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La SemenceRIE, pépinière d’artistes éphémère

Nichée entre deux voies de chemins de fer dans le quartier Gare de Strasbourg, La Semencerie ne paye pas de mine. Pourtant, derrière ces murs ocres à la peinture écaillée se cache un vrai trésor : un espace de création artistique occupé par 25 artistes à l’imagination fertile.

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Annie Sibert, présidente de la SemenceRIE (Photo Vincent Muller)

Véritables témoins de l’Histoire, les murs de La Semencerie ont vu passer nombre d’individus et de corps de métiers. Tout commence à la fin du XIXe siècle lorsque l’armée prussienne fait construire le bâtiment en vue d’héberger un manège à chevaux pour ses militaires. Entre temps, avant que l’artillerie ne cède la place à l’art, ces lieux furent occupés par un garage, une société de ferronnerie métallique ou encore un atelier d’architecture.

Depuis une quarantaine d’années, c’est l’entreprise « Nungesser semences » qui possède le site. En 2008, l’établissement de vente de céréales décide de déménager son entrepôt de stockage à Erstein. « Nous ne pouvions plus rester dans ces vieux locaux, explique Bernard Heitz, le propriétaire. Nous avions besoin d’un espace plus grand et plus moderne. » A l’époque, l’homme n’est pas encore prêt à vendre et, suivant les conseils de son frère, il lance un appel à projet artistique. « Nous voulions avant tout éviter le squat, se souvient le chef d’entreprise. Nous avons donc opté pour la location à titre plus ou moins gracieux.»

En clair, les nouveaux occupants n’ont à payer que l’assurance des murs et les charges. En avril 2008, l’association IMF Art emménage au 42, rue du Ban de la Roche. Celle-ci n’occupant pas la totalité du lieu, elle propose à des artistes de s’y installer. Tous ensemble, dans une grande économie de moyens, ils entreprennent de réhabiliter l’endroit en amenant l’eau et l’électricité. La toiture et les fenêtres sont calfeutrées à l’aide de matériaux de récupération. Un an plus tard, IMF Art plie bagage. Les artistes décident de rester et de créer leur propre collectif. Une nouvelle convention est signée et l’association La Semencerie voit le jour.

La création naît du désordre, dit-on. (Photo Vincent Muller)

« Le but premier de La Semencerie, c’est l’atelier ! raconte Annie Sibert, présidente de l’association. Donner un espace de travail aux artistes qui en ont besoin. » Et quel espace ! Une bâtisse industrielle de 1 600 m² entourée d’un jardin. Sous la charpente métallique, les ateliers s’imbriquent en enfilade dans un arc-en-ciel de couleurs et de matières. Les anciens bureaux, en dur, sont occupés par les premiers arrivants.

L’un d’entre eux a été transformé en studio d’enregistrement et de répétition. Au fond, une mezzanine a été édifiée pour profiter de la colossale hauteur sous plafond. Une cuisine a même été élaborée dans une ancienne caisse de camion. Véritable labyrinthe à géométrie variable, le tout est desservi par une allée centrale encombrée d’objets et de créations en tout genre. « L’installation s’est faite petit à petit, souligne Annie Sibert, et elle bouge encore ! Certains ont déménagé, d’autres sont arrivés et ont complètement réaménagé l’espace. Là un atelier vient d’être détruit pour être reconstruit un peu plus loin. C’est en perpétuel mouvement! Il n’y a pas de règle.»

Tous les mardis, on discute des nouveaux

A la fois association, collectif, lieu de création et d’exposition, La Semencerie possède un mode de fonctionnement collégial et autonome. Tous les mardis, les artistes se réunissent pour discuter de leur travail, de leurs perspectives, de l’accueil de nouveaux résidents permanents ou temporaires, de la construction ou de la destruction d’un atelier… L’hiver, les réunions se font plus rares en raison du froid. Pas facile, en effet, de chauffer une telle superficie, surtout lorsqu’elle est mal isolée. Les rendez-vous sont alors fixés dans des ateliers clos à grands renforts de bottes fourrées, doudounes et autres chauffages d’appoint.

Le 1er avril, La Semencerie a fêté son quatrième anniversaire. Une célébration teintée d’appréhension car les conditions de la convention signée avec le propriétaire sont claires : dès lors que les murs seront vendus, les artistes auront quatre mois pour quitter les lieux. Or, aujourd’hui, La Semencerie est à vendre. « On est content que les locaux soient occupés par ces artistes, convient Bernard Heitz. Mais ça ne durera pas éternellement ! Un beau jour ces locaux seront vendus et probablement détruits ; et si demain on trouve un acquéreur, on vend.»

Mais quand? « C’est la grande question, s’interroge Annie Sibert. Aux dernières nouvelles, nous devons quitter le bâtiment fin décembre 2012. » Faux, rétorque le propriétaire, « ce n’est absolument pas à l’ordre du jour.» En tout état de cause, le collectif a d’ores et déjà monté un dossier et fait appel à la Communauté urbaine de Strasbourg pour un relogement futur. Une relocalisation qui ne va pas sans certaines contraintes, à commencer par l’espace nécessaire : au moins 1 600 m². Du coup, chaque année, quelques artistes candidatent pour intégrer les Bastions (ateliers d’artistes proposés par la Ville, rue du Rempart) ou d’autres ateliers.

La Semencerie est donc en sursis, mais n’allez pas croire que la morosité a entaché le moral des troupes. Carpe diem écrivait Horace. Amen ! répondent les architectes, scénographes, peintres, graveurs, forgerons, sculpteurs, performeurs, dessinateurs et autres créateurs qui n’ont de cesse de poursuivre leur travail. Tous veulent profiter au maximum du formidable champ des possibles que leur ouvre La Semencerie car demain, peut être, il sera trop tard.

Aneline Mennella (WAS Magazine)

Aller plus loin

Sur l’agenda Rue89 Strasbourg : la programmation en cours à La Semencerie.

Le site web de La Semencerie


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