Au coeur de la maille Catherine, dans le quartier de Hautepierre, il y a foule en ce vendredi après-midi. Il est quinze heures trente, la cloche sonne. Sous la pluie, les enfants sortent par petits groupes de l’école où attendent les parents qui discutent entre eux.
Malgré les gouttes, certains petits téméraires s’attardent sur les aires de jeux installés à quelques mètres. D’autres empruntent les allées piétonnes qui mènent jusqu’aux immeubles entourant la place. Un peu plus loin, des voitures roulent au ralenti sur des chaussées rétrécies et avancent jusqu’au centre médico-social.
Maille Jacqueline, deux garçons s’amusent à un jeu de sonnette et courent se cacher entre les voitures garées sur l’un des nouveau parkings privatisés. Maille Karine, des mamans avec poussettes passent derrière les grilles qui délimitent l’espace entre le trottoir et les bouts de jardins.
Au revoir coiffeur de rue, bonjour clôtures
Après six ans de rénovation urbaine, et 155 millions d’euros investis, l’intérieur des trois mailles concernées par la première phase des travaux a profondément modifié leur aspect faisant apparaître clôtures, végétation et trottoirs élargis. Mais avec ces transformations, les habitants regrettent l’esprit du quartier qui s’en est allé : fini le coiffeur installé dans son Van qui dépannait une coupe de cheveux à peu de frais ou le garagiste improvisé qui réparait les voitures du quartier. Ils ont disparu avec la rénovation. L’idée de faire de Hautepierre un quartier « comme les autres » a fait son chemin.
Outre le bâti, la première phase du plan de rénovation urbaine entamé en 2009 sur les mailles Catherine, Karine et Jacqueline a aussi redessiné l’espace. Mesure phare du premier plan de l’Agence de rénovation urbaine (ANRU), la résidentialisation devait permettre de clarifier les espaces publics et privés, ces derniers étant quasi inexistants auparavant dans le quartier.
Originaire du quartier Syamak Agha Babaei, vice-président (PS) de l’Eurométropole en charge de l’Habitat, détaille :
« L’idée c’était notamment qu’on organise un peu le parking qui était complètement anarchique avant. Et offrir aussi des espaces verts de qualités mais moins chers et surtout plus simples à entretenir. Entre le quartier que j’ai connu dans mon enfance et maintenant, c’est incroyable de voir comment il s’est transformé. Aujourd’hui, on a l’impression que les immeubles qui ressemblent à des HLM ne le sont plus, mais ressemblent à des copropriétés privées. »
« Finis les coins où l’on va faire les 400 coups »
Car c’est bien là l’objectif de la résidentialisation : faire en sorte qu’en se réappropriant l’espace, les habitants se sentent chez eux, surveillent les lieux de vie qu’ils ne dégradent pas eux-mêmes. Un aspect sécuritaire d’autant plus développé qu’il participe à la normalisation des quartiers concernés par la rénovation urbaine. Le but : contribuer à changer l’image de Hautepierre, de la Meinau ou du Neuhof, en partie classés en zones urbaines sensibles (ZUS) et donner des gages de sécurité afin d’attirer de nouveaux habitants aux revenus plus élevés pour créer de la mixité sociale.
Maurice Blanc, professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg, considère que la résidentialisation casse l’âme des quartiers populaires :
« Il y a la version soft qu’on donne aux habitants : au lieu d’avoir un grand espace, vous aurez chacun votre parcelle et ça sera très bien. Ce qui n’est pas dit, c’est aussi une vision policière. C’est un urbanisme policier dans lequel il ne faut pas qu’il y ait le moindre recoin qui puisse échapper au projecteur de la police. En gros : ceux qui n’ont rien à faire dans le quartier n’ont pas à y être.
