Le Pr Patrick Wachsmann s’inquiète de la « sous-utilisation certaine » de son bureau. Un an après son intronisation, c’est l’une des interrogations du déontologue de la Ville de Strasbourg, inscrite dans son premier rapport d’observations annuelles. Le professeur de droit public à l’université de Strasbourg se dit « mitigé » sur son début d’expérience bénévole.
Ses observations ressemblent fort à notre point d’étape réalisé fin octobre. Le déontologue n’a toujours reçu aucune plainte émanant d’un Strasbourgeois (y compris de l’administration), tandis qu’une « dizaine » de déclarations d’intérêts sur les 44 possibles lui ont été rendues. Les 7 conseillers écologistes ayant tous remis la leur, on devine que parmi les élus FN, de droite et même du PS, pourtant à l’initiative de la charte de déontologie, rares ont été les convaincus du bien-fondé de la démarche. Ce que le déontologue ne manque pas de dénoncer.
Quant à l’absence de plainte, il l’explique comme dans nos colonnes par un manque de connaissance de sa fonction. Peut-être aussi que l’issue inconnue des démarches a découragé les Strasbourgeois, en incapacité de faire leur autocritique sur le dispositif.
De plus, Patrick Wachsmann n’a été consulté que par 4 élus pour s’assurer que leur situation ne prête pas à la critique, alors que son rôle de conseil était l’une de ses fonctions principale. Une des demandes a nécessité une seconde entrevue. Au chômage technique, le déontologue a suspendu sa permanence hebdomadaire.
Peu de coopération de la part des élus
Le déontologue distingue la situation des 20 adjoints et du maire, qui sont déjà tenus de remplir une déclaration d’intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (Hatvp), de celle des 44 conseillers municipaux. Concernant les adjoints, il s’étonne de leur manque de coopération pour publier leur déclaration sur le site de la ville de Strasbourg, comme ils s’y étaient pourtant engagés :
« Il a fallu deux relances successives du Maire pour que ces déclarations puissent être publiées au courant du mois d’octobre [juste avant un colloque sur ce thème organisé à Strasbourg ndlr] – toutes n’ont pas été transmises directement, fût-ce en copie, au déontologue. À ce jour (12 janvier 2016), trois adjoints n’ont pas encore mis leur déclaration d’intérêts à la disposition des services de la Ville en charge de leur diffusion. Il paraît fâcheux qu’alors même qu’il s’agit de déclarations déjà rédigées à l’intention de la Haute Autorité et disponibles depuis peu sur le site de celle-ci, leur mise à la disposition du public strasbourgeois et leur transmission au déontologue, selon des modalités arrêtées par la Ville, s’avère si laborieuses. Aucun des arguments mis en avant devant la presse pour expliquer cette attitude ne résiste en effet à l’examen. Le Conseil d’État ne considère pas le droit au respect de la vie privée comme fondé ni à l’égard des responsables politiques et administratifs concernés ni à l’égard des personnes ayant une « vie commune avec le déclarant ». La discussion est donc close sur ce point : il faut rappeler que l’engagement politique, surtout lorsqu’est en cause un mandat électif, suppose une initiative de l’intéressé et que l’exercice de responsabilités publiques emporte une forte relativisation du droit de se prévaloir du secret de la vie privée (…). L’argument pris de la lourdeur des obligations déclaratives pesant sur les élus, quant à lui, apparaît un peu dérisoire en l’espèce. »
Optimiste, le déontologue espère recevoir les documents « très rapidement ».
« Le crédit de nos institutions est en jeu «
Au sujet des conseillers municipaux, remplir une déclaration d’intérêt relève du volontariat, comme le stipulait la charte de déontologie votée par le PS, les écologistes, l’UDI et le FN (la droite demandait en vain une suspension de séance lors du vote). Comme il s’agit d’un document que seul le déontologue peut consulter, c’est le manque de volonté que regrette le professeur de droit public :
« Le déontologue ne peut que constater, avec regret, qu’un an après cette résolution, seule une dizaine de déclarations lui a été transmise, ce qui représente moins d’un quart des conseillers municipaux concernés. Cette situation lui apparaît peu justifiable. Elle ne peut que jeter le doute sur la sincérité de la volonté de donner à la déontologie un rôle majeur au sein du conseil municipal et sur l’authenticité du désir d’instaurer un climat de confiance avec le déontologue. (…) C’est, par conséquent, avec préoccupation que le déontologue constate que le volontariat auquel fait appel la délibération du 26 janvier 2015 modifiant la Charte de déontologie du Conseil municipal de Strasbourg ne s’est que très faiblement traduit en actes. On ne peut à la fois se plaindre de la désaffection que rencontrent les élus auprès de leurs concitoyens et refuser de mettre en œuvre des délibérations du conseil municipal destinées à renouer des liens de confiance. C’est le crédit de nos institutions qui est en jeu : rien ne le ruine davantage que l’accumulation de textes non suivis d’effets du fait de l’inertie de ceux-là mêmes à qui incombe leur mise en œuvre. »
Les recommandations n’intéressent guère
On apprend par ailleurs qu’il a a donné un avis « nettement et absolument défavorable » à la demande d’un élu d’être employé par la Ville ou l’une de ses entités assimilées. « On ne peut être à la fois intégré dans une hiérarchie administrative et investi de la responsabilité de définir les règles que devra suivre le service en cause et d’en assurer le contrôle », justifie, entre autres, le déontologue.
Il regrette aussi que ces deux notes de recommandations n’aient guère été suivies d’effets. L’une, au mois de juin, préconisait une déclaration motivée lorsqu’un élu reçoit un cadeau d’une valeur supérieure à 100€ et de le laisser au service du protocole. Six mois plus tard, aucune déclaration ne lui a été adressée même s’il n’est pas possible de savoir si la situation ne s’est pas présentée ou si la recommandation n’a pas été suivie. La seconde, suite à un arrêt du conseil d’État, préconisait de sortir de l’hémicycle strasbourgeois lorsqu’une structure dont on est membre est concerné par une décision. Cette note et cette recommandation n’ont suscité aucun retour de la part des élus, alors que le déontologue en avait fait la demande.
Un rapport en débat au prochain conseil municipal
Dans sa conclusion, le déontologue se demande si sa fonction dépassera « l’effet d’annonce » :
« En achevant ce premier rapport annuel, le déontologue ne peut qu’exprimer des sentiments mitigés. Il est clair que l’institution même d’un déontologue de la Ville de Strasbourg constitue un point extrêmement positif, dans la volonté de la municipalité d’être exemplaire dans la lutte contre les conflits d’intérêts et que cette création a été vécue très positivement par beaucoup de conseillers municipaux. Le risque existe néanmoins que l’institution s’épuise dans cet effet d’annonce (…). Le faible volume de l’activité au titre de cette première année est-il dû à la nouveauté de l’entreprise et à une diffusion encore insuffisante de son existence et de son champ ou à une réticence persistante de certains envers l’obligation de rendre compte au public de l’exercice de leurs responsabilités ? »
Lors du conseil municipal du lundi 25 janvier, le maire (PS) Roland Ries a promis un débat suite à ce rapport lors de la prochaine séance, le 22 février. Assez de temps pour que les récalcitrants remettent leur déclaration d’intérêts d’ici là. Le bureau du déontologue va peut-être de nouveau servir.
Aller plus loin
Sur Strasbourg.eu : le rapport du déontologue de 2015 (PDF, 17 pages)
Sur Rue89 Strasbourg : Le déontologue à Strasbourg, immobile en attendant une première plainte
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