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Le commerce de singes de l’université de Strasbourg dans le viseur de la justice

Une enquête judiciaire débute quant aux activités d’une association chargée d’exploiter des singes pour le compte de l’université au fort Foch à Niederhausbergen, près de Strasbourg. Retour sur le secret bien gardé de la création de cette filiale.

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Le commerce de singes de l’université de Strasbourg dans le viseur de la justice

A défaut de vaches à lait, l’université de Strasbourg profiterait-elle en toute opacité d’une monnaie de singes ? Le Procureur de la République de Strasbourg vient d’ordonner l’ouverture d’une enquête judiciaire du chef d’ « abus de confiance et autres détournements » concernant l’université de Strasbourg et l’association ADUEIS, partenaire de l’Unistra qui exploite les singes de son centre de primatologie. L’enquête est confiée à la division économique et financière de la direction régionale de la police judiciaire.

En 2009, l’université de Strasbourg a remporté l’appel à projets national du premier fonds unique interministériel (FUI) « Plateforme d’innovations » pour la valorisation de son centre de primatologie dans l’industrie. Pour que son projet puisse bénéficier des 1,7 million d’euros qui lui étaient attribués, elle a créé l’ADUEIS, association pour le développement des liens université – entreprises dans les industries de santé. Cette entité juridique distincte de l’université est chargée de mettre en œuvre le projet, c’est-à-dire de développer l’exploitation commerciale de singes sous la marque Silabe.

Cette exploitation consiste en des quarantaines – l’hébergement temporaire de singes venus de vendeurs principalement mauriciens et destinés à des laboratoires pharmaceutiques – ainsi que dans la réalisation et la commercialisation de prélèvements biologiques sur des singes et des expérimentations in vivo.  L’université a cédé pour cela plus de 300 singes de son centre de primatologie à l’ADUEIS, pour un montant d’1,1 million d’euros. Elle a aussi mis à sa disposition les locaux du centre au fort Foch de Niederhausbergen, ainsi que 10 agents publics. Le projet comprenait également la création d’une chaire de recherche au sein de la plateforme Silabe, piloté par le centre de primatologie de l’université.

Opacité sur tous les plans

Le moins que l’on puisse dire est que l’université n’a jamais fait preuve de transparence ni quant au montage de cette association, ni quant à ses activités, ni quant à ses implications financières. C’est  l’intervention de l’association de défense des animaux Animalsace et du comité scientifique Pro Anima en novembre 2016 dans la campagne pour la nouvelle présidence de l’université qui a mis au jour le montage, sept ans après la création de l’ADUEIS.

L’accord-cadre passé entre l’université et l’ADUEIS n’avait lui-même été porté à la connaissance du conseil d’administration de l’université qu’après sa signature et le lancement des activités commerciales, en janvier 2011. Et sans être soumis à la discussion et ni que ne soient fournis aux membres du conseil les différentes annexes relatives au contrat.

Cet accord de partenariat a été signé entre le président de l’université de l’époque, Alain Beretz, et un vice-président de l’ADUEIS, Nicolas Carboni, alors président d’Alsace Biovalley qui avait accompagné la candidature de l’université pour le Fonds unique interministériel. Celui-ci était mandaté par le véritable président de l’association, un certain… Michel Deneken, actuel président de l’université et à l’époque vice-président. Ce petit arrangement permettait de ne pas exposer de manière trop flagrante que l’université passait en fait un contrat… avec elle-même.

Des risques connus

En effet, l’ADUEIS n’a une indépendance que très artificielle. Ses statuts stipulent que les fonctions dirigeantes de l’université disposent de sièges automatiques dans le conseil d’administration de l’association. C’est Alain Beretz lui-même qui en était le président à sa création avant de confier cette charge à son vice-président de l’époque, Michel Deneken, en juillet 2010.

Ce montage juridique revenait donc à créer une association privée transparente, téléguidée de fait par une institution publique, l’université. Un montage explosif qui faisait planer sur les quatre dirigeants cumulards le risque de se voir inquiétés par la justice pour gestion de fait ou même prise illégale d’intérêt. Dès le début du projet d’association, des personnes qualifiées avaient pourtant alerté sur de tels risques, jusque depuis le ministère de l’Enseignement et de la recherche, sans être entendues.

