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Un agent de l’inspection du travail introduit de l’amiante dans les bureaux

Fin mars, un inspecteur du travail a ramené dans les bureaux de la Direccte à Strasbourg un morceau de plafond contenant de l’amiante, une matière hautement cancérigène. Un acte d’autant plus incompréhensible que les agents de cette administration sont justement chargés de faire respecter les infinies précautions liés à la manipulation de l’amiante.

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Les chantiers de désamiantages sont des causes importantes de délais et de coûts supplémentaires dans les chantiers de rénovation (Photo Boris Drenec / FlickR / cc)

Les chantiers de désamiantages sont des causes importantes de délais et de coûts supplémentaires dans les chantiers de rénovation (Photo Boris Drenec / FlickR / cc)
Les chantiers de désamiantages sont des causes importantes de délais et de coûts supplémentaires dans les chantiers de rénovation (Photo Boris Drenec / FlickR / cc)

Jeudi 26 mars, un inspecteur du travail rentre d’un contrôle chez un fleuriste. C’était peut-être une mauvaise journée, en tout cas il dépose sur le bureau de deux collègues un morceau de faux plafond en fibro-ciment de quelques cm² en clamant :

« J’ai une surprise pour vous les filles. »

La surprise, c’est que ce morceau de plafond prélevé chez le fleuriste contient de l’amiante, une matière très utilisée dans les années 60 – 70 pour l’isolation thermique mais hautement cancérigène. Elle est à l’origine de l’apparition de nombreuses affections de la plèvre, qui débouchent souvent en cancers des poumons, une quinzaine d’années après la première exposition. Un rapport du haut conseil de la santé publique estime que 50 000 à 75 000 personnes mourront entre 2009 et 2050 d’une exposition à l’amiante.

Les plans de retrait de l’amiante… visés par l’inspection du travail

Cette matière minérale a finalement été interdite en 1997 mais il en reste dans de nombreux bâtiments, car elle n’est pas dangereuse pour la santé si elle reste confinée. Mais dès que de l’amiante est exposée, par exemple lors d’une rénovation, alors un protocole de désamiantage est obligatoire. Ce processus lourd et coûteux est contrôlé par les services de l’inspection du travail, dont la mission est de protéger les salariés.

Les deux fonctionnaires présentes n’en reviennent pas. Contrôleuses, elles sont parfaitement sensibilisées aux risques liés à une exposition à ce matériau. L’une d’elle répond :

« T’es con ou quoi ? Tu pouvais pas prendre des photos ?

– Je ne prends pas de photos, je prélève à la source. »

« Sous le choc », une fonctionnaire quitte immédiatement les locaux, et prévient sa hiérarchie dès le lendemain. Mais il faudra attendre jusqu’au mercredi 1er avril pour qu’un cadre de la Direccte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) ne se rende dans le bureau de l’inspecteur du travail à l’origine de l’introduction et n’ordonne son prélèvement pour analyses.

Présence d’amiante confirmée

Comme le montre le document ci-dessus, le laboratoire d’analyse confirme la présence d’amiante dans le morceau de faux plafond, sous deux formes : chrysotile et amosite.

Le jeudi 7 avril, un comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) exceptionnel est convoqué à la Direccte, il est décidé que les bureaux dans lesquels le morceau de faux plafond a transité soient consignés. Deux jours plus tard, tous les agents de l’unité concernée doivent quitter les bureaux pour que des mesures d’empoussièrement soient effectuées, à l’aide de pompes.

Au final, les mesures ne relèvent que 1,4 fibre, dans un troisième bureau. Il en faut 5 pour considérer qu’il y a une pollution de l’air ambiant. Après une réunion le 13 avril, la direction de la Direccte Alsace considère l’incident comme clos, et demande aux agents concernés de reprendre le travail.

Mais pour l’une des fonctionnaires exposées, c’est impossible. Pour elle, l’inspecteur, la hiérarchie et les agents ont fait preuve d’une coupable légèreté dans la gestion de cette affaire :

« On oblige les entreprises à mettre en place des processus lourds et coûteux en cas d’exposition à l’amiante, et chez nous, on attend deux semaines avant de procéder aux analyses et on manipule le fibro-ciment sans les précautions d’usage ! Je suis scandalisée. Dans mon travail, je peux être exposée à l’amiante mais je m’y prépare, j’enfile des combinaisons. Là, c’est comme si tout le soin que je mets dans ma protection et dans mon travail avait volé en éclat par la faute d’un collègue et la complicité de la hiérarchie. »

Une exposition en chaîne

Elle rappelle qu’outre ses collègues, ont également été exposés les employés d’entretien des bureaux et les employés du fleuriste où a été prélevé le faux plafond. De son côté, l’inspecteur admet qu’il a fait « une connerie ». Expérimenté, il met ça sur le compte d’un stress intense :

« La réforme de l’inspection du travail menée par le ministère nous a complètement désorganisés. Il y a une ambiance de travail détestable. Et on nous a ajouté par dessus des formations au risque amiante irrationnelles. Faut pas déconner, ce n’est pas radioactif. On est dans la psychose, c’est ce que j’ai voulu dénoncer, certes maladroitement. Mais il y a tout un lobby de la surprotection qui vit grâce à ça… On pourrait essayer d’être un peu plus pragmatiques. »

Pressions constantes sur les agents

De fait, les pressions s’accumulent sur les agents de l’inspection du travail sur la question de l’amiante, alors que se multiplient les chantiers de rénovation de bâtiments construits en plein pendant les années où ce matériau était très utilisé. En mars, la Direccte a été alertée que des plaques contenant de l’amiante avaient été enlevées en dehors de tout plan de retrait correct, et retrouvées dans une déchetterie du Bas-Rhin.

Complications supplémentaires, les agents ne sont pas toujours soutenus par leur hiérarchie lorsqu’ils font appliquer la réglementation, ce qui les met dans des situations délicates lorsqu’ils doivent ordonner des mesures qui rallongent les délais et augmentent les coûts des chantiers. Selon des connaisseurs de ces questions, les entreprises de démolition ont en tête le degré d’exigence de chaque contrôleur ou inspecteur, et adaptent leurs devis en fonction. L’incident à la Direccte Alsace est en tout cas un épisode révélateur de ces divisions internes.

La direction de la Direccte Alsace n’a pas souhaité faire de commentaire sur cette affaire. Quant à l’inspecteur, il s’attend à une sanction disciplinaire.


#amiante

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