Le 8 décembre 2014, un élève de troisième du centre de formation de Racing Club de Strasbourg Alsace (on parle plus exactement « d’association du Racing Club de Strasbourg Alsace » car il n’ y a plus l’agrément qui correspond à un club professionnel) se tape la tête contre un mur d’un terrain couvert lors d’un entrainement entre midi et deux. Un accident. Bien que sonné, le jeune homme dit que « ça va » et retourne en classe. La mère de l’adolescent garde un souvenir amer de cette journée :
« Je l’ai emmené le soir aux urgences. L’infirmière a tout de suite vu qu’il avait un traumatisme, notamment car il avait perdu connaissance et s’était uriné dessus. Il n’aurait pas dû retourner en classe. Ensuite, le Racing ne m’a transmis les papiers pour l’assurance que 15 jours après – avec des fausses dates – alors que la loi prévoit un maximum de deux jours. Le club a aussi minimisé sa responsabilité. S’il y a avait eu des séquelles j’aurais porté plainte. »
L’incident s’est déroulé lors d’un cours de la section sport-études du collège-lycée Jean Monnet. L’ancienne proviseur Amina Ajbali (elle a été promue à Rabat au Maroc durant l’été) se souvient avoir agi dès qu’elle a eu connaissance de l’incident :
« Le directeur du centre, François Keller, a tout de suite reconnu qu’il y avait eu une faute grave ce jour là et qu’au total deux encadrants étaient manifestement incompétents. L’un n’est plus au Racing et l’autre a été déplacé sur une autre mission de recruteur. À partir du moment où j’estime qu’il n’y a plus de danger pour mes élèves, je n’ai pas à intervenir davantage dans les affaires du club. »
Aujourd’hui, le directeur François Keller (ancien entraîneur de la réserve entre 2003 et 2011, puis de l’équipe première en CFA 2 et CFA, et frère du président du club Marc Keller) minimise l’impact de l’incident dans ses décisions vis-à-vis du personnel :
« Le jeune a dit que ça allait, peut-être pour faire le dur devant les copains, et l’encadrant (23 ans), pourtant diplômé, a fait une erreur qui aurait pu être grave. Il ne le refera plus jamais de sa vie c’est sûr et continue à exercer ailleurs. Il y a eu deux autres changements sur 11 entraîneurs, mais qui n’ont rien à voir avec l’incident. Une personne est allée sur un poste de recruteur, car je pense qu’il est plus doué pour cela, et une autre dont je n’étais pas satisfait pour des questions de football. »
Les reproches de parents
C’est la deuxième fois qu’un accident grave est évité. En 2013, un élève de 15 ans était aussi rentré chez lui en train après s’être assommé contre un poteau. Pour quelques parents d’anciens joueurs, la légèreté dans la gestion de cet incident est le témoin d’une dégradation de l’encadrement depuis le retour au statut d’amateur. Tous ont requis l’anonymat, leurs reproches sont nombreux : dérapages dans le vocabulaire, manque de suivi médical et passe-droits… Informée, l’inspection académique a répondu qu’elle n’agirait qu’en cas de plainte.
Pourtant, plusieurs personnes internes et externes à l’organisation pensent que c’est au contraire sous l’impulsion de François Keller, l’un des trois formateurs alsaciens les plus diplômés, que le centre va désormais dans la bonne direction depuis son arrivée en mai 2014. Les reproches des parents ne seraient motivés que par des rancœurs, voire une une nostalgie des années professionnelles, lorsque le budget était deux fois plus important.
Insultes au bord du terrain
Pendant ces dernières saisons quelques mots doux sont remontés aux oreilles des jeunes joueurs du Racing. Exemples : « va te noyer », « la prochaine fois on prendra un vrai Alsacien », « pourquoi tu tends les fesses, tu veux te faire enculer ? »… Une mère reste marquée par ces années :
« Autant sur les choix de football je suis incapable d’avoir un avis, mais sur les mots employés, ça s’est dégradé après 2011. Ça criait et insultait tout le temps. J’ai été choquée et même mes enfants, qui pourtant sont loin d’être des saints, l’ont été. »
François Keller prend ses distances et veut se porter garant du respect des adolescents :
« Je ne peux pas avoir les oreilles partout. Si ces propos ont été prononcés, je les condamne, mais il faudrait savoir par qui et quand. Si j’entends quoi que ce soit de ce genre, c’est dehors. On est une école de la vie, on se doit d’être exemplaire. »
Pourtant, l’ancienne directrice du lycée Jean Monnet Amina Ajbali, en termes diplomatiques, fait aussi part de ce reproche :
« J’ai été étonnée de la manière dont parlaient certains éducateurs. Nous avons mis en place un accompagnement sur le langage et les façons de faire. Cela a été pointé justement par des parents, mais dès qu’on avançait sur quelque chose, ils revenaient à la charge comme si rien n’avait été fait et voulaient juste “couper de têtes”. Il faut y travailler, mais ça ne sera pas résolu du jour au lendemain. »
L’encadrement médical renforcé
Quelques parents reprochent que le nombre de professeurs d’éducation physique est passé de 8 à 2 lors de la liquidation du Racing de 2011. Les encadrants trouvés ensuite, souvent moins expérimentés et désormais bénévoles, seraient moins pédagogues et compréhensifs des adolescents.
