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Les nouveaux chantiers de la Maison Mimir

Le squat de la Maison Mimir vient d’éloigner le spectre de l’expulsion pour longtemps. Après avoir signé un bail avec la Ville, les occupants vont consacrer l’été à réaliser des travaux dans cette maison de la Krutenau du XIXe siècle, ouverte à tous les projets, toutes les envies et à tous ceux qui peuvent avoir besoin d’aide. Pour autant, tout n’est pas gagné.

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Bail en poche, la Maison Mimir va pouvoir déployer son projet (Photo Jean-René Denliker / CUS)

Dans la cour intérieure de la Maison Mimir, vaste squat au cœur de la Krutenau, quelques canapés usés accueillent des réfugiés syriens, un grand gaillard fume, un blond torse-nu s’affaire à stocker du bois, une autre déguste à la chaîne des yahourts à la vanille… Tout ce petit monde, plutôt jeune, passe le temps en profitant du soleil et en attendant l’événement de la soirée, la cantine hebdomadaire, ouverte à tous, à « prix libre » et accompagnée d’une « jam session ».

Ce mercredi soir, c’est Omar, Syrien installé à Strasbourg depuis quelques temps, qui a proposé de préparer avec Hiba, archéologue syrienne en thèse à Strasbourg, un plat traditionnel de son pays. Pour l’occasion, les deux préparateurs ont dérogé à la règle, ils ont acheté quelques ingrédients orientaux pour préparer mutabal et autres mézzés. D’habitude, l’équipe de bénévoles qui s’attelle à la cuisine compose à partir des invendus récupérés auprès des supermarchés. Selon un occupant, les cagettes ramenées, remplies cette fois de malicettes, de pâtisseries, de salades, de légumes, suffisent largement à nourrir tous ceux qui se présentent le mercredi soir, une quinzaine de personnes en moyenne, le double parfois.

Bonne récolte pour la cantine (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Ce rendez-vous hebdomadaire est le point d’orgue du squat, et affiche l’ambition des occupants de la Maison Mimir : être un centre social autogéré. Outre des chambres pour une demi-douzaine de résidents, la Maison Mimir propose aussi un service de bagagerie, utilisé par près d’une centaine de personnes, un bar sans alcool, un magasin de disques de groupes locaux, une pièce pour les associations et une dizaine d’ateliers allant du slam et de l’improvisation théâtrale à la teinture végétale.

Le plus important, l’accueil

Il y a des horaires bien sûr, mais les habitués du lieu avouent que ces ateliers, dépendants des bonnes volontés d’animateurs volatiles, méritent d’être relancés, peut-être à la rentrée. Le plus important de toutes façons, c’est l’accueil. N’importe qui peut venir, se poser au « Barakawa » ou se restaurer dans la « salle Putsch ». Certes, des pancartes « Ne pas toucher » sont apposées sur tous les frigos poussifs du lieu mais il y a toujours quelqu’un, assurent les occupants, pour les ouvrir à la demande. Lisa, 22 ans originaire de Montpellier, apprécie qu’il existe un tel lieu à Strasbourg :

« Je ne connaissais personne en arrivant. J’ai cherché des endroits qui allaient me plaire, et je suis tombée sur la Maison Mimir par le biais du réseau Couch’surfing. J’ai passé un an au Québec dans une maison communautaire, un endroit vraiment bien, où chacun apporte ce qu’il sait faire, partage, et apprend des autres personnes présentes. Je retrouve cet esprit à Mimir. Quand je ne travaille pas, je donne un coup de main à la cantine les mercredis. A chaque fois, je rencontre des gens nouveaux. Il faudrait une Maison Mimir dans chaque ville. »

Une camionnette vient d’arriver, chargée de bois récupéré sur des emballages de machines outils. Ce sera la matière première pour des travaux de rénovation qui semblent ne jamais avoir de fin. Car l’imposante bâtisse de 1875 est en très mauvais état. Occupé fin janvier 2010, cet ancien centre d’hébergement social d’Habitation moderne a été déserté en 1999. Après des échanges tendus avec la Ville, allant même jusqu’à un avis d’expulsion en avril 2011, un accord est finalement trouvé. La Ville accepte de sécuriser le bâtiment et un bail emphytéotique est même proposé aux occupants par Philippe Bies, alors adjoint au maire en charge du logement.

Il faudra deux ans aux services de la Ville pour accoucher de ce document, le temps aussi de tester le « sérieux » des occupants. Le 21 mars 2013, l’association a pris possession des murs pour 20 ans pour un loyer annuel de 15€. La Ville a engagé 15 000€ de travaux, les occupants doivent en investir autant, notamment dans l’installation électrique.

Proche de l’expulsion en avril 2011

S’il s’agit d’une belle victoire, les occupants savent qu’ils ne sont pas au bout du chemin. Méthodiques, ils ont rénové le deuxième et dernier étage, l’espace logement. L’objectif est de s’occuper du premier étage ces jours-ci, avec notamment une salle de réunion et un atelier pour artistes, et du rez-de-chaussée cet été si tout va bien. Yvan, qui tient la boutique de disques « La main dans l’bac », attend ce moment avec impatience :

« On espère qu’on pourra ouvrir les fenêtre murées, ça permettra d’avoir de la lumière. On est six DJ à distribuer des artistes locaux en dépôt-vente, des disques qui seraient introuvables à Strasbourg sans nous et la Maison Mimir ».

La bibliothèque (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Trois Suédois débarquent dans la cour, chargés d’imposants sacs de voyage. L’un d’eux a fait partie de l’aventure de Mimir à ses débuts, ils sont tous accueillis chaleureusement. On se croirait dans la maison bleue de San Francisco. Les Suédois ne s’appellent pas Lizzard et Luke mais ils ont des histoires à raconter et les conversations s’engagent dans un anglais arrangé. Dans la salle Putsch, les plats d’Omar et Hiba commencent à prendre forme.

« On est tous un peu éduc spé »

Djeb, l’animateur prolifique de Touch’Arts, une association de promotion pour les artistes, s’autorise une petite bière dans la cour. La Maison Mimir accueille son bureau, dans lequel il loge difficilement deux stagiaires. Il a son avis sur la vocation sociale de la Maison Mimir :

« Ici, on est tous un peu éduc-spé. Moi même, j’ai l’impression de faire du social toute la journée. On reçoit, on aide, on oriente… Cet endroit est précieux, parce qu’il n’a pas de barrière. Il permet la création. Chacun peut venir et proposer son truc, son atelier, son activité, son groupe de musique… On est dans la même logique. Du coup, Touch’Arts profite beaucoup de Mimir et inversement. Un lieu comme ça, c’est la preuve qu’on peut faire beaucoup avec peu. »

Dans la cour, de la laine de mouton sèche au soleil. Elle servira à l’atelier de tissage. Avec ses quelques 310 m², la Maison Mimir est devenue le plus grand squat actif de l’est de la France, avec peut-être l’espace des Tanneries à Dijon.


#maison mimir

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