En montant dans la pénombre à l’étage du Shadok, quai Malraux à Strasbourg, on arrive d’abord dans une première partie de l’exposition qui plante le décor et présente l’artiste. Le personnage de Marcel Li Antunez vaut la peine que l’on s’y attarde un peu : figure de l’art catalan, il est connu au-delà de ses frontières depuis les années 90 pour ses performances où se télescopent une foultitude de concepts et d’influences, de Roberts Combas à la science-fiction, du folklore espagnol aux performances Fluxus des années 60.
Marcel Li s’est fait connaître par la scène, œuvrant à la fois dans l’underground et dans le théâtre de rue avec sa compagnie Fura del Baus. Plusieurs de ses compagnons de scène sont exposés dans la première salle : des créatures robotiques faites de métal étincelant et d’animaux naturalisés, ainsi que des exosquelettes motorisés qui influent sur les mouvements de celui qui les porte.
Conçues en collaboration avec un ingénieur, ces machines sont contrôlées par la voix d’un tiers, ou par des commandes activées par le spectateur. Le performeur est à la merci de systèmes pneumatiques ou d’articulations externes tel une marionnette. Le corps et l’interactivité sont au cœur de cette démarche : l’artiste conçoit des scènes qui parlent des relations humaines et des désirs, et en jouant de leur trivialité il nous rappelle notre condition commune.
La subversion s’associe à l’humour
Lorsqu’il a commencé à élaborer ses dispositifs, il y a une vingtaine d’années, les logiciels informatiques et la réalité augmentée n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Marcel Li imagine de connecter tous les aspects de son travail pour faire de son œuvre un organisme vivant. Les vidéos sont incrustées de dessins animés, des caméras insèrent le visage du spectateur dans la scène, des costumes sensoriels agissent comme des joysticks. Et le tout est relié aux éclairages et à la musique. Un peu difficile à suivre peut-être, à l’image des interdépendances qui régissent la vie…
Violence, sexe, grimaces, nourriture, tout passe grâce à une approche pleine de franchise et d’humour. Le spectateur impliqué grâce aux divers dispositifs de contrôle se sent humain et animal au même titre que les personnages hybrides des œuvres : la projection et la catharsis fonctionnent, encouragées par l’aspect ludique.Géraldine Farage, responsable du Shadok, raconte comment elle a eu envie d’inviter cet artiste :
« J’ai vu sa performance Hipermembrana lors de la Nuit Blanche à Amiens en 2009. Sa démarche pluridisciplinaire, en direction du public, rejoint l’esprit du Shadok. Il a une attitude sincère, généreuse, modeste, qui m’a fait penser qu’il serait intéressant de le faire intervenir à Hautepierre ».
La résidence à Hautepierre
Début 2015, l’artiste débarque donc à Hautepierre, dans l’idée de réaliser un projet participatif. Le contact avec les habitants – et par la suite la production de tout le projet – se fait grâce à Horizome, association implantée dans le quartier depuis longtemps et qui a gagné leur confiance. Marcel Li partage ses impressions :
« Les contacts se sont mis en place progressivement, ce n’est pas aussi facile qu’en Espagne, où j’ai déjà travaillé en lien avec les habitants. Là-bas, les traditions populaires sont fortes, des groupes d’artistes de rue amateurs existent déjà et sont habitués à travailler ensemble. À Hautepierre, on ne sent pas de solidarité spontanée. Quand elle existe, c’est chapeautée par une association ou la mairie de quartier. Mais si je n’avais pas bien senti le projet, je ne me serai pas lancé ».
Si l’utopie architecturale des mailles prévoyait une cité idéale, il y a 40 ans, le résultat est mitigé aujourd’hui. Marcel Li a pris en compte ces paramètres dans sa démarche :
« Ce qui est bien, c’est la présence de la verdure, d’espaces sans voiture pour les enfants, la possibilité de circuler à vélo. Mais il n’y a aucun commerce de proximité – le contraste avec le quartier tout proche de Cronenbourg est frappant. Même pas un bar où aller regarder un match de foot ! En plus, chaque maille fonctionne comme une forteresse. Les personnes extérieures ne s’y aventurent pas, et il y a un fort sentiment d’appartenance voire même de défiance entre les habitants de chaque maille ».
Raconter des histoires pour créer des liens
Tout de suite, Marcel Li comprend qu’il faut proposer quelque chose de concret. Il va proposer des narrations, qui prendront des formes variées – fidèlement à la multiplicité de son œuvre. Avec différents groupes de travail, il va ainsi monter cinq récits inspirés à la fois de témoignages d’habitants, de contes et de mythes populaires.
Le dessin géant Megafish raconte des voyages migratoires. Arkignol – contraction d’architecture et de guignol – se moque de tendances architecturales à grand renfort de costumes en carton et de pantomime. La performance Kiosk fait participer de jeunes artistes du quartier, qui se retrouvent habillés de nourriture ou dansant sur le parking désert d’Auchan. Les pulsions sont mises à jour : l’art permet de révéler une autre réalité, ici celle des désirs rentrés, de la consommation ou de l’affection frustrées.
De la même manière, Batamaille met en scène l’affrontement entre les mailles dans une joyeuse bataille de farine. Enfin, Cortège réunit les acteurs de toutes les histoires dans une grande procession carnavalesque qui a eu lieu cet été. Les chariots réalisés avec l’aide d’étudiants en scénographie de la HEAR ont défilé avec force vacarme, emmenés par Marcel Li et son mégaphone dans lequel il bonimente comme un forain.
Cette aventure a marqué les esprits des habitants, comme en témoignait leur présence massive lors du vernissage vendredi soir. Elle souligne l’importance des traditions populaires dans la cohésion d’un groupe humain, et envoie un message positif quant à la possibilité d’introduire l’art dans tous les milieux. Contemporain, folklorique ou futuriste, peu importe, et il ne faudrait pas faire la différence, selon l’artiste. L’important est de raconter son histoire, exprimer ses désirs, formuler la critique, ouvrir des fenêtres vers d’autres réalités, et en cela on peut dire qu’Alsaxy atteint son but.
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