On peut passer tous les jours à côté sans savoir ce qui se trame à l’intérieur de ce bloc en tôle et en bois. Pas d’entrée sur la rue et à peine quelques mots sur la devanture. À côté de l’arrêt Dante, dans le quartier de Hautepierre à Strasbourg, des petites entreprises grandissent – et parfois meurent – depuis 4 ans. Au rez-de chaussé, 10 ateliers, à l’étage 19 bureaux. En haut, un jeune homme traverse le couloir en trottinette, « les toilettes sont à l’autre bout du couloir ! ».
Quatre ans après son inauguration, la pépinière d’Hautepierre affiche un taux de remplissage de 80 à 85%. Patrick G’Styr, consultant à Inno TSD et directeur de l’espace (avec ceux du Ph8 pour les technologies médicales et de l’Hôtel des forges au port autonome), explique que l’objectif n’est pas d’être plein :
« Il nous arrive de refuser des entreprises pour maintenir un peu d’espace libre. Comme ça, lorsqu’une entreprise grandit et qu’elle a besoin de plus grands locaux, elle peut rester ici. »
On trouve tout type d’activités à la pépinière. Un verrier, de l’informatique, des applications pour enfants, de la formation en gériatrie, de la recherche pharmaceutique, de l’e-commerce de textile oriental, etc. Désormais, 60 à 70% ont un rapport avec le numérique. « Au début on avait plus d’artisans, mais la concurrence est de plus en plus dure », commente Patrick G’Styr.
Depuis l’ouverture, 82% des entreprises ont survécu à leur passage à la pépinière. Pour les autres, près d’une sur cinq tout de même, l’aventure s’est arrêtée pour cause de difficultés économiques ou de mésentente entre les actionnaires.
Le prix, première raison de l’implantation
Le directeur, aidé par une assistante, propose un accompagnement fiscal, juridique, pour les embauches ou à la recherche d’investisseurs. Les tarifs sont, eux, environ 40% moins cher que dans le parc des locaux professionnels : à partir 194€ par mois pour un bureau de 13 m² et jusqu’à 619€ pour un atelier de 76 m². La pépinière n’atteint pas l’équilibre économique, la différence est à la charge de l’Eurométropole. La durée maximale du séjour, sans engagement, est de 23 mois. Les entrepreneurs ont souvent entendu parler de ce lieu peu connu par le bouche à oreilles.
Pour Sébastien Hamm, qui avec son entreprise Awaken développe des boîtiers connectés en voiture notamment pour alerter les secours, c’est le prix qui a pesé dans la décision :
« On a hésité avec d’autres endroits mais les tarifs étaient plus intéressants ici. La vue n’est peut-être pas super, mais il n’y a jamais eu de soucis. C’est plus les visiteurs qu’il faut rassurer. »
Du moins pour les bureaux. Pour les ateliers, le prix est un peu moins compétitif, mais une surface équivalent est difficile à trouver explique Victor Krummenacker, 28 ans et arrivé en septembre 2015. Il crée des bandes réfléchissantes esthétiques pour les motards avec son entreprise VFluo :
« Trouver un atelier de 76 m² est difficile à Strasbourg. Au mètre carré, il était possible de trouver moins cher, mais c’étaient des surfaces de 300 m² vers la Meinau ou Fegersheim. J’ai commencé dans une chambre de 11 m² et ici je suis vraiment dans de bonnes conditions de travail. J’ai encore un peu d’espace si mon activité doit grandir à la pépinière. Et puis disposer d’un service de levée de courrier me fait aussi gagner 30 minutes par jour. »
N’avoir qu’un mois de caution, pas de garant et un préavis de deux mois seulement (contre 3 ans dans le privé) a aussi joué dans la décision de Rémy Perla, 33 ans, d’enfin quitter son salon familial pour s’installer – certes un peu serré – avec 5 autres personnes voire plus dans un bureau de 22 m². Il développe « Rêve aux lettres« , une start-up qui propose à des enfants de 5 à 12 ans des histoires qui arrivent par lettre et dont la suite de l’histoire est personnalisée – par un logiciel ou des écrivains – selon la réponse.
