Patrick Meyer est viticulteur à Nothalten, près de Sélestat. Dès qu’il a repris la vigne, il a changé les habitudes familiales en optant pour une viticulture biologique, puis biodynamique. Alors qu’aujourd’hui des salons, comme le salon Rue89 des vins, célèbrent les « vins naturels » issus de ces techniques qui refusent les ajouts chimiques et les engrais, Patrick Meyer pense avoir fait le bon choix. Il explique pourquoi.
Dans quelles conditions vous êtes vous lancé dans la biodynamie ?
« Je suis vigneron depuis 1981. Papa est décédé quand j’avais 5 ans, maman a fait le joint jusqu’à mes 19 ans, âge auquel j’ai repris le domaine. J’ai commencé tôt, ce qui est rarement le cas. En général, les enfants reprennent vers 35-40 ans, quand le père a 60 ans. Il y a souvent 20 ans de cohabitation difficile. C’est un réel frein pour des gens qui aspirent à faire autrement…
Je suis passé en bio au tournant des années 1980-1990, puis en biodynamie en 1998. En bio, c’était compliqué, on avait peu d’infos, sur ce qu’est un sol par exemple. Ça a beaucoup changé ces 15 dernières années, mais à l’époque, chacun se débrouillait dans son coin. Je n’avais aucun de contacts avec les autres viticulteurs alsaciens.
« Mettre de côté l’ésotérisme »
La biodynamie, c’est ce qui paraissait le plus évident par rapport aux questionnements qu’on avait, aux difficultés auxquelles on était confronté en bio. C’est une rencontre avec Pierre Masson qui nous a convaincu de nous lancer. Pour expliquer ce qu’est la biodynamie, il faut mettre de côté l’aspect ésotérique, qui n’est pas le bon angle d’approche, et montrer que c’est vraiment du bon sens paysan. C’est la méthode agronomique la moins coûteuse au monde ! Avec peu de travail et d’énergie, des coûts très réduits, on a vraiment des évolutions positives et aucun risque de se tromper.
Avant 1998, nous étions déjà en bio, donc la réponse de nos sols et de nos plantes à la biodynamie a été rapide. Mais avec des bonnes pratiques, même 2 ans après avoir abandonné la culture conventionnelle (avec désherbage chimique, pesticides, intrants en cave, etc, ndlr), on a une résonance au niveau du vin. Tout ceux qui sont passés en biodynamie, quelles que soient les raisons, n’ont jamais fait marche-arrière. »
Quelle évolution des mentalités avez-vous pu constater en 30 ans ?
« Au début, comme tout ceux qui sont en avance, nous étions décriés. Dans les années 1980-90, on nous traitait de fous, on nous disait qu’on allait tuer notre exploitation ! Aujourd’hui, 15% du vignoble alsacien est en bio, ce qui adoucit les pratiques des 85% autres. Depuis quelques années, la grande majorité des vignerons vont vers un travail le plus propre possible. C’est de ça qu’il faut se réjouir.
Tout le monde s’est rendu compte qu’il y avait des limites à la chimie. Même en utilisant plein de produits de synthèse, on peut avoir des vignes malades, il n’y a pas de garantie. Et puis, les coûts des produits en chimie sont exorbitants, parce que directement liés à la pétrochimie. Une tonne d’engrais, c’est deux tonnes de pétrole. C’est vite vu, même si la méthode conventionnelle est moins coûteuse en main d’œuvre, avec un couple qui peut facilement cultiver 10 à 12 hectares de vignes. Nous, nous sommes quatre personnes et demi sur 8 hectares. Nous avons fait le choix d’un travail manuel. Sur la même surface, on pourrait être à trois en bio, avec de la mécanisation. Ce sont des choix, pas des repères à généraliser.
Des institutions à l’écoute, contrairement à d’autres régions
Ce qui a aussi beaucoup joué ces dernières années, c’est l’image, évidemment. Aujourd’hui, plus personne ne se vante de désherber à 100% par exemple. Et puis, des gens comme nous ont montré que c’était possible de faire différemment sans perdre des récoltes. Les locomotives alsaciennes, comme Zind-Humbrecht, Ostertag ou Deiss sont elles aussi passées en biodynamie. Dans les syndicats, comme le CIVA (Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace), la plupart des représentants professionnels sont issus de ces grands domaines. Donc l’image est très bonne, contrairement à ce qui se passe par exemple à la FNSEA… Aujourd’hui, nous ne sommes plus des « fous », mais des « précurseurs ». »
Certains vignerons « naturels » perdent leur appellation. Ce phénomène existe-t-il en Alsace ?
