Ce lundi 21 août, le Tribunal administratif de Strasbourg a rendu une décision marquant un tournant dans la situation rue du Rempart. Il a condamné l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui doit proposer un hébergement sous 48 heures à une famille de quatre demandeurs d’asile qui logeait jusqu’alors sous une tente. On peut dès lors supposer que des décisions similaires seront rendues pour d’autres familles « des Remparts » auxquelles aucun logement n’avait été proposé et qui ont saisi la Justice.
Trois jours plus tôt, dans la matinée, la salle d’audience accueille quelques avocats, militants et journalistes prêts à entendre la plaidoirie de Me Sophie Schweitzer. La famille de demandeurs d’asile qu’elle défend et pour laquelle elle a déposé un référé liberté n’est pas là : il leur était difficile de venir sans ticket de transports en commun et avec leur enfant en situation de handicap. L’OFII, en positon d’accusée, n’est pas non plus présente.
Me Schweitzer déroule ses arguments :
« Cette famille est entrée sur le territoire le 13 juillet 2017 et enregistrée comme demandeuse d’asile depuis le 2 août 2017. Aucune solution d’hébergement ne leur a été proposée, alors ils dorment dans des tentes sur le site des Remparts. C’est une situation d’urgence car les conditions sanitaires sont intolérables. (…) Aucun dispositif n’est prévu pour les personnes handicapées, or la petite fille est épileptique et en fauteuil roulant. (…) Il y a urgence, la situation est critique et ces personnes vulnérables. »
L’avocate ajoute que ses client n’ont plus de revenus car L’OFII n’aurait plus les moyens de verser l’Allocation pour demandeur d’asile (ADA, estimée à 17 euro par jour pour l’ensemble de la famille) jusqu’au mois de septembre. Cela surprend l’assemblée, notamment la juge. Contactée par Rue89 Strasbourg sur ce point, la directrice territoriale par intérim de l’OFII Strasbourg n’a pas souhaité donner suite à notre demande.
Une centaine de personnes dont des enfants dans des conditions insalubres
La situation de cette famille n’est pas isolée à Strasbourg. Depuis le mois de mai 2017, la rue du Rempart accueille plusieurs familles étrangères. Sur place, nous compté environ 70 tentes déployées à la mi-août. Mais on ne sait pas combien de personnes dorment à l’intérieur de ces abris. Des militants estiment que le camp accueille à l’heure actuelle une centaine de personnes, presque toutes originaires des Balkans et d’Europe de l’Est.
Ce camp de fortune et d’infortune est à un kilomètre du centre-ville de Strasbourg, mais en est en même temps totalement séparé par les voies de chemin de fer. Situé derrière la gare, côté nord, il se trouve le long de la route, isolé entre une colline qui recouvre les anciennes fortifications et les grillages à barbelés de la gare.
Sur ces grillages sèchent des dizaines de vêtements qui trahissent la présence d’enfants. Dans le même temps, certains militants font le constat d’une dégradation de la salubrité du camp. Des guêpes volent en effet autour des détritus qui s’entassent ici ou là. Valérie Suzan, responsable de l’association Strasbourg Action Solidarité s’indigne qu’on puisse laisser vivre des personnes dans ces conditions, notamment des enfants.
Si les premières personnes s’étaient installées place de la Gare, la Ville a tenté de les faire se déplacer, jusqu’à ce que le camp se forme derrière, de part et d’autre d’ateliers de la SNCF. La proximité du restaurant social « La Fringale » explique l’installation des migrants à cet endroit. Ils peuvent prendre un petit-déjeuner ou un repas chaud quelques midis par semaine dans ce centre tenu par les Restaurants du Coeur.
À 10 minutes de marche le long de la piste cyclable vers le sud, il y a aussi l’ »Accueil Printemps » de l’association Horizon Amitié qui propose un accès aux douches. Quand on entre dans ce vieux bâtiment, on fait face à une vaste salle d’accueil où se côtoient canapés, chaises, tables, jeux et ordinateurs en libre-service.
Au fond, un comptoir où toute personne en situation de précarité peut s’inscrire pour accéder gratuitement à une douche. L’association met à disposition une douche homme et une douche femme/enfants mais ne peut satisfaire plus de 32 personnes par jour. Malgré l’installation d’un chauffe-eau plus performant en 2015, il reste difficile pour l’association de répondre à l’ensemble des demandes.
La crainte d’un « camp de réfugiés » à Strasbourg
Face à cette situation précaire, la Ville de Strasbourg a d’abord réagi en indiquant ramasser les déchets et en installant deux toilettes sèches. Les militants se sont indignés : deux toilettes sèches, c’était très peu pour une centaine de personnes. Suite aux récriminations, deux toilettes de plus ont été ajoutées le 16 août.
