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« Trop cher et insalubre » : Dans le Bas-Rhin, les classes modestes contraintes au mal-logement

Des taudis, à des prix exorbitants. Dans le Bas-Rhin, la crise du logement impacte particulièrement le parc locatif privé. Les associations de locataires alertent et appellent les pouvoirs publics à réagir.

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« Trop cher et insalubre » : Dans le Bas-Rhin, les classes modestes contraintes au mal-logement
Brigitte Breuil, présidente de la Confédération nationale du logement (CNL), lors d’une réunion publique avec les candidats aux législatives en juin 2024.

« 500 euros pour une cabane de jardin, à Ostwald, vous trouvez ça normal ? » Brigitte Breuil, présidente de la Confédération nationale du logement (CNL) du Bas-Rhin s’offusque : « Les gens ne peuvent plus payer leur loyer et se retrouvent à louer ce que les propriétaires veulent bien leur proposer. » Entre l’augmentation continue des loyers et des charges, un accès à la propriété quasi impossible pour les classes moyennes et un effondrement du nombre de constructions neuves, la crise du logement impacte fortement le parc locatif privé, y compris en Alsace.

C’est le constat du dernier rapport de l’Observatoire des loyers du Bas-Rhin, publié en juin par l’Agence d’urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur (Adeus). Il fait écho aux alertes des associations locales qui militent pour le droit au logement.

Augmentation des signalements pour mal logement

À Strasbourg, comme dans la majorité des grandes villes, les loyers sont en hausse de 4% entre 2023 et 2024. Cette évolution, couplée à celle de l’énergie, « peut amener les ménages dans des situations de grande précarité », écrit l’Adeus.

En 2021, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estimait que dans le département, un ménage sur quatre consacrait une part importante de ses revenus aux dépenses énergétiques contraintes, ce qui les rendait particulièrement vulnérables à la hausse des prix. « Le logement privé a été particulièrement touché par la hausse des charges car il est de moins bonne qualité, moins bien isolé que le social », complète Colin Riegger, secrétaire général de la Confédération syndicale des familles (CSF) du Bas-Rhin.

La CNL et la CSF font toutes deux partie du Plan départemental de lutte contre l’habitat indigne du Bas-Rhin (PDLHI), lancé par l’État. Sur la plateforme Histologe, créée en janvier 2024, elles récoltent les signalements de logements non-décents, faits par des particuliers et des associations. « Dans le bas-Rhin, nous avons traité 850 signalements entre 2019 et 2023 », explique Grégoire Ballast, chargé de mission habitat à la CSF. Depuis janvier 2024 et la mise en place de la plate-forme, ces derniers sont passés à « cinq, six, voire sept par jour », estime Brigitte Breuil, de la CNL.

Difficile pour autant de chiffrer précisément le nombre de logements indignes dans le Bas-Rhin, car « les gens ne savent pas toujours vers qui se tourner », poursuit la présidente :

« D’autres ont peur de les signaler, surtout dans le privé, car les gens sont très précaires, voire sont présents illégalement. Les proprios le savent et en profitent, ils menacent les locataires. »

Les ménages, déjà paupérisés, restent ainsi dans des logements qui peuvent les exposer à des risques de maladies, dues à la moisissure ou à l’humidité, selon des études menées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Santé publique France. « Sans compter les risques d’isolement social ou professionnel », ajoute Colin Riegger.

« Les gens se retrouvent à payer des loyers plus élevés que dans le parc social, 12€ le mètre carré contre 5€, alors que leur qualité est inférieure », déplore Grégoire Ballast, de la CSF. Le nombre de demandes de logements sociaux a augmenté de près de 20% depuis 2022 en Alsace, selon les chiffres de l’Association territoriale des organismes HLM (Aréal). « Le logement social est submergé, on n’en construit pas assez », explique Colin Riegger.

Les « mesurettes » des macronistes

Selon les associations, les politiques publiques ne sont pas à la hauteur de la situation. Pire, elles auraient même leur part de responsabilité dans cette dégradation du parc privé locatif.

Dans un plan logement présenté en juin 2023, l’exécutif avait ainsi prévu de construire plus de logements locatifs intermédiaires (LLI) – des loyers 10 à 20% inférieurs au prix du marché, complémentaires à l’offre de logement social. Mais pour l’Adeus, ce qui semblait une bonne idée a plutôt mis en concurrence « les ménages moyens-modestes avec une grande partie des ménages moyens ». Pour Colin Riegger, de la CSF, même ces loyers restent inaccessibles : « Ça peut être 11€ le mètre carré, ça se rapproche de la norme du logement privé classique. »

Avant la dissolution de l’Assemblée nationale, le gouvernement entendait intégrer ce type d’habitat aux quotas obligatoires de 20 à 25% de logements sociaux dans les communes. « C’est une façon détournée pour elles de tricher pour les logements sociaux. Ceux qui ont trop peu de moyens ne pourront jamais y habiter. Donc la crise reste », estime Brigitte Breuil.

Le plan logement de juin 2023 prévoit également la fin du dispositif Pinel en décembre 2024 – en échange de loyers encadrés, les propriétaires bénéficiaient d’une baisse d’impôt à l’achat de leur bien. « Les propriétaires vont moins investir, il y aura des logements en moins sur le marché », estime Brigitte Breuil. La présidente de la CNL reste critique vis-à-vis de ce dispositif, « car tout est fait, encore une fois, pour faciliter la vie des propriétaires », comme son collègue de la CSF, Colin Riegger :

« Le dispositif Pinel est une illustration du saupoudrage d’Emmanuel Macron face à la crise du logement. On fait des mesurettes, qui coûtent un pognon de dingue, mais qui ont des effets très faibles. La crise du logement s’est aggravée, l’accès au logement est encore plus compliqué qu’avant et les plus précaires n’ont pas été soutenus. »

En finir avec la propriété privée

Pour vaincre la crise du logement, la CNL et la CSF sont unanimes. « On veut densifier le logement social, qu’il puisse loger plus de monde », explique Colin Riegger :

« Il faut quitter le parcours résidentiel classique qui fait de nous des petits propriétaires. L’accès à la propriété est une lubie d’économiste de droite. Toutes les politiques libérales centrées sur l’initiative privée n’ont pas réussi à éradiquer le mal logement. »

Les collectifs appellent l’État à financer la rénovation énergétique des bâtiments, en soutenant davantage les propriétaires aux ressources limitées. Ce n’est pas cette tendance qui est pourtant à l’œuvre aujourd’hui : « Le dispositif gouvernemental « Ma prime rénov », qui aide les propriétaires à payer leurs travaux d’entretien thermique, a financé 11 % de dossiers de moins en 2023 qu’en 2022″, expose Grégoire Ballast, de la CSF.

Ils appellent également à plus de contrôle des logements privés. Car aujourd’hui, si des critères permettent de caractériser un logement « décent », le contrôle n’est pas systématique et ces critères n’exercent pas de contrainte sur les propriétaires. Avec le PDLHI, les collectifs veulent ainsi déployer dans l’Eurométropole des permis de louer, qui offrent la possibilité d’instaurer des contrôles de qualité des nouvelles mises en location de logements dans le parc privé. « Grâce à nos actions, il y aura bientôt, si tout va bien, un permis de louer dans le quartier gare et à Koenigshoffen », se réjouit Brigitte Breuil.


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