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Comment le tissu traditionnel alsacien, le kelsch, a frôlé l’extinction

Le kelsch d’Alsace a bien failli disparaître complètement. En 2015, ils n’étaient déjà plus que deux artisans à réaliser ce tissu traditionnel produit en Alsace depuis le Moyen-Âge. Quand la principale fabrique, à Muttersholtz, ferme en avril 2017, plus personne n’est en mesure d’alimenter les boutiques d’artisanat. Mais la filière textile alsacienne n’a pas lâché l’affaire…

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Le kelsch d’Alsace se fait rare ces temps-ci. Dans les boutiques spécialisées, sur les marchés de Noël dont celui de Strasbourg, il faut chercher, racler les fonds de tiroirs. On trouve encore ce tissu traditionnel au « chalet des cœurs » place Broglie, une partie de la gamme est fabriquée avec ce tissu traditionnel rayé rouge et écru. C’est authentique, ça plaît aux touristes mais… il n’en reste plus qu’une poignée et le chalet ne parvient plus à s’approvisionner. Car la production de kelsch en Alsace s’est arrêtée depuis avril 2017.

Des cœurs en kelsch de plus en plus rares au « Chalet des cœurs » place Broglie. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Petite histoire du tartan alsacien

Le kelsch, c’est ce tissu traditionnel à carreaux ou à rayures, tissé en Alsace depuis le Moyen-Âge, à base de lin ou de chanvre. Petit à petit, un kelsch métis a été réalisé avec du coton. Avec ses carreaux écrus et bleus, écrus et rouge, ou les trois couleurs mélangées, le kelsch pourrait avoir le tartan, le tissu écossais, comme cousin éloigné. Les deux couleurs prédominantes du kelsch alsacien sont le bleu, réalisé à l’indigo, et le rouge réalisé à partir de la garance. La tradition veut que les Catholiques portaient des tissus à prédominance rouge et que les Protestants utilisaient très souvent des carreaux bleus.

Pour les carreaux, ils étaient différents selon les régions, les tisserands et les familles. Le nom du tissu pourrait provenir de l’adjectif « Kölnisch », de Cologne. Cela rappelle l’usage du « Bleu de Cologne ». En Alsace, le kelsch est le fruit d’un artisanat saisonnier lié aux travaux de la ferme et des champs. Ce tissu était fabriqué par les paysans alsaciens en hiver principalement, et à leur domicile. À l’époque, beaucoup de fermes disposaient d’un métier à tisser.

Le kelsch se retrouvait souvent en linge de maison, et cela jusqu’au XIXe siècle. Aujourd’hui il est possible de l’acheter en nappe, serviette, chemin de table, etc. Il est souvent présent dans les winstubs, ces restaurants typiquement alsaciens et dans les commerces spécialisés. Le kelsch est un tissu de choix avec une véritable histoire derrière lui. Son prix varie selon les revendeurs. À la fabrique de Michel Gander, le mètre brut de kelsch coûtait 36€. Dans d’autres magasins revendeurs, la nappe 150×150 cm peut coûter entre 80 et 100€, la nappe 250×180 cm peut coûter environ 130€.

Plus que deux ateliers de kelsch en 2015

En 2015, ils ne restait plus que deux ateliers à produire du kelsch en Alsace : une fabrique à Muttersholtz près de Sélestat et une autre à Sentheim, à 30 minutes de Mulhouse. Mais en avril 2017, l’artisan du Bas-Rhin, Michel Gander décède avant d’avoir pu transmettre son savoir-faire.

Dans la boutique Plaisirs d’Alsace à Strasbourg, tout le Kelsch est là. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Issu de la tradition d’installation de nombreux tisserands au XVIIe siècle à la recherche de chanvre et d’eau, Michel Gander a exploité la fabrique de Muttersholtz pendant 40 ans. Il était la septième génération de sa famille à créer ce tissu. Aujourd’hui, les sept machines de l’atelier sont arrêtées, personne à ce jour ne s’est proposé pour reprendre sa fabrication comme le détaille Chantal Gander, l’épouse du tisserand :

« Pendant toutes ces années personne n’est venu sérieusement nous demander d’être formé. Très souvent, les clients s’étonnaient « mais pourquoi vos enfants ne reprendraient-ils pas l’affaire ? » Mes enfants ont déjà leur vie, leur profession. Et quand je leur retourne la question : « et les vôtres, pourquoi ne deviendraient-ils pas tisserands ? », là ils ne répondent plus. C’est terrible et dommage mais tout est arrivé si vite. Moi je ne pouvais pas me lancer. Notre atelier et nos machines ne sont pas aux normes, alors quand on travaille à son compte il n’y a pas de problème, mais quand il faut embaucher c’est une autre histoire. Tout remettre en état nous coûterait beaucoup trop cher. »