Fini le squattage, finis les échanges, finis les coins où on va s’amuser et faire les 400 coups quand on est gamin. Tout ça, il faut que ça soit contrôlé et net. Sans compter la vidéo surveillance, bien entendu.«
Au Neuhof, l’arrivée de « gens d’un autre niveau »
Au Neuhof, la rénovation urbaine a été engagée dès 2005. Près de 283 millions d’euros ont été investis dans ce quartier de 8 000 logements dont la moitié à vocation sociale. La résidentialisation de certains immeubles, alimente chez une partie des habitants cette impression que certaines transformations sont réalisées uniquement pour des nouveaux résidents qui ne cohabitent pas toujours avec les anciens.
Sylvain Girolt, président de l’association de gestion des ateliers du Neuhof, en témoigne :
« On a vu arriver des gens d’un autre niveau et qui ne se mélangent pas. Ils vivent barricadés dans des immeubles dans lesquels vous ne pouvez pas entrer même pour coller des affiches. La rénovation a apporté une autre image du quartier avec l’arrivée du tram et les façades refaites. Mais à l’intérieur du quartier, il reste de nombreuses plaies notamment les bâtiments délabrés. C’est ça le Neuhof : une jolie vitrine mais des étagères qui sont poussiéreuses.«
Une diversité du bâti qui ne se retrouve pas dans la rue
Une étude de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (Oriv) réalisée en janvier et février 2013 souligne une amélioration de la mixité au Neuhof notamment depuis la construction à l’entrée nord de 179 logements privés. Davantage attirés par des prix plus bas que par le quartier, les habitants du parc privé ont un profil très différent de la ZUS : jeunes couples propriétaires, souvent cadres, avec peu ou pas d’enfants.
Les différentes catégories de populations se croisent dans ce que l’Oriv appelle des « lieux de frottements« : la médiathèque, la mairie, le supermarché, ou le parc Schulmeister. Mais cette étude relève aussi que les habitants des nouveaux logements se rendent plus difficilement à la Poste place de Hautefort, dans la cité.
Nouer un lien social semble difficile car au Neuhof comme à la Meinau, rue du Baggersee, les ensembles privés se situent en périphérie des quartiers. Mathieu Cahn, vice-président (PS) de l’Eurométropole le reconnaît :
« On a aujourd’hui des populations différentes qui sont arrivées dans ces quartiers ou des habitants qui ont pu accéder à la propriété. Il s’est opéré un véritable changement d’image car au départ ils avaient une vision très négative du Neuhof. Mais la mixité se construit dans les lieux de vie et là, ça ne se fait pas encore de manière suffisante.«
De nouveaux cursus scolaires créés pour éviter les contournements
Parmi les lieux de vie, c’est dans les écoles que la mixité se construit le moins. Contourner la carte scolaire, c’est ce que les sociologues appellent la «sécession sans guerre ». Selon l’Oriv, le taux d’évitement à l’entrée en sixième aux collèges du Neuhof est de 28% contre 8,5% dans le reste du département. À la Meinau, l’école Jean-Fischart a ouvert une section bilingue franco-allemande et l’école de la Canardière propose des classes de musiques. Une façon de maintenir les enfants des nouvelles populations dans le quartier.
À Hautepierre, les membres de l’association Horizome, présente sur le quartier depuis 2009, notent qu’on ne résout pas les problèmes sociaux par le bâti :
« Faire venir le tram, rénover les mailles sont des choses très positives. Mais au-delà de la vision « BTP » des choses, il faut aussi traiter les problèmes de fond. Les rénovations urbaines à venir devront traiter de manière équilibrée les problématiques sociales, de vie, d’économie locale et d’infrastructures.«
Le second volet de la politique de rénovation urbaine (ANRU 2), dont la convention de financement a été signée le 2 octobre, prolongera les travaux entrepris à Hautepierre, au Neuhof et à la Meinau et consolider les actions pour la mixité sociale.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg: Pourquoi Hautepierre va devenir un quartier comme les autres
Dans la Gazette des Communes : La rénovation urbaine échoue à réaliser la mixité sociale selon un rapport du Comité d’évaluation
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