En cas de suspicion d’un accident vasculo-cérébral (AVC), sachez qu’il vous faudra attendre en moyenne 9 heures et 35 minutes aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) avant que débute votre prise en charge. Ce chiffre un brin effrayant est issu d’une thèse de médecine, soutenue en juin, et portant sur l’accueil de 374 patients aux urgences entre juin et juillet 2013. Et pour l’imagerie cérébrale, ajoutez 3 heures et 36 minutes, en moyenne.
Pourtant, comme dit la pub du Ministère de la santé, en cas de suspicion d’AVC, « chaque seconde compte », tout retard dans le diagnostic ou la prise en charge entraîne de sévères complications et des handicaps lourds. Aux HUS, la difficulté d’accès à l’Imagerie par résonance magnétique (IRM) pour les patients des urgences a pourtant été dénoncée depuis 2007 au moins par les responsables des services des urgences et de neurologie, notamment à la suite de complications chez plusieurs patients.
Ainsi en 2010, une patiente arrivée aux urgences de Hautepierre à 5h du matin avec des fourmillements aux quatre membres n’a pu bénéficier d’un examen IRM que vers 21h, alors qu’elle était devenue tétraplégique depuis 8h du matin !
« Au secours »
En 2011, dans un email envoyé à la direction et intitulé « au secours », le Pr Jérôme De Seze, neurologue au CHU de Hautepierre, s’alarme :
« Que faut-il faire dans ce CHU pour que nos patients puissent avoir accès à une IRM ? Les machines sont saturées par des consultations externes (publiques et privées) et les médecins des services n’ont aucun accès à l’IRM… Mes collègues s’épuisent à demander en permanence ces examens avec un succès de 0% cette semaine. C’est plus que démoralisant. »
Dans un email envoyé au directeur des HUS en juin 2010, le chef du service de neurochirurgie d’alors, aujourd’hui décédé, alerte :
« Nous sommes confrontés à une limitation des examens dans la journée, puisque les créneaux de l’IRM sont très occupés. Beaucoup de patients sont hospitalisés plusieurs jours (de 2 à 8 jours) en attendant des examens d’IRM. »
Des allures de guerre des tranchées
En juillet 2013, lassé par l’inaction de l’hôpital, le Pr Christian Marescaux (à ne pas confondre avec son frère, le Pr Jacques Marescaux qui dirige l’Ircad), adresse un signalement au procureur de la République. Puis il fait publiquement état de ces dysfonctionnements aux HUS en janvier 2014, dans un article de Médiapart. Il cite plusieurs cas de prises en charge inappropriées par les HUS. À partir de là, les relations déjà houleuses entre le neurologue et la direction des HUS prennent une allure de guerre des tranchées.
Lorsqu’en avril, le Pr Christian Marescaux répète ces accusations devant plusieurs médias à la suite du décès du responsable de la neurochirurgie, les HUS décident de le poursuivre pour diffamation publique. L’audience doit se tenir lundi 15 juin devant le tribunal correctionnel de Strasbourg.
Pr Christian Marescaux : « Je grippe la machine à sous »
Pour le Pr Christian Marescaux, cet acharnement n’a qu’un but, étouffer toute critique, envoyer un message à ceux qui seraient tentés de l’ouvrir :
« Je suis celui par qui le scandale arrive, je grippe la machine à sous des examens privés avec mes petits problèmes des patients des urgences, sans le sou et souvent banals. Ce que je dénonce, avec d’autres rares confrères, l’hôpital refuse de le voir, on ne veut pas ouvrir le débat de fond. Cette procédure, c’est l’épilogue de deux années de harcèlement invraisemblable, qui a touché mes proches, une partie de mes collègues, mes supposés soutiens, etc. Mais j’ai préparé avec mon avocat 80 pages de preuves de ce que j’avance, et une centaine de pages d’annexes. On verra bien qui ment au final ! »
Contactée, la direction des HUS n’a pas souhaité répondre à nos questions, indiquant réserver ses arguments pour le tribunal. Mais il est fort possible qu’elle n’ait pas l’occasion de les développer, car une première plainte des HUS en diffamation contre le Pr Marescaux a été jugée irrecevable en mai par la Cour d’appel de Colmar, en raison d’imprécisions dans sa rédaction. Or la seconde, jugée ce lundi, est rédigée avec les mêmes erreurs de formes.
Le débat sur les dysfonctionnements aux HUS risque donc d’être une nouvelle fois escamoté. Et en attendant, le nom du Pr Christian Marescaux a été retiré des entêtes du service de neurologie et toutes ses responsabilités, ainsi que ses gardes, lui ont été retirées.
Aller plus loin
Sur France 5 : Les hôpitaux de Strasbourg mis en cause pour leur prise en charge des AVC
Sur Médiapart : L’hôpital public, fossoyeur des lanceurs d’alerte
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