Pour l’instant, Chantal Gander peut encore garder l’atelier en l’état. Puis elle verra pour la suite :

« En ce qui concerne les machines, nous en avions sept. Deux d’entre elles ont été vendues à Cédric Plumey, un tisserand à Montbéliard, c’était ce que Michel voulait. Si ce jeune était venu deux ans plus tôt, nous aurions pu le former pour faire du kelsch. D’ici deux à trois ans, je verrai ce qu’il adviendra des cinq autres machines. »

L’atelier de Michel Gander à Muttersholtz. (doc remis)

Pas de reprise franc-comtoise à espérer

Cédric Plumey a ouvert une manufacture à Étupes dans le Doubs, non loin de Montbéliard, son atelier s’appelle Métis. Ses métiers à tisser datent de la fin du XIXe siècle et viennent d’un peu partout en Europe. Mais Cédric Plumey n’a pas l’intention de tisser du kelsch, pour l’instant. Dans le pays de Montbéliard, un tissu ressemblait au kelsch, la verquelure. Plus aucune fabrication de ce tissu n’existe en Franche-Comté. Pour Chantal Gander, le problème est surtout que ce savoir-faire artisanal ne se soit pas transmis :

« Trouver quelqu’un qui sait dessiner, tisser, tout faire comme mon mari, c’est quasiment impossible aujourd’hui. Ce qu’il faudrait, c’est qu’il existe encore quelques hurluberlus comme lui pour reprendre une fabrication de kelsch. »

Dans la région de Strasbourg, beaucoup de commerçants se fournissaient chez Michel Gander. Le magasin Art et Collection d’Alsace, place du Marché-Aux-Poissons à Strasbourg, n’a plus de stock. Tout est parti très vite suite au décès de Michel Gander. L’une des commerçantes affirme : « pour l’instant nous n’avons plus rien, mais nous sommes sur une piste. »

La Coudrerie à Wasselone ou encore Broderie déco, à Ingwiller, eux aussi se fournissaient en kelsch à Muttersholtz et sont à la recherche d’un nouveau fournisseur. Dans le magasin plaisirs d’Alsace à Strasbourg, le kelsch est encore présent sur les étals. Nathalie Wilm, gérante du magasin, ressent un regain d’intérêt pour ce tissu :

« Le kelsch part vite et intéresse tout le monde, c’est un tissu de qualité. Après le décès de Michel Gander, sa femme m’a contacté pour que je reprenne un stock. Michel Gander a réussi à moderniser ce tissu. Il a créé de nouvelles couleurs, de nouveaux imprimés. Il est important que la fabrication de kelsch reste dans la région ! »

Des petits cœurs en kelsch de plus en plus rares au marché de Noël, place Boglie. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Le dernier atelier de Sentheim est incapable d’absorber la demande

Si la fabrication de kelsch ne s’est pas installée plus largement en Alsace, c’est surtout parce que ce savoir-faire se transmettait de manière orale et par la pratique. Il n’y a que très peu d’informations écrites. Sur le site internet de la fabrique de Kelsch à Sentheim, il est écrit : « la tradition ne veut pas dire remuer les cendres mais entretenir la flamme ». C’est ce à quoi s’emploie le couple Abraham. À Sentheim, ils sont devenus les derniers à tisser du kelsch.

Mais ici, pas de mécanique. Les métiers à tisser de Marlène et Gérard Abraham sont à bras. Conséquence, pour disposer les fils et préparer le tissage, cela prend trois à quatre jours. Pour tisser un mètre de tissu, il faut compter 3 heures. Marlène Abraham a 65 ans, elle aussi est déçue. Aucun repreneur ou apprenti ne s’est présenté à elle :

« Lorsque mon époux a été retraité, il m’a rejoint, nous tissons tous les deux. Mais personne d’autre ne s’intéresse à la fabrication du kelsch. Pour essayer de faire connaître le tissu et sa fabrication, nous faisons des stages d’initiation sur des petits métiers à bras. Les clients ou les curieux confectionnent une pièce qui peut être une écharpe, un sac. Nous faisons cela régulièrement, ça marche bien. En soit, la technique est simple, pas besoin de sortir de polytechnique pour créer une nappe. Bien sûr, s’il n’y a personne pour reprendre, ce sera la perte d’une tradition. »

Depuis le décès de Michel Gander, Marlène Abraham croule sous les appels et les commandes. Mais sans mécanique, elle ne peut pas répondre à toutes les demandes. À l’atelier, ils commandent les matières premières :

« Pour le lin, il vient du Nord de la France. Pour le coton, c’était plus difficile à trouver. Nous avons un fournisseur en Alsace mais les fils sont tous écrus, il faut les teindre pour créer du kelsch. »

