dans le Bas-Rhin, c’est Certipaq, dont le siège est à Schiltigheim, qui réalise ces évaluations.

Après la visite d’un client-mystère, la société d’audit vérifie « à découvert » 34 points à satisfaire pour obtenir le titre, parmi lesquels « le travail avec des produits majoritairement frais » (à 51%, le reste pouvant être surgelé cru), le « renouvellement quotidien des suggestions », « la présence d’un personnel qualifié en salle », « l’absence de communication entre les sanitaires et la cuisine »…

Pour Marjolaine de Valmigère, patronne de Chez Yvonne, le titre est "un petit plus", mais pas encore un outil marketing (Photo MM)

Un label bancal

Seulement voilà, la proportion de maîtres restaurateurs reste très faible par rapport au nombre d’affaires qui pourraient y prétendre. Plusieurs raisons à cela, invoquées par Francis Attrazic, président de l’AFMR, comme par Jacques Eber, patron du restaurant Aux Plaisirs Gourmands à Schiltigheim, et promoteur du titre de maître restaurateur dans le Bas-Rhin :

  • D’abord, le titre n’est pas connu. L’Etat, qui avait promis un budget communication, n’a pas été assez généreux. Bercy aurait pas ailleurs interdit la cotisation obligatoire des maîtres restaurateurs à l’association. Elle est donc volontaire. Seuls 900 adhérents s’acquittent de 150€ annuels sur les 2 000 à 2 500 titrés de France.
  • Ensuite, les restaurateurs qui proposent des mets de qualité cuisinés minute ont souvent une clientèle fidèle qui leur fait confiance. Pas besoin pour eux de payer 500€ d’audit, de se soumettre à tout un tas de paperasse pour gagner quelques clients supplémentaires. Pour les établissements les plus prestigieux, de même, d’autres lettres de noblesse, comme les macarons Michelin, valent 1000 titres de maîtres restaurateurs.
  • Enfin, certains veulent garder les coudées franches et ne pas devoir s’interdire d’utiliser tel foie gras acheté chez un grossiste hors-critères, ou telle glace industrielle. A noter que pain, glace, charcuterie et salaisons ne sont pas interdits par le cahier des charges, pourvu qu’ils proviennent d’une société de moins de 250 employés.

Si ce titre balise un minimum le terrain pour le consommateur, il n’est pas satisfaisant pour ceux qui réclament du 100% fait-maison, ni pour certains professionnels qui exigent plus de transparence encore. Jacques Eber note par exemple :

« Je suis de ceux qui voudraient qu’il y ait plus de contrôles une fois le titre obtenu. On devient maître restaurateur pour 4 ans. Il faut ensuite redemander le titre et se soumettre à un nouvel audit. Mais pendant 4 ans, il est parfois nécessaire de procéder à des recadrages… »

Maître restaurateur, un pis-aller ?

Ce qui est rarement possible, reconnaît le professionnel à demi-mot. Malgré cela, alors que la profession rechigne à informer le consommateur plat par plat en indiquant les produits transformés sur place ou ceux provenant d’une chaîne agroalimentaire, comme cela se fait par exemple en Italie, les instances représentatives insistent sur la mise en avant de ce label, un peu à défaut d’autre chose, et surtout pour ne pas stigmatiser ceux qui font autrement. Eric Thiercelin, patron du restaurant Lucullus, remarque néanmoins :

« Parfois, certains clients nous disent qu’ils sont allés là ou là et que c’était excellent… Nous, nous savons ce que ces restaurateurs proposent, alors, pour nous qui passons 10 heures par jour en cuisine, ça fait rager ! Les gens sont habitués au goût industriel et ne font plus forcément la différence entre un plat mitonné en cuisine et un plat acheté tout fait par le restaurateur. Quand on constate tout ça, c’est rassurant pour nous d’avoir le titre de maître restaurateur… »

Quelques trucs glissés par les professionnels pour reconnaître un restaurant avec un cuisinier en cuisine d’un établissement où l’on joue du micro-ondes : repérer d’abord l’heure d’arrivée du cuisinier. S’il est 10h passées, c’est qu’il n’a pas de corvée d’épluchage au programme. Inspecter les livraisons : si c’est un seau à choucroute blanc que le restaurant réceptionne, c’est qu’elle est pré-cuite (pour la marque Paul Baur, distribuée largement en Alsace), si le sceau est vert, le chou est cru… La carte comprend bien sûr des indices précieux qui attestent de la transparence et du travail effectif du cuisinier : provenance des charcuteries et glaces indiquées, nombre de plats restreint (quatre environ), légumes et fruits de saison de préférence. Pour les plus courageux, il reste l’inspection des poubelles : si les cartons d’emballages étiquetés « fondants au chocolat » ou « souris d’agneau au thym » pullulent, vous voilà renseigné.

Aller plus loin

Sur Rue89 : Resto : savoir ce qu’il y a dans nos assiettes ? C’est mal parti

Sur France 5 : Restauration française, un pavé dans l’assiette (diffusé à 20h35, dimanche 28 octobre 2012)

Sur Le Consommateur d’Alsace : Restaurateurs ou réchauffeurs ? (Dossier du numéro 27)


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