Il y a un an environ, j’obtenais avec bonheur un jardin familial. Après plusieurs tentatives frustrantes de jardinage au balcon, j’allais enfin pouvoir exprimer toute ma créativité dans le design de mon jardin et tester mes connaissances livresques sur près de 200 mètres carrés de terrain, rien qu’à moi. Empreinte de beaux idéaux et bien au fait des principes mis en valeur par la Ville de Strasbourg, propriétaire de mon lopin, je me suis attelée au défrichage et à la mise en terre de mes plants, après semis dans mon salon.
La première année, bien que très courte, m’a enthousiasmée. Mais rapidement, j’ai pris conscience que les relations étaient légèrement tendues avec certains de mes voisins, jardiniers au long cours et adeptes de pratiques bien différentes de celles vers lesquelles je tendais. Mon entrain n’a pour autant pas faibli. Néanmoins, observant semaine après semaine les têtes blanchies autour de moi, peu enclines à me féliciter pour mon élevage de limaces, je n’ai pu que constater que jardiner, contrairement à ce que je croyais, est une activité largement réservée aux retraités, masculins de préférence et pas très écolos.
Grand écart entre générations… et pratiques
Étais-je témoin d’un grand écart entre l’engouement des jeunes pour le jardinage naturel et la réalité de ce qui se passe dans la majorité des jardins privés ou familiaux à Strasbourg ? « Oui », confirme Éric Charton, animateur du Club Relais jardin et compostage, missionné par l’Eurométropole (et financé par l’Ademe) pour conseiller les jardiniers dans l’agglomération, organiser des visites de jardins, créer un réseau de structures assurant la promotion du jardinage naturel et rédiger une lettre mensuelle, accessible à tous.
Rue89 Strasbourg : est-ce que jardiner, contrairement à ce que l’on s’imagine, à lire ou voir les reportages sur le jardinage urbain à travers le monde, c’est encore surtout un truc de vieux ?
Éric Charton : « Et bien… oui ! Je distingue trois catégories de jardiniers. Il y a d’abord les 20-35 ans : ceux-là n’ont pas de jardin, mais ont une grande envie de jardiner. Des femmes enceintes ou des pères avec leur bébé viennent me voir sur les salons, à la Foire Eco-Bio de Colmar ou à l’exposition fruitière d’Eschau (le week-end du 18 septembre), assistent à mes cours. Une jardinière leur suffit, ils ont la fibre environnementale, sans être forcément écolos… Parfois, ils ont accès au jardin de leurs parents, mais ne sont pas libres de jardiner comme ils veulent. Certains me disent : « Je t’envoie mon père » !
A l’opposé, on trouve les 55-80 ans. C’est mon public principal. Ceux-là ont tout, les connaissances et le terrain. Ils ont toujours fait du jardinage, et même s’ils ont arrêté à un moment, parce que c’était plus facile d’acheter les légumes au supermarché, ils savent faire. Et il ne leur faut pas grand-chose pour réveiller leurs souvenirs.
Et puis, il y a la génération sacrifiée, les 35-55 ans ! Leurs parents ne leur ont pas transmis le savoir. On a même veillé à ce qu’ils n’aient plus aucun lien avec la nature. Pour eux, le jardin est un lieu de loisirs : barbecue, table de ping-pong et chaise longue. C’est eux qu’aiment les commerçants : ils achètent des potagers en carrés et du broyat foncé, et attention, on n’a pas intérêt à les critiquer ! »
Rue89 Strasbourg : comment le Club que vous animez peut-il convaincre cette grande majorité de jardiniers installés à amener plus de naturalité dans leur jardin ?
Éric Charton : « 99% de ceux qui ont un jardin, autour de leur maison ou dans les lotissements de jardins familiaux [ndlr, 5 000 lopins à Strasbourg], ne font pas de jardinage naturel. Dans le Club que j’anime depuis 5 ans, tout mon travail consiste à leur expliquer que jardiner au naturel, ce n’est pas un style, mais un comportement. Parce que si je dis que c’est un style, la majorité des jardiniers qui en ont un autre n’y adhérera pas.
Mon but est de créer un réseau d’acteurs complètement différents, avec des communes, des commerçants, des associations, qui vont porter la bonne parole auprès de leur public, clients, administrés, etc. Au départ, il s’agissait de réduire la quantité de biodéchets verts, en compostant. Maintenant, j’explique qu’il ne faut pas que composter, mais qu’il faut surtout pailler !
En gros, il y a deux styles : ceux qui plantent droit et ceux qui ne plantent pas droit. Pour que chaque jardinier amène plus de naturalité dans son style, il faut d’abord ne pas le stigmatiser. On a le droit de mettre des nains dans son jardin, de semer à la volée, par dessus son épaule ou tous les 3,5 centimètres !
L’idée, c’est de ne pas porter de jugement, mais d’amener de l’information, sur les méfaits des pesticides, comme le glyphosate par exemple. Quand on explique que ce produit sera complètement interdit en 2019, les jardiniers se demandent comment ils vont faire sans engrais de synthèse, sans désherbants sélectifs… Je leur propose des alternatives. Et puis, comme je ne suis plus vraiment jeune, que je suis rond, que je fais des blagues et que je suis un mec, ils adhèrent ! »
Rue89 Strasbourg : alors, comment permettre aux différents « styles » de cohabiter ? Peut-on envisager une évolution de fond ?
Éric Charton : « Celui qui plante droit plantera toujours droit. La cohabitation entre les différents styles est très complexe. Une fois qu’un jugement est posé, impossible de discuter.
Au fil des années, on est passé du jardin nourricier, qui avait cours jusque dans les années 1960, au jardin de loisir quasi mono-variétal (thuya, cyprès, gazon) et on revient aujourd’hui vers du nourricier, avec l’envie, le besoin même, de voir du vert, de manger du vert et de comprendre le vert.
Je suis contre le nivellement par le bas : semer, composter, point. Au contraire, je crois que c’est grâce au jardin qu’on va réapprendre ce qu’est le vivant, comme avant dans le jardin du curé ou de l’instituteur. Sauf que les enfants qu’on a aujourd’hui en face de nous… ce sont des adultes. »
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