Il s’agit d’une « expérimentation » qui doit durer six ans : deux « salles de shoot » ont ouvert en France. La première a débuté l’accueil des toxicomanes en octobre à Paris et la seconde a ouvert lundi 7 novembre à Strasbourg, dans l’enceinte de l’hôpital civil. Ces salles doivent permettre aux personnes consommant des drogues de pouvoir s’administrer les produits dans un environnement sécurisé.
Car s’injecter de l’héroïne par l’intermédiaire d’une seringue plantée dans les veines, par exemple, génère d’autres méfaits que l’addiction et l’isolement, comme la transmission de virus, des maladies liées à l’injection de substances toxiques dans le sang ou des infections. Dans les salles de shoot, appelées officiellement « salles de consommation à moindres risques », du matériel stérile est fourni aux toxicomanes, et du personnel est présent en permanence.
Effets bénéfiques mécaniques
La présence de salle de shoot dans une ville provoque mécaniquement une baisse de la mortalité dans la population toxicomane, et permet d’améliorer la situation sanitaire globale en s’attaquant à la source des contaminations virales. Adjoint au maire de Strasbourg en charge de la santé, le Dr Alexandre Feltz résume l’objectif :
« Ici, on accueille des personnes malades, on traite et on guérit. Il y aura des appareils pour diagnostique des foyers d’hépatite par exemple et les personnes ainsi détectée seront suivies médicalement et soignées. On va donc supprimer le réservoir viral grâce à des traitements très efficaces. Ces effets bénéfiques profiteront à toute la population, qui aura ainsi moins de chance de contracter une hépatite. »
Concrètement, la salle de shoot de Strasbourg, baptisée Argos, est ouverte de 13h à 19h, tous les jours, dimanches et jours fériés compris. Elle est située dans l’ancien pavillon de chirurgie thoracique de l’hôpital civil et bénéficie d’un accès direct sur le quai Pasteur.
La personne toxicomane doit venir avec ses produits stupéfiants. Elle n’a « rien à craindre », assure-t-on. La police ne devrait pas procéder à des contrôles d’usagers aux abords de la salle grâce à un accord avec le Procureur de la République. En revanche, ce dernier doit éviter que s’installe autour de la salle une nouvelle zone de deal… Les premiers réglages de cette délicate opération policière seront intéressants à suivre mais là encore, les exemples suisses et allemands prouvent que c’est faisable.
Trois salles, pour trois tempos
Une fois arrivé dans le bâtiment d’Argos, la personne toxicomane enregistre son produit et indique à l’équipe d’accueil, des infirmiers et des travailleurs sociaux, comment il compte se l’administrer. Ces derniers lui donnent alors un kit d’administration à usage unique (voir ci-contre) et un « numéro d’appel », comme au supermarché. À ce stade, le personnel d’accueil reste discret puisque la personne toxicomane, une fois qu’elle a acquis la drogue, n’est guère réceptive.
Lorsqu’une place se libère, il y a six box d’injection, deux pour le sniff et une salle d’inhalation pour « chasser le dragon », la personne a 30 minutes pour consommer son produit. Elle se l’administre elle-même. Puis elle est accueillie ensuite dans une salle de détente, qui se veut la plus chaleureuse possible. C’est là où les travailleurs sociaux d’Ithaque, l’association chargée de conduire cette expérimentation, prendront contact avec les toxicomanes pour voir avec eux leur état de santé et leur situation sociale dans sa globalité.
« Reconnaître » les toxicomanes
Directrice d’Ithaque, Danièle Bader-Ledit détaille sa mission :
« Notre objectif est de faire venir une population très éloignée des soins, souvent très désocialisée et très fragile. Ce sont des gens auxquels aucune structure n’a accès. En fournissant ce cadre sécurisé, nous permettons un premier contact qui doit, dans un temps plus ou moins long, permettre d’engager un suivi social et sanitaire. C’est pour ça qu’on a appelé cette salle “Argos”, comme le chien d’Ulysse qui fût le seul à le reconnaître à son retour de l’Odyssée, nous serons ceux qui reconnaîtront ces gens comme ayant besoin d’aide et de soins. »
Seize personnes constituent l’équipe d’Argos, huit infirmiers et autant de travailleurs sociaux. Un médecin sera présent deux demi-journées par semaine, un psychiatre, une psychologue et un travailleur social spécialisé dans les dossiers administratifs seront également présents une demi-journée par semaine. Le fonctionnement de la structure doit coûter un million d’euro par an, il sera financé par la Sécurité sociale, via le fonds national de prévention de la Sécurité sociale.
Le pavillon de chirurgie thoracique a été sommairement rénové grâce à un investissement de 400 000€ (dont 150 k€ de la Ville de Strasbourg, 150 k€ de l’État, 50 k€ de l’Eurodistrict et 50 k€ des Hôpitaux de Strasbourg).
L’évaluation des bénéfices apportés par les deux salles de shoot françaises sera menée par l’Inserm. En outre, un rapport d’activité annuel précisera le nombre de personnes reçues, et les effets des suivis engagés. Comme Argos s’intéresse à une population nouvelle, par nature inquantifiable, il est difficile d’indiquer combien de personnes sont attendues chaque jour. Ceci dit, Ithaque accueille chaque année plus de mille personne dans ses locaux rue Kuhn et en suit la moitié.
Chargement des commentaires…