La question de l’eau a aussi été posée : comment pouvait-on laisser des personnes en plein été sans accès à l’eau potable ? Les Restos du Cœur fournissaient une bouteille d’eau par personne et par jour, jusqu’à ce que la Ville décide d’ouvrir un point d’eau. Depuis le 7 août, un robinet a été installé à l’extérieur du Centre d’accueil et d’hébergement des Remparts géré par la Ville. Il est accessible entre 6h et 23h tous les jours. Ou presque. Valérie Suzan relate :
« L’autre jour on est arrivé, des employés avaient du oublier d’ouvrir l’eau. C’était un jour où il faisait super chaud en plus. Les gens des Remparts étaient furieux et ils n’avaient pas tort. »
C’est-à-dire que la ville fait tout ce qui en son possible pour qu’un camp comme celui-ci ne s’installe pas durablement sur son sol. Selon Me Sophie Schweitzer, ce n’est pas tant l’exemple de Calais qui effraie, mais un exemple beaucoup plus proche, à 150 kilomètres de Strasbourg : le camp Blida de Metz. Ce dernier accueille plus de 400 personnes dans des conditions insalubres. L’Eurométropole est alors passée à la méthode forte comme le remarque l’avocate :
« Deux procédures ont été engagées par l’Eurométropole pour expulser ces personnes du territoire. Le choix a été fait de ne pas aménager et ni d’apporter une solution sanitaire. »
Début août, la Ville a en effet décidé de recourir à la Justice en assignant les migrants en référé, en raison de l’insalubrité et l’insécurité du campement. Cette procédure d’urgence devait assurer une évacuation rapide si les juges suivaient les arguments de la municipalité.
Pour Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire en charge de l’action sociale territoriale (EELV), il ne s’agit pas d’une décision si radicale :
« Nous n’avons jamais évacué de camp à Strasbourg. Un référé, c’est seulement poser un acte clair. Il s’agit de dire qu’une telle situation est intolérable, autant pour les personnes qui vivent sur le site que pour les citoyens strasbourgeois. Nous ne voulons pas de bidonville à Strasbourg. Pour autant, il ne s’agit pas d’évacuer par la force, mais d’accompagner et de proposer des solutions. »
Des avocats pour défendre les demandeurs d’asile face à la Ville et à la Préfécture
C’est à ce moment que Me Sophie Schweitzer, contactée par Valérie Suzan, a décidé de prendre la défense de ces personnes. Le 8 août, elle obtient un renvoi de l’audience au 12 septembre en invoquant des « assignations non-conformes ». Cela lui laisse un mois pour prendre en main les dossiers des familles dont elle s’occupe et de leur trouver un hébergement d’urgence.
Ce 17 août au matin, l’avocate est de retour sur le site des Remparts pour rencontrer ses clients et réunir les pièces nécessaires à l’introduction de la requête en référé. Elle est accompagnée de sa stagiaire et bientôt rejointe par un confrère, Me Julien Martin. Tous deux sont Présidente et Vice-Président de la Ligue des Droits de l’Homme de Strasbourg, bien qu’ils soulignent agir en leur seule qualité d’avocat. Elle prend en charge plus de trente personnes. Lui, vient l’épauler pour une dizaine de demandeurs d’asile supplémentaires.
Téléphone dans une main et dossiers dans l’autre, elle cherche ses clients à travers le camp. Certaines familles la reconnaissent et l’interpellent. Sur le chemin elle croise une famille qu’elle connaît. Les deux parents et trois enfants viennent d’obtenir leur attestation de demande d’asile. La mère ouvre son sac à main et sort le précieux sésame d’une pochette en plastique transparente dans laquelle elle semble conserver tous les documents administratifs importants. L’avocate laisse échapper un signe de satisfaction en serrant les poings. Elle veut leur annoncer qu’elle portera leur affaire au tribunal le lendemain, mais ils parlent seulement Albanais. C’est un enfant, au téléphone de l’avocate, qui s’occupe de traduire ses propos.
Mais il y a aussi deux autres personnes, grands-parents, qui ne répondent pas à l’appel ce matin là. Après un coup de fil, l’avocate obtient confirmation : ils ont été arrêtés la veille, placés en garde-à-vue avant de partir au centre de rétention de Metz.
Les avocats constatent les changements récents sur le camp, qu’ils trouvent de plus en plus insalubre. Ils prennent des photos pour les joindre à la juge. « Et donc ça c’est Strasbourg, ville européenne des Droits de l’Homme », ironisent-ils.
Des droits non respectés, les associations à la rescousse
Sans même parler de Droits de l’Homme, la situation entre en contradication avec la protection que l’État promet aux demandeurs d’asile. Si la Ville reconnaît que les occupants des Remparts sont « essentiellement des demandeurs d’asile », comment se fait-il qu’ils n’aient pas le droit à « un hébergement dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou autre structure similaire », ou, à défaut « dans une structure collective ou un hôtel » comme le prévoit la loi ? Il en va de même pour l’ADA, si les retards de paiement étaient avérés.
