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Clément Léon, maire de la nuit de Paris : « Strasbourg est idéale pour cette fonction »

« Élu » maire de la nuit par 2 200 fêtards parisiens lors d’un scrutin dans les bars en novembre 2013, Clément Léon représente bénévolement les noctambules. Très informé de la situation strasbourgeoise, il raconte son rôle et en quoi il pourrait être adapté à la capitale alsacienne.

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Clément Léon, maire de la nuit de Paris : « Strasbourg est idéale pour cette fonction »

Clément Léon est le maire de la nuit de Paris : "Je travaille le jour et la nuit je la passe avec les noctambules."
Clément Léon est le maire de la nuit de Paris : « Je travaille le jour et la nuit je la passe avec les noctambules. » (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

On pensait que ses horaires de bureau étaient de 21h à 6h du matin, mais c’est en début l’après-midi que Clément Léon nous donne rendez-vous, à la terrasse d’un café. Maire de le nuit n’est peut être pas le bon terme, pour qualifier cet écrivain de 31 ans, puisqu’il représente les usagers de la nuit. S’il porte encore des revendications politiques de son élection, il veut passer à la vitesse supérieure avec un réseau de riverains festifs, à opposer à ceux qui combattent la vie nocturne.

Rue89 Strasbourg : À quoi sert un maire de la nuit à Paris ?

Léon Clément : Il est un interlocuteur des pouvoirs publics. Je représente les noctambules, qui pour environ 80% d’entre-eux vivent à Paris. C’est ironique à dire, mais ce sont des gens que l’on n’entend pas.
Le vote a permis aux médias de s’emparer de la vie et d’avoir désormais une source identifiée. Même le New York Times s’est intéressé à moi ! Désormais, les enjeux de la nuit sont dans le débat public. La vie nocturne à Paris est de moins en moins intéressante par rapport à des villes comme Londres, Berlin ou Barcelone. Pour toutes les villes, c’est un aspect à ne pas négliger pour son attractivité.

Sous quelle forme se passent vos échanges avec la municipalité ?

Le précédente équipe avait d’abord organisé des états généraux de la nuit, mais il n’y avait eu aucune suite, donc on ne le refera pas. Ensuite elle a créé un “Conseil de la nuit”. Il se réunit une fois par an et est accompagné de groupes de travail où tous les interlocuteurs sont présents. Sept thématiques y sont abordées, car la vie nocturne ce n’est pas que le bruit, mais aussi les transports ou des discriminations sociales. Mon idée de prêt à taux zéro pour les établissements qui réalisent des travaux d’insonorisation a été reprise plusieurs fois et j’espère qu’elle sera votée lors du prochain Conseil.

« Les riverains ne doivent pas se tromper de cible »

Après son élection, l’équipe d’Anne Hidalgo avait cessé tout contact. En juin 2014, j’avais organisé un boycott de la fête de la musique, car je trouvais hypocrite d’appeler aux festivités une fois et prôner l’inverse 364 soirs par an. J’avais été rappelé immédiatement. Le boycott avait été maintenu, mais je suis redevenu un interlocuteur. Les adjoints avec qui je traite veulent faire bouger les choses.

À Paris comme à Strasbourg aussi des collectifs de riverains se sont créés car ils sont dérangés par le bruit. Que leur répondre ?

C’est amusant que vous m’interrogiez là-dessus, car j’ai justement découvert les vidéos de Calme Gutenberg par des articles de Rue89 Strasbourg qui sont arrivés dans mon fil d’actualité, puisque je m’intéresse à ce sujet. À Paris aussi, c’est devenu le cas. Je ne sais pas qui s’est inspiré de qui, mais ce sont les mêmes discours.

Dès que l’on veut discuter dans les groupes de travail, ces personnes sont dans l’invective. Elles créent un chantage électoral. C’est amusant de constater que la municipalité y est sensible alors que ces gens ne votent jamais à gauche. Ce qu’ils préconisent c’est de fermer les bars à 23h en semaine, minuit les vendredis et samedis et même une fermeture un week-end sur deux, c’est l’austérité sociale ! Leurs méthodes, de parfois filmer des fêtards en pleine rue et diffuser la vidéo sans autorisation, sont illégales et rappellent d’autres époques. Ils ne sont pas des interlocuteurs respectables. Je suis un tampon entre ces riverains et les noctambules.

D’autres habitants, sans être agressifs, sont tout de même dérangés.

C’est vrai. J’entends les nuisances qu’ils rapportent, mais il ne faut pas qu’ils se trompent de cible. Aujourd’hui, 86% de l’alcool consommé est acheté en supermarché. Si les bars ferment plus tôt, la fête sera dans l’appartement à côté ou sous leurs fenêtres. La rue et les bagarres sont de la responsabilité des forces de l’ordre. Les bars engagent déjà des “chuteurs”, pour réduire le bruit autour des bars et des médiateurs. Une municipalité se dit toujours pour la vie nocturne car elle génère de l’activité économique, mais ne met pas les moyens pour qu’elle se passe bien. Quand on voit le personnel contre le stationnement illégal, les effectifs pourraient être déployés autrement.

