Près de 1 600 victimes potentielles sont invitées à s’exprimer à partir de jeudi lors du procès de la pollution à l’amiante du Parlement européen de Strasbourg. En octobre, une centaine d’entre elles avaient pris d’assaut le palais de justice de Strasbourg, décidant le juge à reporter l’audience au mois de janvier, faute de place et de temps suffisant pour entendre tout le monde. Au moins 300 parties civiles sont enregistrées à ce jour dans ce procès correctionnel hors norme.
L’accident jugé aujourd’hui remonte à février 2013. Le Parlement européen a engagé des travaux dans le plus vieux de ses deux bâtiments, le Winston Churchill, pour transformer l’ancien bar des chauffeurs en bureaux. Des poteaux sont percés, malgré l’avertissement du Parlement quant à la probable présence d’amiante sur les lieux. L’opération libère des poussières, potentiellement cancérigènes. Deux semaines plus tard, les tests révèlent que ce sont bien de fibres du dangereux isolant.
Une procédure à la demande de l’inspection du travail
Pendant ce laps de temps, le chantier est resté ouvert, le personnel du Parlement a circulé tout autour. Pour Carine Cohen-Solal, avocate de près de 90 personnes, agents du Parlement, agents du Conseil de l’Europe et salariés de sociétés extérieures, l’exposition de ses clients a été évidente :
« Beaucoup de poussières ont atteint les bureaux à proximité du chantier. Plusieurs centaines de mètres carrés ont été contaminés pendant ces deux semaines, avant le confinement de la zone. C’était un lieu très exposé avec beaucoup de passage. Il faut bien comprendre que ça ne s’est pas passé dans un coin avec des portes fermées. Une passerelle se situe à proximité de la zone amiantée où les agents peuvent circuler entre le Parlement et le Conseil de l’Europe. »
À l’époque, le Parlement européen minimise l’incident. Mais, alertée par les services techniques, la Direction régionale du travail (Direccte) déclenche une alerte sanitaire et saisit le procureur de la République. Celui-ci engage une procédure correctionnelle à l’encontre de trois prévenus : l’architecte en charge des travaux, la société qui a effectué ces travaux et le coordinateur sécurité et prévention du chantier.
Le Parlement européen réclame une indemnisation
Aujourd’hui, les agents et salariés parties civiles demandent la reconnaissance du préjudice moral, comme l’explique Me Carine Cohen-Solal :
« Mes clients sont aujourd’hui des personnes saines. Mais l’exposition à l’amiante peut déclencher des maladies au bout de 20, 30 voire de 40 ans. Le plus important, c’est donc que soit reconnue à mes clients leur qualité de victimes, afin qu’ils puissent demander réparation plus tard, le cas échéant. »
Le Parlement européen s’est aussi constitué partie civile dans ce procès. Il réclame l’établissement des responsabilités des prévenus et l’indemnisation du préjudice subi, à savoir le financement partiel des travaux de désamiantage et de dépollution qui ont suivi l’accident.
Pour le défenseur de l’architecte en cause, Me Renaud Bettcher, c’est le Parlement européen qui devrait aujourd’hui être sur le banc des prévenus :
« Dans ce dossier, tout le monde se défausse sur tout le monde et on envoie les petits au casse-pipe. Ma cliente n’est pas spécialisée en détection d’amiante et le plâtrier n’est pas habilité pour ça non plus. Certes, l’architecte savait qu’il y avait de l’amiante, mais à partir du moment où le Parlement, maître d’ouvrage le savait, elle pensait que c’était désamianté. Elle n’était que maître d’oeuvre. D’après la loi, c’est bien le maître d’ouvrage qui est responsable de ses locaux et doit faire en sorte que tout soit désamianté. C’est un scandale que le Parlement n’ait pas été désamianté. Et ça n’a pas été fait parce que ça coûte une fortune. »
Le Parlement européen rappelle de son côté que la percée des piliers amiantés n’étaient pas prévue dans les travaux qu’il avait commandés et qu’en tant que propriétaire, il avait réalisé avant ces travaux un dossier technique avec repérage de zones amiantées dont il avait informé ses opérateurs. Selon l’institution, le bâtiment datant d’avant 1997, elle n’était pas dans l’obligation de le désamianter, mais seulement de s’assurer que celui-ci ne puisse pas libérer de fibres.
Me Carine Cohen-Solal n’a pas souhaité réagir quant à une possible responsabilité du Parlement. Pour elle, une chose est sûre :
« Les trois prévenus sont responsables. Chacun d’entre eux aurait pu éviter l’accident. »
Le procès doit se tenir dans la salle des procès d’assises, place d’Islande. Le chambre commerciale se tient à disposition avec un dispositif de visioconférence en cas d’affluence trop importante.
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