Un singe marmouset, comme ceux dont s’occupe le centre de primatologie de Strasbourg (photo Visual Hunt / cc)

Mais en 2016, Animalsace informe les élus d’opposition au conseil d’administration de l’université que l’université avait investi 5,6 millions d’euros dans la rénovation du fort Foch de Niederhausbergen pour permettre le déploiement des activités de l’ADUEIS. Un investissement décidé en toute discrétion, sans délibération du conseil d’administration de l’institution. La somme allait pourtant bien au-delà de la limite pour laquelle le président peut débloquer seul des financements.

Des aveux à demi-mots

La direction de l’université a reconnu à demi-mot sa discrétion sur cet investissement lors du conseil d’administration du 15 novembre 2016, suite à l’interpellation d’élus de l’opposition : pour cet investissement réparti entre 2009 et 2014, « nous n’avons pas connaissance d’une délibération formelle du conseil d’administration », déclarait alors Yves Larmet, vice-président Patrimoine de l’université.

« Par contre, les crédits ont été ouverts avec validation du conseil d’administration » et un transfert de 5 millions d’euros « a fait l’objet d’une information dans les rapports de présentation du budget et/ou des comptes financiers des années 2011, 2012, 2013. » Yves Larmet ajoutait que « dans le contexte d’élection du président (à laquelle Michel Deneken, président de l’ADEUIS, était alors candidat NDLR), le conseil d’administration a suspendu toute décision depuis septembre 2016 et seules les opérations courantes ont été assurées par l’équipe de direction de Silabe en place »

Une déclaration qui interroge : d’après les informations de Rue89 Strasbourg, jamais le conseil d’administration de l’ADUEIS ne s’était jusque-là réuni en cinq années et demie d’existence de l’association. Plusieurs associations de défense des animaux mettent en doute la suspension des activités d’exploitation expérimentale des singes.

Des évolutions juridiques en réflexion

Interpellé par les élus d’opposition du nouveau conseil d’administration, Michel Deneken, devenu président de l’université, a fait savoir le 4 juillet qu’il n’était plus président de l’ADUEIS depuis le 13 décembre 2016. Il indiquait aussi qu’une commission de travail avait été constituée pour traiter des éventuelles évolutions de la structure et qu’elle donnerait lieu à un point d’étape devant les élus quand la réflexion serait plus avancée.

L’enquête diligentée par le procureur de la République va-t-elle accélérer cette réflexion ? Fera-t-elle la lumière sur les implications financières de l’opération Silabe ? En novembre 2016, Yves Larmet assurait que la recherche du centre de primatologie était intégralement financée par l’activité commerciale de Silabe. Mais six ans et demi après le lancement du projet soutenu par le fonds unique interministériel, rares sont les résultats de recherche sortis du centre de primatologie et de la chaire de recherche créée pour le projet Silabe.

Une communication verrouillée sur les finances de l’association

Sur les 1,7 million d’euros de subvention du FUI, 1,5 million devaient être alloués au fonctionnement de l’association et à la chaire de recherche, et 200 000 à de l’investissement. Ont-ils bien servi à cela ou ont-ils contribué au remboursement des aménagements au fort Foch de Niederhausbergen ? D’après les informations de Rue89 Strasbourg, les recettes d’activité de Silabe n’ont jamais atteint les niveaux suffisants pour rembourser comme prévu l’investissement de l’université. Les loyers de l’ADUEIS auraient été revus à la baisse pour contenir sa dette.

Pourtant, entre 2011 et 2014, l’ADUEIS aurait quand même réussi à reverser un peu plus d’1,3 million d’euros de loyers à l’université, auxquels se seraient ajoutés environ 300 000 euros par an pour le traitement des personnels mis à disposition et près de 500 000 euros pour la chaire de recherche. Jusqu’à présent, Silabe refuse de communiquer sur ses recettes d’activité et ses bilans financiers, malgré une injonction de la Commission d’accès aux documents administratifs de remettre ses documents comptables à l’association ProAnima.


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