Jardins partagés, jardins familiaux, potagers urbains collectifs… On s’y perd un peu entre ces formes récentes de jardinage en ville. Le réseau national des jardins partagés définit ceux-ci comme des jardins “conçus, construits et cultivés collectivement par les habitants d’un quartier ou d’un village”. On en compte une quinzaine à Strasbourg. Ils obéissent à une charte nationale, qui interdit entre autres l’utilisation de pesticides, et recommande de favoriser la mixité sociale, culturelle et générationnelle. Ils doivent aussi être des lieux d’animation, contrairement aux potagers urbains collectifs.
Tous n’ont pas fait le choix du collectif, certains préfèrent les parcelles individuelles. C’est le cas du jardin de la maille Jacqueline à Hautepierre, accompagné par l’association de développement durable ECO-Conseil depuis 2008. Serge Hygen, chef de projet pour ECO-Conseil, assure que c’est une décision prise par les habitants :
« C’est parfois plus simple pour les gens de savoir qu’un espace leur est réservé dans un jardin collectif, notamment lorsque ce sont des personnes qui arrivent sur un projet déjà engagé, ou des jardiniers débutants. »
Parcelles individuelles ou collectives, à chaque jardin sa formule. Il existe même une formule mixte au Lombric Hardi à Neudorf. Selon les quartiers, les âges, les classes sociales ou le mode de fonctionnement, les résultats sont contrastés après plusieurs années d’exploitation. Mais dans les parcelles individuelles, plus difficile de trouver des interlocuteurs en plein mois d’août.
À Schiltigheim, les difficultés du jardinage collectif
À Schiltigheim, entre le parc des oiseaux et le cimetière ouest, le jardin de l’association “Côté rue, côté voisins” a fait le choix de la mise en commun des cultures. Ce terrain de 2 000 m² est loué symboliquement par la mairie à l’association. Pour en faire partie, il faut payer une cotisation de 20 euros par an : c’est beaucoup moins que les 170 euros demandés pour les jardins familiaux de la Ville, plus petits et pour lesquels la liste d’attente est de 7 ans. Pourtant, les habitants ne se bousculent pas aux portes du jardin partagé, explique Laurence Carpentier, présidente de l’association :
« Il y a beaucoup de monde pendant les portes ouvertes, une fois par an, mais les gens ont parfois du mal avec l’idée de tout partager. Dans un quartier résidentiel comme celui-là, les gens préfèrent souvent avoir leur propre jardin. C’est peut-être un peu différent à Strasbourg, dans des quartiers plus ouverts sur l’écologie. »
La permaculture, pomme de discorde
Le terrain compte une vingtaine de jardiniers occasionnels, qui viennent pour des travaux d’entretien, et cinq réguliers. Malgré une bonne entente, il y a parfois quelques désaccords entre les membres. Laurence aimerait davantage développer la permaculture, technique de jardinage qui consiste notamment à mélanger plusieurs espèces végétales, mais certains préfèrent des méthodes plus traditionnelles. Il peut être difficile de mobiliser les gens, remarque t-elle :
« Il m’arrive de passer huit heures d’affilée au jardin, l’entretien demande beaucoup de travail et tout les membres ne s’en rendent pas compte. Certains plantent deux pieds de tomates et ont l’impression d’en avoir fait beaucoup. »
Laurence regrette parfois l’ambiance plus conviviale des débuts. Sur une dizaine de fondateurs, ils ne sont plus que deux couples aujourd’hui. Elle réfléchit avec les autres membres à mettre en place des parcelles individuelles pour les nouveaux adhérents. « On aurait beaucoup plus de monde », assure t-elle.
Un « retour à la terre » mis en avant par le jardin Fridolin
Dans le quartier Koenigshoffen, le jardin Fridolin existe depuis quatre ans. Julien et Audrey en sont les membres fondateurs : loin d’être des experts en jardinage, ils ont appris sur le tas. Adeptes de la permaculture et de la récupération de graines ou de matériaux, ils apprécient le côté convivial et le retour à la terre. Pour Audrey, ce jardin leur a permis de faire partie intégrante du quartier :
« On se sent habiter ici depuis qu’on a le jardin, on est beaucoup plus en lien avec la vie du quartier. C’était dur au début car on n’était que deux pour tout gérer, mais aujourd’hui c’est un espace de rencontres, ça dynamise le lieu. On ne vient pas que pour le jardinage. »
Sur près de dix membres actifs, la plupart ont entre 35 et 40 ans, et certains viennent accompagnés de leurs enfants. Les récoltes sont réparties entre tous les adhérents, le jardin est entièrement partagé. Une organisation qui fonctionne bien aujourd’hui, même si ça a pris du temps, explique Audrey.
