Sans une attention précise aux numéros des immeubles, difficile de savoir où commence et où s’arrête la route de l’Hôpital (le plan). On l’imagine, au nord, proche de la quasi-millénaire Porte de l’Hôpital, à deux pas du centre-ville, longeant le mur des Hospices civils. Erreur. De la Porte au croisement avec le quai Fustel-de-Coulanges, tronçon sur lequel les automobilistes croisent le centre Paul-Strauss, le parking Saint-Nicolas ou la Maison des adolescents, s’étend la rue de la Porte-de-L’Hôpital.
Du quai à l’autoroute, des bâtiments administratifs récents
La route de l’Hôpital, elle, démarre après le pont de la Porte-de-L’Hôpital, construit en 1884 et reconstruit en 1953, qui enjambe le Canal de déviation (Umleitungskanal) et sépare le port de la Porte de l’Hôpital et le bassin Dusuzeau (du nom du président du Port Autonome de 1926 à 1936). Le n°2 de la rue est apposé sur la maison de l’éclusier datant des années 1930.
Sur ce tronçon, du quai à l’autoroute, pas facile de s’y retrouver. À droite, après l’écluse et sa maisonnette, longée par le chemin du Löhmuhle qui mène au nouveau parc du Heyritz, se dresse le nouveau « pôle de l’habitat social », siège des bailleurs CUS Habitat et Habitation moderne, ouvert en 2013. Attention, il ne s’agit pas du n°4, mais du n°24 ! De même, avec cette fois dix numéros d’écart, suit l’Hôtel de police, mise en service en 2002 suite au déménagement du commissariat de la Nuée-Bleue (centre-ville).
En face, la route de l’Hôpital longe les pelouses à l’arrière du centre administratif, construit dans la seconde moitié des années 1970, point de départ de l’urbanisation des anciens terrains portuaires. Une autre rue sépare celle qui nous intéresse du mastodonte seventies : la rue du Marksgarten, qui enserre l’ouest du siège de la CUS depuis que le projet du centre administratif a vu le jour en 1965. Sur ce lieu-dit « Marxgarten », se tenait jusqu’à sa destruction en 1475 le couvent Saint-Marc et son jardin, en dehors des murs de vieille ville. Là, au XIXème siècle, les urbains venaient profiter d’un peu de verdure. Avant le percement du tunnel de l’Étoile, le site accueillait un dépôt de matériaux pour voirie et des ateliers municipaux – aujourd’hui transférés route de la Fédération et rue de la Plaine-des-Bouchers.
Et puis, quittant ce secteur à dominante administrative, la route de l’Hôpital s’accélère : sur sa droite, après l’Hôtel de police, c’est l’autoroute ou, à tout le moins, la jonction de l’autoroute A35 à la route du Rhin par le tunnel qui passe sous le parc de l’Etoile. Et tout droit, la promesse de Neudorf et des quartiers sud. La route enjambe ainsi le pont Konrad-Adenaeur, du nom du chancelier (1876-1967) qui œuvra, avec le général de Gaulle, au rapprochement franco-allemand.
Tram et contournement sud : télescopage au début des années 90
Ouvert à la circulation en 1991, en même temps que la voie express de contournement sud qu’il surplombe, ce pont est dit « au dix fontaines ». Son « traitement architectural et paysager, conçu par le cabinet Argans, est engagé en 1994, après le bouclage d’un projet complexe, les travaux de finition avaient été stoppés au printemps 1995 pour cause de dépassement de crédits. La pose de plaques de granit rose avait repris en novembre 1996. Elle fonctionne en circuit fermé, avec des pompes et des citernes », apprend-t-on sur Archi-Strasbourg.
À noter que la mise en circulation de ce contournement autoroutier, censé désengorger les quartiers sud et le centre-ville de Strasbourg tout en facilitant l’accès à l’Étoile et au Rhin, est à deux années près concomitante au lancement de la première ligne de tram, qui passe par l’Étoile elle aussi, et par le Schlutfeld. Deux visions de la ville se télescopent, l’une héritée des années 1970, date où le percement du contournement et du tunnel sont décidés, l’autre issue des urnes, avec l’élection à la mairie de Catherine Trautmann en 1989. Voie rapide pour automobiles d’un côté, transports en commun de l’autre. Aménagement qui accentue la fragmentation de l’espace urbain d’un côté, rails et stations « à niveau », accessibles aux piétons, de l’autre.
Avant l’autoroute, c’est le train qui tronçonne la route de l’Hôpital
Coupée en deux depuis 25 ans par la voie express, le route de l’Hôpital n’en est pourtant pas à son premier tronçonnage. En 1861, la première voie ferrée entre Strasbourg et Kehl est achevée. Une gare voyageurs est installée sur le lieu-dit du Marxgarten, pas très loin de l’actuel centre administratif (voir plan de 1875 ci-dessous). Mais entre 1906 et 1916, cette liaison est déplacée vers le sud de Neudorf, sur ses voies actuelles, et la gare s’établit rue de la Station, à deux pas du tram Krimmeri-Meinau. Objectif : permettre à Neudorf de prendre ses aises dans les limites, larges pour l’époque, de cette courbe en cloche vers le Rhin.
La gare aux marchandises de Neudorf (ou gare basse) est construite quant à elle en 1905 dans le secteur du Heyritz à la place de l’Hôtel de police. Cette gare, qui desservait la zone industrielle de la Plaine des Bouchers ainsi que les ports de la Porte de l’Hôpital et du Bassin d’Austerlitz, n’est démolie qu’en 1988 pour permettre la construction du contournement sud.