Mais Pierre Jacky, directeur technique régional à la Ligue d’Alsace de Football amateur (LAFA), c’est-à-dire en charge de délivrer les diplômes d’entraîneurs, lui, n’a rien à redire sur le niveau des encadrants bénévoles ces dernières années. Mais il salue, l’arrivée de François Keller par rapport au passé :
« Tous les encadrants ont des diplômes et le niveau moyen augmente progressivement. Des postes d’entraîneurs ont été doublés pour certaines équipes cette année. »
Il rejoint la direction, en souhaitant « un juste équilibre » entre prof d’EPS et personnes d’autres horizons. François Keller ajoute « qu’il serait faux faire croire qu’il n’y avait jamais de problèmes avant ». En plus de doubler des postes d’entraîneur pour les équipes de jeunes, les joueurs-étudiants qui suivent une formation en STAPS sont désormais chargés du suivi médical.
Nécessaire, quand on sait qu’avant, les joueurs blessés se retrouvaient seuls en salle de musculation, avec le risque de réaliser des mauvais gestes ou d’aggraver leur blessure. Dans le domaine médical, François Keller met en avant les efforts mis en place :
« Certes il n’y a plus de médecin à temps complet comme à l’époque du statut professionnel, mais on travaille avec un médecin généraliste du quartier et un kiné qui est là deux fois par semaine. Ce n’est pas parfait, mais on fait au mieux avec les moyens que l’on a. »
Depuis la liquidation, trois directeurs au centre
Avec la liquidation du club pour problèmes financiers en CFA 2 (le cinquième échelon du football français) en 2011, les évolutions ont été drastiques : le centre est géré par une association, le budget de 2,5 millions d’euros a été revu à 1,2 million d’euros. Le nombre de salariés est passé à 2 et demi, contre 15 du temps des années professionnelles et tous les entraîneurs sauf deux sont partis.
Le budget de la société du Racing tombe alors à 4 millions d’euros, bien loin des 20 millions de 2008-2009. Mais maintenir cette activité, devenue facultative, permet aussi au club de ne pas complètement disparaître en 2011.
L’association est financée en grande partie par la Région Alsace (400 000€ par an au total pour le club dont 300 000€ pour le centre) et la Ville de Strasbourg et Eurométropole (650 000€ en 2014/2015, bien qu’une légère baisse soit attendue) et quelques recettes propres (buvette, adhésions), la société du RCSA s’assure de combler un éventuel déficit budgétaire.
Depuis la liquidation, un observateur extérieur, qui a aussi souhaité rester anonyme, dégage trois périodes :
« Il y a d’abord eu la reprise en 2011 avec Jean-Marc Kuentz, qui a dû bricoler avec trois bouts de ficelle, puisque des dizaines de joueurs sont partis, parmi lesquels certains sont professionnels aujourd’hui (Dicko à Wolverampton, Gouaida à Hambourg, Mfulu à Reims…). La première année, une équipe de moins de 19 ans a ainsi été alignée “à l’arrache”, faute de monde.
Mais surtout, le passage de Philippe Chauveau, le cost-killer de Frédéric Sitterlé (éphémère propriétaire du Racing entre octobre et décembre 2011, ndlr) qui a tout fait pour réduire les dépenses – même sur les repas ! – a sans doute provoqué le départ de Kuentz et a laissé des traces.
Puis, une période intermédiaire avec Thierry Brand à la direction, durant laquelle le centre vivotait. Il y a tout de même eu une montée des moins de 19 ans en championnat national, ce qui est un atout pour le niveau sportif.
Et enfin, le retour de François Keller en 2014, date depuis laquelle un gros boulot a été abattu au niveau de la structuration et du recrutement. Depuis la montée de la réserve, celui-ci est axé sur de la post-formation, ce qui permet d’assurer la transition jusqu’à l’obtention de l’agrément. Chez les plus jeunes aussi, le recrutement semble plutôt prometteur, le RCS parvient à chercher les meilleurs éléments, parfois au nez et à la barbe de Nancy ou Metz. »
La fin des passe-droit
La première année, François Keller dit avoir a observé l’équipe en place, avant de faire valoir ses premiers choix, dont un recrutement de joueurs plus large géographiquement pour augmenter le niveau sportif, bien que le directeur rappelle que 21 des 32 pensionnaires du centre de formation sont Alsaciens.