Le couple est donc à la recherche d’un teinturier. Pour que le kelsch reprenne vie, il faudrait trouver des passionnés, selon Marlène Abraham :

« Je suis fière de la culture régionale, tisser, c’était mon deuxième travail. On ne m’a pas élevé dans le tissage, c’est vraiment parti d’un loisir, d’une passion. On a été autodidacte dans la création. Lorsque j’avais 20 ans, nous avons rencontré une dame qui faisait du kelsch. Et nous sommes tombés à genoux devant ce tissu. Ça m’a rappelé tous mes souvenirs d’enfance. À cette époque, Michel Gander n’était pas encore en activité. En fait, avant que nous ne commencions et avant que Michel Gander ne commence également dans le kelsch, il y avait un moment de flottement aussi. Plus personne ne faisait ce tissu. »

Vers une reprise semi-industrielle du kelsch

Mais si le kelsch pourrait se ménager une deuxième vie, c’est peut-être grâce à Pia Clauss. Ce tissu est « la marque de fabrique » de son association Hélène de cœur, où des bénévoles créent des objets de décoration en kelsch, des peluches, sacs à bouteille, des couronnes, etc. Ils sont vendus en faveur de la recherche sur les morts subites non expliquées, un drame qui a touché la fille de Pia Clauss en 2010.

Pour ne pas avoir à stopper l’activité de son association, Pia Clauss a cherché un nouveau fournisseur. Et c’est l’entreprise Emanuel Lang de Hirsingue qui a répondu à son appel. Pia Clauss a développé de son côté une nouvelle marque, Kelsch d’Alsace in Seebach (11 route de Schleithal à Seebach) :

« Le fabriquant est un industriel alsacien qui fait pour la première fois du kelsch. Nous ne sommes plus dans l’artisanat pur, mais beaucoup de choses peuvent aujourd’hui être automatisées pour faire perdurer le kelsch. L’entreprise ne prendra pas les commandes directement, je m’occuperai de commercialiser le kelsch auprès des particuliers et des professionnels. »

Elle s’est largement intéressée au kelsch, à son histoire, ses significations. Pour elle c’est un héritage à perpétuer. Son objectif est aussi de lui donner un petit coup de jeune :

« Je voudrais que le kelsch ne soit pas cantonné aux serviettes ou aux nappes. Pour moi, il est possible de mêler cette tradition à une certaine modernité. Relooker, customiser, c’est peut-être la rusticité du tissu qui a fait qu’on l’a presque oublié. Mais le kelsch peut aussi être moderne, vous verrez. »

Une renaissance aussi industrielle

Après une fermeture en 2013 et être passée tout près de la liquidation, l’entreprise Emanuel Lang, anciennement Virtuose SAS, produit des tissus de haute qualité depuis janvier 2014. L’entreprise a été absorbée dans le groupe de Pierre Schmitt, Velcorex – Matières Françaises, qui compte également Philea à Soultz, Velcorex à Saint-Amarin et Tissage des Chaumes à Sainte-Marie-aux-Mines.

Pour Pierre Schmitt, après le décès de Michel Gander, il fallait agir :

« Aujourd’hui, beaucoup de gens parlent du kelsch. La mort de Michel Gander aura été un électrochoc, nous ne pouvions pas laisser ce savoir, cette tradition alsacienne disparaître. Nous sommes des industriels, nous ne pouvons pas créer en petite quantité, une commande doit porter au minimum sur 500 mètres pour que cela soit rentable. Avec cette filière de distribution, c’est une belle histoire qui commence. Il s’agit de faire évoluer ce tissu, innover dans les motifs, les couleurs, le mélanger avec de nouvelles matières. Nous avons les moyens de faire perdurer cette tradition et de faire redécouvrir le kelsch. Je suis ravi de voir qu’il y a une prise de conscience. C’est un art traditionnel important pour l’Alsace. »

Christian Didier, quant à lui, est le responsable de l’entreprise Emanuel Lang. Lui aussi est fier de faire vivre le kelsch à nouveau, de pouvoir le retravailler :

« Nous voulons reprendre le flambeau de Michel Gander. Lorsqu’il était en activité, nous lui livrions déjà des fils teintés. Nous avions donc déjà le savoir faire, mais c’est bien la première fois que l’on fait du kelsch de A à Z. Dans l’entreprise, nous sommes une vingtaine de personnes avec 35 métiers à tisser. Nous faisons déjà des vêtements en chanvre, en lin et nous sommes en création de textile en ortie. C’est une fierté de faire revivre le kelsch. C’est un accouchement difficile mais nous sommes de plus en plus opérationnels. »

Une réalisation de kelsch, certes un peu plus industrielle, restera donc en Alsace. La filière balbutiante devrait être labellisée, sous l’oeil bienveillant du cluster Alsace terre textile, qui a suivi la structuration.


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