Passée cette voie ferrée – puis l’autoroute, depuis 1991 – la route de l’Hôpital s’enfonce dans le faubourg de Neudorf, le plus ancien de Strasbourg (il fait partie du territoire urbain depuis le XIIIe siècle) et le plus peuplé avec ses 40 000 habitants. Ce peuplement est néanmoins tardif et, du coup, spectaculaire. Si le Heyritz était recouvert de petites maisons jusqu’au XIVème siècle, toutes incendiées lors de la guerre qui opposa Strasbourg à son évêque en 1392, le secteur Schluthfeld-Lombardie, situé plus au sud n’est, jusqu’à l’endiguement du Rhin, que champs inondables et cours d’eau.
Habitants et artisanat : le Schluthfeld décolle sous l’ère allemande
D’ailleurs, le Schluthfeld, ce lieu-dit compris entre la route de l’Hôpital à l’Est, le Heyritz au nord, le Rhin Tortu à l’ouest et le Krimmeri au sud, tiendrait son nom, d’après l’historien local Georges Schwenk*, de l’ancien Goldgiessen, ruisseau comblé en partie au XVIème siècle, et laissant le Schluth, c’est à dire son lit plein de vase. L’historien continue :
« D’une superficie de 12 hectares, le Schluthfeld se peuple après la première ligne de chemin de fer Strasbourg-Kehl en 1861 en offrant un logis bon marché aux ouvriers de la ligne et aux employés de la gare de marchandises. L’accroissement de sa population fut telle qu’il fallait construire entre 1897 et 1899 une école de 11 classes pour désencombrer l’école de la Ziegelau. Une église provisoire fut aménagée dans un hangar. »
C’est sous l’ère allemande, entre 1871 et 1918, que s’opère le décollage économique et démographique du secteur. De nombreuses entreprises artisanales s’implantent dans ce petit bout de quartier, parmi lesquelles une fabrique de meubles ou une autre de comptoirs-glacières rue du Grand-Couronné, ou les sociétés Joustra et Heppner (transporteur international aujourd’hui), rues de la Scierie et de Belfort. Une centaine de tailleurs de pierre est également présente, alors que la Neustadt est en cours d’édification au nord-Est du centre-ville, autour de l’avenue des Vosges et de l’axe impérial.
Dans le futur, plus de commerces et un tissu urbain densifié
Souffrant pendant longtemps de la faiblesse de son tissu urbain et du manque de commerces, le Schluthfeld renaît aujourd’hui pour la troisième fois. En face du siège d’Axa, construit au tournant des années 1990 et vidé depuis peu au profit de nouveaux locaux avenue du Rhin, un programme immobilier de logements avec commerces en pied d’immeubles est en construction. Le « Star », situé à l’extrémité ouest de la ZAC de l’Etoile, s’implante à la place de feue l’auberge du Grand Duc, sur le même trottoir que les restaurants Au Bouquet garni et Schoon.
Côté pair, le Patio est également récent (2007) et remplace une ancienne station service. Un petit square se situe à côté, donnant sur la rue de la Scierie (lieu-dit du Schragenfeld, ou « champ encaissé ») à l’arrière. Après une jolie maison bordeaux, années 1930, l’on aborde la place du Schluthfeld, où passe le tram depuis 1994. Là, le jeu de piste s’intensifie pour savoir exactement où se termine la route de l’Hôpital. Au tabac-presse du n°82, l’on apprend finalement par la commerçante :
« Ici, c’est le dernier numéro de la rue. Ensuite, c’est le 100, avenue de Colmar [ndlr, dans le renfoncement du garage, à côté du restaurant Sushido]. C’est très mal foutu depuis l’aménagement de la place avec le tram : je passe mes journées à indiquer les numéros de l’avenue de Colmar ! »
La route de l’Hôpital, tronçon nord délaissé de la route de Colmar
Côté impair, la partie se termine au n°67, avant la laverie automatique à l’angle. Puis, la place du Schluthfeld, son parking, ses voies de tramway. Terminaison abrupte pour cette route de l’Hôpital qui se confondait jusqu’au XVIème siècle avec la route de Colmar, qui menait directement alors à la Porte de l’Hôpital.
Plus ancienne voie d’accès par le sud à Argentorate (nom celte, romanisé en Argentoratum), cité gallo-romaine importante, la partie nord de la route de Colmar, rebaptisée donc route de l’Hôpital, est progressivement délaissée au XVIIème siècle. En cause : une modification du tracé de la route de Colmar vers la route du Rhin et la Porte des Bouchers, débouchant toujours aujourd’hui sur la place de l’Etoile. Marécageuse, puis coupée par le train, puis par l’autoroute, la route de l’Hôpital deviendra-t-elle autre chose que l’épine dorsale passante d’un morceau de quartier aux confins d’un faubourg ? Réponse dans quelques années.
* Sources : Georges Schwenk, « Aspects des faubourgs – Le Neudorf, 3 vol. (éditions Oberlin, 1982). Maurice Moszberger, Théodore Rieger et Léon Daul, « Dictionnaire historique des rues de Strasbourg » (Le Verger éditeur, 2002, 2012). Archives de la Ville et de la CUS, « Neudorf, nouveau village, nouvelle ville » (Archives Ville et Communauté urbaine de Strasbourg, 2007). Claude Strobel, José Senpau, Gabriel Schmitt , « Neudorf devant la Porte des Bouchers » (éditions Coprur, 2000). Le site du POS de Strasbourg. Le site Archi-Strasbourg.
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