« En Alsace, on a la chance d’avoir une belle ouverture dans nos institutions. Le rôle de l’AVA (Association des viticulteurs d’Alsace), dont les techniciens se déplacent chez les vignerons, a beaucoup changé. Avant, quand un vin dégusté à l’aveugle était un peu différent par rapport à une typicité, issue d’un processus utilisé par une majorité, qui varie selon les époques et change en fonction de la technologie tous les 10, 15 ou 20 ans, on pouvait avoir une sanction, avec une hiérarchie dans les appréciations.
Aujourd’hui, l’AVA est plutôt dans un rôle de conseil, ne cherche plus à créer une uniformité dans les vins mais à comprendre une démarche. En fonction des régions, les organismes sont plus ou moins compréhensifs, alors en Alsace, on est plutôt bien lotis.
Aujourd’hui, tous nos vins ont l’appellation « Alsace ». Il existe encore deux autres appellations, « crémant d’Alsace » pour les effervescents et « grands crus d’Alsace » auxquelles on n’a pas accès, mais une réforme est en cours avec la création d’une quatrième appellation. »
S’il ne s’agit pas d’une sanction, pourquoi ne pas utiliser le nom du cépage sur l’étiquette, comme cela se fait pour tous les vins d’Alsace ?
« Chaque vigneron a ses motivations propres [pour sortir des sentiers battus en matière d’étiquette]. Pour certaines cuvées, nous avons décidé chez nous de donner un nom (« Nature », « Mer et coquillages »…) et pas seulement un cépage, pour la bonne et simple raison que les vins n’ont plus la caractéristique du cépage, mais celle de leur lieu de naissance.
En Alsace, on a encore l’habitude d’avoir le nom du cépage sur l’étiquette, comme ça se fait en Allemagne, en Autriche ou en Suisse. Mais c’est propre aux régions septentrionales ou de l’est. En Italie, en Espagne ou dans le sud de la France, le vin de cépage est réservé à la grande consommation, les grands crus portent le nom d’un lieu-dit. Et puis, il y a des cépages qui sont plus aptes à ça : le sylvaner et le riesling s’effacent assez rapidement au profit du minéral, alors qu’avec le gewurztraminer ou le muscat, le fruit domine toujours d’une manière ou d’une autre. »
Est-il rentable de produire du vin naturel ou biodynamique ?
« Ici, nous avons connu une période très sombre entre 1992 et 2002-2003. Notre travail était totalement incompris et marginal, inconnu donc difficile à vendre. Et puis, il y a eu une explosion vers 2003-2004. On a vu apparaître des bars à vins « nature », des cavistes « nature ». Depuis, le développement est exponentiel. Aujourd’hui, nous avons amorti nos investissements, nous vendons toute notre production et sommes beaucoup plus confortables.
Une génération de jeunes vignerons prend la relève
Mais la très bonne chose, c’est surtout que toute une génération de jeunes vignerons est suffisamment rassurée pour se lâcher et travailler son vin sans intrants, revenir à une diversité de goût et à une grande liberté. Ils avaient ça en eux, mais n’osaient pas et c’est légitime. Ces dix dernières années, on assiste donc à un développement de la demande et donc de l’offre. Au moins 15 à 20 vignerons font désormais de la biodynamie en Alsace pour 4 000 à 5 000 hectolitres par an. C’est toujours peu, sur un million d’hectolitres produit chaque année, mais avant, on n’était que quatre, Jean-Pierre Frick, Bruno Schueller (Husseren), Christian Binner et nous. »
Avec le succès de la filière, allez-vous vous agrandir ?
« On restera sur 8 hectares, c’est comme ça que je suis à l’aise, que je peux préserver toute ma liberté. Quand on n’a plus de bouteilles à vendre, on doit séduire plus et on est tenté de faire des concessions. On vend aux États-Unis, à Hong Kong, au Japon, dans pratiquement tous les pays d’Europe. Un peu partout, mais peu. Et on essaie d’être dans les prix les plus justes [entre 8 et 16€ la bouteille].
On reçoit aussi énormément de monde en apprentissage, en formation. On a des collègues vignerons qui viennent de France, d’Allemagne, d’Autriche et cherchent à comprendre notre façon de travailler, sur un plan agrobiologique plutôt que sur le plan de la vinification. C’est l’agrobiologie du sol qui crée de la santé, l’immunité et la résistance de la plante. Sinon le fruit et le vin demandent à être assistés pour tenir dans le temps. Il faut revenir à la base et c’est là que les choses ont beaucoup changé. Dans les années 1990, même en bio, on parlait de travail à la cave, alors que depuis les années 2000, on parle du travail dans les vignes, même dans les revues techniques conventionnelles ! »
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : bienvenue chez mon caviste
Sur Rue89 : le blog No wine is innocent
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