L’engorgement des structures d’accueil existantes est souvent avancé comme raison principale à cette défaillance : la Préfécture du Bas-Rhin n’aurait pas les moyens d’héberger tous les demandeurs d’asile. Me Sophie Schweitzer entend cet argument mais ne l’accepte pas pour autant :
« Si la situation est engorgée, alors il faut innover ! Deux CADA on été fermés. Il faut les rouvrir, il faut construire de nouvelles habitations, il faut héberger toutes ces familles ! »
Un avis que partage Valérie Suzan : il y a des places dans les lieux d’hébergement fermés l’été. Cela représente en effet 250 places, un « renforcement de l’hébergement qui a lieu en hiver, mais pas en été » admet Marie-Dominique Dreyssé.
En attendant, l’association de Valérie Suzan vient en aide aux demandeurs d’asile. Alors que Strasbourg Action Solidarité ne reçoit aucune subvention, elle avance que le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la Ville lui envoie des migrants qui ont besoin de fournitures pour bébés.
Jeudi 17 août, il est 19h à la gare de Strasbourg, à l’avant cette fois-ci. Une centaine de personnes attendent déjà la distribution bi-hebdomadaire de l’association. Quand deux fourgons arrivent avec les vivres, deux queues s’organisent : l’une pour les repas chauds et l’autre, effectivement, pour récupérer couches, vêtements et lait infantile.
Selon Valérie Suzan, les personnes qui viennent à la distribution son « essentiellement des personnes des Remparts ». Une quinzaine de bénévoles en gilets bleus, plutôt des femmes, s’activent pour la distribution. Du côté des repas, chacun repart avec une assiette de pâtes à la sauce tomate et au fromage râpé, une paquet de chips, et éventuellement du café. « Attention au service ! Il y a tellement de monde ce soir, ne faites pas des assiettes trop remplies », lance Valérie Suzan aux bénévoles.
L’association distribue chaque mardi et jeudi 250 repas. La distribution de fournitures pour bébés a lieu seulement le jeudi et concerne 49 familles. Malgré la cohue et les incompréhensions, les bénéficiaires restent calmes. Souvent, les enfants font office d’interprète ou d’intermédiaire entre bénévoles et parents.
La responsable en marinière fume beaucoup et semble un peu fatiguée par le rythme effréné de ces distributions. Après avoir tout préparé chez elle, elle passe la soirée à distribuer de la nourriture. À la gare d’abord, puis dans des maraudes à travers la ville. Ce soir là elle gère les crises : une femme qui n’a pas eu assez de couches pour son enfant, une autre qui ne peut faire la queue à cause de son enfant autiste, ou bien un jeune Irakien blessé qui vient lui demander de l’aide pour trouver un hébergement pour la nuit. Pour ce dernier, elle appelle le 115 (Samu social) qui ne peut rien faire. On lui répond que seule une dizaine de places sont disponibles pour un logement d’urgence pour les hommes pendant l’été.
Marie-Dominique Dreyssé affirme que les 3 000 places d’hébergement pour demandeurs d’asile sont prises à Strasbourg. Si l’État a aussi recours aux hôtels, c’est d’autant plus compliqué durant la saison touristique. L’adjointe parle d’une véritable « embolie » du système d’hébergement. Difficile d’en savoir plus sur ce sujet puisque la principale intéressée, l’OFII, ne répond pas.
De nouveaux centres d’accueil ?
Pour éviter l’installation d’un camp pérenne, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile est en projet, dans la commune de Mertzwiller. L’objectif est de transformer un ensemble de petits immeubles pour accueillir 16 familles courant 2018. La ville se trouve à 35 kilomètres au nord de Strasbourg, il faut environ une heure pour faire le trajet en train. Or c’est bien à Strasbourg que sont concentrés tous les services de l’Etat où entreprendre les démarches administrative pour une demande d’asile. S’ils sont placés là-bas, les demandeurs d’asile ne peuvent refuser, sous peine de perdre leur allocation.
Marie-Dominique Dreyssé réagit de manière positive à la décision du tribunal administratif de ce lundi 21 août. Elle avait suivi cette famille dans ses démarches auprès des hôpitaux notamment :
« C’était une décisions attendue. Si des personnes sont en difficulté, elles doivent être prioritaires et l’État doit trouver les moyens nécessaire pour les héberger. »
Interrogée sur la responsabilité de l’État dans cette crise, dans laquelle la municipalité se trouve en première ligne, l’adjointe garde du recul et préfère mentionner que l’hébergement d’urgence est une compétence des municipalités. L’action strasbourgeoise s’effectue en coordination avec les services de la Préfecture.
Elle concède tout de même qu’il faut s’interroger sur l’évolution du droit d’asile et le devenir des personnes déboutées. Il ne s’agit pas de fermer les portes mais de réfléchir à des nouveaux systèmes d’accueil pour garantir la protection des personnes et leur dignité. Elle conclut : « les migrations continueront et c’est notre richesse ».
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