« La localisation n’est pas importante »
En haut dans les bureaux, le contact est un peu plus régulier que dans les ateliers, aux portes souvent fermées. C’est aussi l’ambiance de travail qu’est venu chercher Jérémie Bouchet, 32 ans, et ses deux associés, qui avec Blackbird proposent la solution de site de vente en ligne :
« Être accepté ici n’est pas la chose la plus difficile au lancement de l’entreprise. La pépinière est bienveillante. L’aspect financier a joué, mais aussi d’être entouré de personnes qui ont la même aspiration, de lancer une boîte, sans être concurrent. Nous, on a été longtemps basés au Neuhof, donc les personnes qui font des roues levées en scooter, ça nous amuse. Pour notre activité, la localisation n’est pas importante. Les bureaux fermés sont plus adaptés pour des sociétés d’une certaine taille que les open-space des espaces de co-working, mais pour autant partager certains biens comme une photocopieuse, ce sont des coûts en moins. »
C’est notamment lors des pauses midi que les contacts se nouent. La table de la salle de réunion se transforme parfois en table de ping-pong. Les informaticiens d’Awaken ont par exemple tissé des liens avec Matthieu Gru, 28 ans, revenu d’une expérience de salarié en marketing en Afrique du Sud pour fonder Sprintbok, qui produit des tapis de courses mécaniques, souples et qui s’adaptent à la vitesse de course. L’idée serait d’enregistrer les performances sur le tapis :
« Comme les applications de courses sont basées sur le GPS, aucune ne fonctionne avec un tapis. L’idée est de développer un compteur relié via bluetooth au téléphone. À la pépinière, les contacts se font surtout si on est au même niveau de développement de l’entreprise. Sinon chacun est très concentré sur son projet. »
La pépinière compte même quelques réussite primées. Laura Fort, 29 ans, créatrice avec Damien Dessagne de studio Pix Mix a décroché les prix Entrepreuneure Excellencia et Femme de l’Économie Grand Est grâce à ses applications éducatives pour enfants. Issue du monde du spectacle, elle travaille sur ce projet depuis 2009 sur son temps libre, avant de s’installer à la pépinière dans ses premiers locaux en juin 2014.
Un « sauna » en été
Plusieurs point de vue se croisent sur l’emplacement. Certains apprécient la proximité du centre commercial d’Auchan, l’accessibilité par l’autoroute avec un parking réservé et le tram à 10 minutes du centre-ville. D’autres pointent qu’il n’y a pas grand chose à faire ou d’endroits pour manger autour et que les clients se perdent dans les mailles d’Hautepierre.
Le bâtiment, construit en 2011 et financé par l’Eurométropole, l’Union européenne, l’agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), la Région Alsace et le Bas-Rhin pour 3,95 millions d’euros est aux normes BBC (bâtiment basse consommation). Mais ce n’est pourtant pas le pas le bureau idéal. Les stores s’activent quand il y a de la lumière, on ne peut pas les régler manuellement. L’intérieur en bois n’est pas parfaitement isolé et « l’été, c’est un sauna », glisse Laura Fort. Jusqu’à 38°C en 2015 !
Mais de l’autre côté du couloir, Rémy Perla a trouvé deux solutions :
« À une époque, on faisait les réunions de travail en caleçon. Du coup, certains installent une climatisation et donc le bâtiment consomme beaucoup. Je descendais aussi plusieurs fois par jour dans les ateliers où ils ont des douches. »
Une faible ouverture sur le quartier
Le soir, les entrepreneurs repartent chez eux, c’est à dire dans les différents quartiers de Strasbourg ou dans la campagne bas-rhinoise. À la pépinière, on reçoit certes quelques clients, mais pas de public régulier. Résultat, l’établissement fonctionne en vase clos. Même le dispositif d’exonération de charges patronales, permis par les Zones franches urbaines (ZFU), c’est-à-dire les quartiers sensibles comme Hautepierre, n’est guère utile explique Laura Fort :
« Les baisses de charges ne s’appliquent que si on embauche des personnes issues du quartier. C’est davantage un dispositif pour les commerces implantés qui reçoivent du public. »
Seuls deux entrepreneurs sont originaires du quartier, dont Damin Dessagne de studio Pix Mix. Sur les quatre générations d’entreprises passées par la pépinière le total est de 8. Il y a bien eu l’une ou l’autre présentation au collège Erasme, mais sans plus d’après son proviseur.
Une limite que reconnait le directeur Patrick G’Styr :
« Les jeunes de Hautepierre qui se lancent sont plutôt des auto-entrepreneurs avec des revenus de 10 à 15 000 euros par an au début, avec très peu de charges. Dans ces conditions, ajouter 2 000€ de loyer annuel est une dépense importante. »
Un constat similaire à ceux d’autres espaces de travail en zone franche urbaine.
Aller plus loin
Sur pepiniere-strasbourg.fr : le site de la pépinière d’entreprises de Hautepierre
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