Ces choix ne semblent pas avoir été toujours compris, une dizaine de joueurs ayant quitté le club en cours de saison. Certains se sont étonnés que deux joueurs, dont le fils de l’entraîneur de l’équipe première Jacky Duguépéroux, ont pu s’entraîner au centre fédéral de Nancy une structure qui forme les 14-15 ans dans le but d’intégrer un centre de formation professionnel. Une pratique jusque-là interdite pour les licenciés du Racing.
François Keller reconnait que l’an dernier était une exception, mais que la règle est la même pour tous depuis cette année :
« On l’avait juste autorisé à deux enfants c’est vrai, mais maintenant tous les licenciés ont le droit d’aller à Nancy s’ils le veulent, car certains ne voulaient pas venir pour cette raison. Mais si on devient pro on supprimera de nouveau cette possibilité, puisque le but est de garder les meilleurs joueurs et pas qu’ils aillent ailleurs, puisque nous serons nous aussi un centre professionnel. »
On comprend qu’une remontée en Ligue 2, ratée de peu l’an dernier, était attendue la saison dernière et que cette situation ne devait pas durer. Bloqué entre la souplesse que permet une structure professionnelle et des barèmes moins exigeants dont profitent les clubs alsaciens moins côtés, le centre mise en effet sur un retour rapide du club à l’échelon supérieur, en rapprochant ses pratiques de celle des clubs professionnels. Pour cela, il faudra que l’équipe première augmente son niveau de jeu car le début de saison est en deçà des attentes (11ème sur 18 après 6 journées).
Le centre très lié au destin de l’équipe première
Pour François Keller, entre le niveau de 2011 et celui des années pro, le centre a fait la moitié du chemin :
« Si on était monté en Ligue 2, les résultats auraient été plus spectaculaires dès cette année. Un entraîneur m’avait donné son accord à cette condition. On reste très tributaire du statut de l’équipe première. Par exemple, des joueurs qu’un club professionnel pourrait garder avec un contrat stagiaire à 1 000€, ici on ne peut que lui faire un contrat pour l’équipe première de niveau national soit 1 800€ brut. Pour des jeunes de l’équipe réserve (CFA2), ça fait parfois beaucoup et on ne peut que leur proposer 80€ de prime de match, alors ils partent dans d’autres clubs régionaux où ils sont mieux payés. »
C’est en partie pour cela que l’équipe réserve, pourtant promue de Division d’honneur (DH) à CFA2 (du sixième au cinquième niveau), n’a conservé que 5 joueurs d’une année sur l’autre, ce qui a aussi été critiqué. Enfin d’un point de vue scolaire, François Keller estime que les dispositifs sont « dans le top 5 en France pour allier sport de haut niveau et études » :
« Les 4 élèves en STAPS ont tous validé leur première année, tout comme celui en deuxième année. Un a réussi médecine. Il y un partenariat avec l’ISEG (école de commerce post-bac) et un diplôme universitaire à Colmar en management du sport. Le bac, 7 sur 8 l’ont réussi en bac pro commerce et 5 sur 6 pour le bac général. Il y a plus de choix en bac pro car on est associé à 3 lycées contre un seul avant. Ce sont des choses que nous sommes pas obligées de faire. Les jeunes vont désormais au lycée Jean Monnet ce qui les sort du centre où ils étaient un peu coupés du monde, même si c’est vrai que si on redevient professionnel, on fera une formule mixte, car pour les meilleurs éléments, les cours sur place en petits groupes sont un moyen de les faire venir. »
9 joueurs dans l’équipe première, mais un titulaire
Dans ce conflit qui ne semble pas prêt de s’apaiser, c’est un supporter de toutes les équipes du Racing qui synthétise au mieux la situation :
« Les parents s’imaginent que le Racing propose des conditions similaires à un club pro, mais ce n’est pas le cas. »
Ainsi, les déclarations en 2013 d’un entraîneur expliquant que le centre visait à « former des joueurs de Ligue 1 » a pu susciter des espoirs déçus. L’onglet « que sont-ils devenus ? » du site internet joue aussi un peu sur l’ambiguïté puisqu’il mentionne des joueurs non-conservés lors de l’époque professionnelle. Pour ce supporter et observateur, difficile de déterminer le niveau sportif du centre :
« Dès qu’un joueur est au-dessus, il est tout de suite happé par un club pro. Depuis 2011, on peut citer Nicolas Delion, parti à Valenciennes, Bouzenna, parti à Bâle ou Decker, parti à Colmar. Donc, il est difficile de savoir si le club a raté ou non des bons joueurs. »
François Keller met lui en avant que 9 joueurs sur 25 dans l’équipe première sont issus du centre, bien qu’un seul soit titulaire. Motif de satisfaction pour les joueurs qui ont quitté la Meinau, ils seraient « biens mieux maintenant », d’après leurs parents. Certains ont continué le foot, mais pas tous.
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