« Les effectifs ont beaucoup tourné avant d’avoir une équipe stable. Au début, certaines personnes nous disaient que ça ne marcherait pas, mais on est content d’avoir persévéré pour en arriver là aujourd’hui. On a créé de vrais liens d’amitié entre nous. »
Si cette formule leur convient, c’est aussi parce que tous ont les mêmes fondamentaux : « le respect humain, l’écologie, le travail coopératif », détaille Julien. Certains aimeraient même se lancer dans un projet d’habitat collectif, en achetant un terrain entre ville et campagne pour y développer une forme d’autonomie alimentaire.
Quartier gare, un jardin associatif qui peine à se maintenir
Le jardin partagé du quartier gare est né d’un collectif d’étudiants en architecture en 2011. À côté des ateliers d’artistes de la Semencerie, parallèlement au boulevard de Lyon, l’espace décoré de tags était d’abord un lieu d’expression artistique avant d’être un jardin indépendant. Les parcelles sont également collectives. Sa dimension associative est encore forte aujourd’hui. Quitte parfois à délaisser le jardinage, regrette Grégory, trésorier de l’association :
« On organise régulièrement des événements, des barbecues qui ramènent du monde. On a aussi une page Facebook, beaucoup de gens nous soutiennent mais quand il s’agit de venir arroser ou de jardiner, c’est plus compliqué. »
Le jardin est surtout composé de jeunes actifs : la majorité a moins de 30 ans. Entre les déménagements, les mémoires de fin d’études, les personnes absentes le week-end ou en été, il est difficile de maintenir le jardin en état. « Il n’y a pas eu d’arrosage depuis deux semaines », remarque Grégory, un peu découragé. Il reconnaît lui-même que n’étant pas du quartier, il se sent moins impliqué.
Autre souci du jardin, le vandalisme. Ce jour-là, la cabane à outils est criblée de tessons de bouteilles et de détritus. Grégory ne remet pas en cause l’ouverture du jardin au public, mais déplore cet état de fait :
« Ça ne donne pas une très bonne image du jardin, et le temps qu’on passe à nettoyer ou à réparer, on ne le met pas ailleurs. On n’a aucun problème à ce que des gens extérieurs viennent au jardin, du moment qu’ils nettoient et qu’il n’y a pas de dégradations. »
Un vrai jardin de quartier place Sainte-Madeleine
Place Sainte-Madeleine, l’Ahbak (Association des habitants Bourse-Austerliz-Kruteneau) gère le jardin partagé . Une petite parcelle collective de 285m², à côté du square public, tenue par un noyau dur de 5 à 6 personnes. Un vrai jardin de quartier, estime Christiane Joetz, présidente de l’association :
« Le jardin permet d’engager des activités avec les enfants de l’école qui se trouve à proximité, en leur proposant de construire un hôtel à insectes par exemple, ou avec le centre socio-culturel dans le cadre d’ateliers biodiversité. Beaucoup de gens du quartier sont aussi présents pour déposer le compost, le samedi. »
Les heures de permanence permettent aux habitants d’échanger entre eux. Grégoire Klotz, militant écologiste, vient uniquement pour “la dimension conviviale”. Il jardine assez peu, mais vient aider pour les travaux de compostage. Un apéro est également organisé une fois par mois, pour faire découvrir les légumes du jardin. Christiane Joetz regrette un peu qu’il n’y ait pas plus de jeunes, car l’emploi du temps ne le permet pas toujours.
Dans la charte des jardins partagés, l’un des objectifs est de favoriser la mixité sociale mais dans les faits ce n’est pas aussi simple, explique Serge Hygen d’ECO-Conseil :
« Les jardins partagés sont le reflet des quartiers dans lesquels ils s’inscrivent. En terme de classes sociales et d’âge, les quartiers ne sont pas mixtes, il est donc difficile d’obtenir une vraie mixité dans les jardins. »
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