« J’aime autant les lieux branchés que les bars PMU »

Les fêtards ont aussi une responsabilité. ll m’arrive de les reprendre quand ils crient ou urinent sur une porte. Mais si des personnes en arrivent là, peut-être faut-il équiper la ville de toilettes plutôt que de verbaliser.

Pensez-vous que ce modèle du maire de la nuit soit possible à Strasbourg ?

Chaque ville doit trouver sa manière de fonctionner. À Marseille où j’ai vécu 5 ans, ce serait trop dangereux d’avoir un maire de la nuit. Certains réseaux criminels ont trop d’intérêts dans l’économie nocturne et font leur loi. À Annecy où j’ai aussi habité, c’est trop petit et paisible, la fonction n’aurait pas beaucoup d’intérêt. C’est une titre qui est davantage adaptée aux métropoles sûres. Strasbourg est une ville idéale pour cela.

Nantes et Toulouse ont aussi élu leur maire de la nuit le même jour qu’à Paris. À Nantes, c’était surtout pour interpeller les candidats lors des municipales, depuis c’est plus calme. À Toulouse, cela a pris un tournant plus commercial, avec une marque déposée, des T-shirt, un magazine et des soirées, ce n’est pas vraiment ma vision mais pourquoi pas. Amsterdam était une ville pionnière. La fonction existe depuis 12 ans, elle est occupée par un fonctionnaire de la mairie. Chaque pays et chaque ville ont leur culture politique. Il n’y a pas de recette magique, mais je pense que c’est important que ce soit quelqu’un d’extérieur aux élus. Mon élection était organisée par un collectif d’usagers de la nuit, des personnes qui connaissent bien le sujet. Pour faire bouger les choses, il faut s’engager et ne pas tout attendre. (voir encadré)

Pour le candidat, je pense qu’il faut quelqu’un qui connaisse différents aspects de la vie nocturne. Moi j’aime autant les lieux branchés, que de jouer dans les bars PMU en after.

Clément Léon aime autant les boîtes de nuit que les bars PMU. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Clément Léon aime autant les boîtes de nuit que les bars PMU. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Salaire minimum pour les DJ, licence pour restaurants, transports, utilisation de locaux abandonnés… Où en sont les revendications de votre élection ?

Les DJ sont souvent payés au noir et moins que le SMIC horaire. Ils n’ont pas le statut d’intermittents ce qui rend compliqué toute réglementation. pour le moment. C’est un sujet de politique nationale.

Le nombre d’autorisations d’ouvertures tardives, lui, augmente. Il faudrait encore un peu repousser l’heure. Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est qu’en fermant à 2h, les bars mettent du monde dans la rue. Avec 30 minutes ou une heure de plus, les consommateurs quitteraient les établissements par eux-mêmes. Cela évite d’avoir une foule d’un coup et donc réduit le bruit pour tout le monde.

« La municipalité n’a pas une politique tournée vers les jeunes ou les pauvres »

Sur les transports, Anne Hidalgo, la nouvelle maire de Paris a promis que certaines lignes seraient ouvertes une heure de plus chaque année lors des week-ends, soit toute la nuit d’ici la fin du mandat (le métro est fermé entre 1h45 et 5h du matin les week-ends, ndlr). J’attends de voir si cela se concrétise, mais elle l’a promis aux médias, ce qui l’engage.

Enfin, sur l’utilisation des squats commerciaux abandonnés, là c’est un manque de volonté. La municipalité se dit de gauche, elle a parfois de bonnes volontés, mais n’a pas une politique tournée vers les jeunes ou les pauvres.

Avez-vous de nouveaux projets ?

Je veux créer un réseau de riverains festifs de Paris à opposer à ceux qui veulent tuer la vie nocturne. L’idée c’est de déconcentrer la fonction et aussi d‘avoir plus de poids politique.  Moi je ne suis qu’un individu. Si on est 500 personnes réparties dans différents quartiers, le rapport de force sera différent. Aujourd’hui, c’est comme ça que notre démocratie fonctionne : il faut un interlocuteur qui représente du monde et un écho dans les médias.

À la Butte aux Cailles dans le XIII° arrondissement, un collectif a réussi par exemple à faire annuler un arrêté préfectoral qui interdisait l’alcool après 22h. Il a prouvé qu’il y avait moins de délinquance depuis l’ouverture d’établissements nocturnes. C’est de ce type d’action, sur le fond, que le réseau doit s’inspirer. D’autres villes peuvent aussi s’en inspirer.


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