Voici la suite de la chronique hebdo des coulisses du Bulli Tour Europa. Les reportages journalistiques du Bulli Tour Europa sont à découvrir ici.
Rap & traditions
Une des municipalités rattachées à Skopje s’appelle Shuto Orizari, mais tout le monde l’appelle « Shutka ». Le Bulli y arrive en suivant le bus 20, depuis le centre-ville de la capitale. Plus de 20 000 personnes vivent ici. La particularité de cette bourgade : elle est constituée de plus de 80% de Roms, ce qui en fait la plus grande « ville » rom d’Europe. C’est d’ailleurs la seule ville au monde à avoir officiellement adopté la langue romani. On y rencontre les musiciens du groupe Shutka Roma Rap qui militent pour montrer « de quoi les Roms sont capables. »
Leur musique est un surprenant mélange d’influences : rap, reggae, rock et musiques traditionnelles tsiganes, jouées notamment lors de mariages. Dade, le doyen du groupe, est bassiste. « Le groupe nous permet d’aller ailleurs porter notre culture. » À ses côtés, Mendo au saxophone, Ajnur à la trompette, Meko aux percussions et Ice au violon, mais aussi une dizaine de rappeurs qui rêvent tous des États-Unis. Mixant les influences et les répertoires, leurs chansons racontent la vie à Shutka, parlent des filles de la ville, « tellement belles qu’elles t’envoient direct à l’hôpital », et des belles fringues de leurs potes.
Mais certains titres sont plus engagés. C’est le cas de « Shutka c’est chez moi » qui parle des discriminations et du racisme à l’encontre de la communauté. « Avec nos textes et notre musique, je pense que Shutka Roma Rap parvient à représenter les Roms au niveau européen. C’est la preuve qu’on nous accepte en tant que Roms en nous ouvrant la scène. »
Al Lion a opté pour le look du Bronx : « je prends un peu des Américains, et je mélange ça à la sauce rom. » L’idée principale de Shutka Roma Rap, c’est de valoriser une identité rom. « On veut montrer de quoi on est capables. Et puis on est fiers d’être roms. C’est tellement génial d’être sur scène, de chanter en romani et de montrer qui on est », confie Al Lion.
Découvrez ci-dessous notre reportage à Shutka
Hôtel Gelem
Nous décidons de passer la nuit à Shutka et d’aller à « l’hôtel Gelem ». En réalité, à Shutka, ni touriste, ni hôtel, mais un logement possible chez l’habitant. Avec ses cinq sites à travers l’Europe, le concept d’ « hôtel Gelem » (accueil chez un hôte rom) s’est diversifié. « Gelem, Gelem est l’hymne des Roms. « Gelem » signifie « j’ai bourlingué » et parle de l’exclusion et du meurtre des Roms en Croatie pendant la Seconde Guerre mondiale », apprend-on sur le site des fondateurs du concept.
Voici le point de départ de la création de ce B&B original, imaginé par deux artistes allemands. Les hôtes, tous Roms, vous accueillent et vous font découvrir leur ville et partagent avec vous un peu de leur vie. Surprenante initiative, distinguée par le prix Cecel du Conseil de l’Europe en 2012, mais qui peine à convaincre les voyageurs, en tous cas à Shutka. « En cinq ans, on a eu seulement cinq visiteurs : tous d’Allemagne », raconte notre hôte Arton Berisha. Réfugié avec sa famille du Kosovo, il vit à Shutka depuis quinze ans et tente de s’en sortir en multipliant les petits boulots. L’hôtel, c’est aussi sa manière de montrer une autre image de sa communauté. « On est tous les mêmes » dit Arton en souriant.
Super-héros ?
Retour dans le centre de Skopje où le Bulli slalome entre les nombreuses statues flambantes neuves de la ville. Une trentaine de ces colosses de marbre ont jailli du sol à l’occasion de l’opération « Skopje 2014 », une initiative de la ville visant à promouvoir l’identité macédonienne et son histoire. Alexandre le Grand triomphe à plus de 20 mètres de haut, avec ses fontaines et ses colonnes. Ce monument aurait coûté entre deux et trois millions d’euros.
En réalité, le pays joue avec le feu et attise certaines rancœurs en choisissant tel ou tel héros national. Ainsi, certaines minorités nationales ripostent, la nuit, en érigeant elles aussi des statues de héros nationaux… Reste à savoir quelle histoire officielle est retenue.
Patrimoine en péril
En chemin vers Sofia, le Bulli fait un crochet à Samokov où la vieille synagogue a été abandonnée, oubliée et pillée. Il ne reste plus que les murs, au milieu d’une végétation sauvage. La Seconde Guerre mondiale et l’exil vers Israël ont considérablement diminué certaines communautés, notamment en milieu rural.
Sur les 37 synagogues bulgares, seules deux sont encore en activité. Nombre d’entre elles s’effondrent et n’ont pas de projet de réaffectation. Le président de la communauté juive de Sofia nous apprend que la synagogue de Samokov devrait être sauvée et réaffectée en musée.
Les indignés bulgares
Toujours plus à l’Est, le Bulli gagne Sofia et y rencontre les « indignés » bulgares : des jeunes qui s’engagent contre un gouvernement auquel ils ne croient pas. « La mafia est partout et elle règne dans tout le gouvernement. Un exemple tout bête mais cette rue est piétonne, sauf pour la mafia qui manque de t’y renverser si tu ne te pousses pas. On a voulu changer ça en manifestant » nous raconte Kremana Mouskourova, étudiante en architecture.
Depuis les grandes manifestations de 2013 (et les 6 immolations), rien n’a bougé. Le gouvernement se replie sur lui-même sans rien changer et édifie des barrières devant ses administrations, en prévision d’éventuels nouveaux mouvements sociaux.
« Le gouvernement s’est même vanté de nous avoir résisté. Malgré les remaniements, chacun reste à son poste, avec ses avantages et s’en met le plus possible dans les poches. Tout est corrompu ici » déplore Kremana. Les manifestations avaient été reprises politiquement par certains partis radicaux, ce qui a eu pour conséquence de faire fuir les indignés. À présent, chacun s’engage différemment, à son échelle.
Lénine en mosaïque
Prenant la direction de la Mer noire, le Bulli gagne Kazanlak et roule dans les montagnes, entre les monuments à la gloire du parti socialiste et du communisme. À Buzludzha trône « l’OVNI », l’ancien siège du parti communiste, abandonné après la chute du régime. Le lieu fait partie des ruines les plus connues et est référencé sur de nombreux sites tels que « les plus beaux lieux abandonnés dans le monde ».
Le site est impressionnant : 60 mètres de diamètre, une imposante structure en béton dont une tour de 70 m où trône une étoile rouge en « verre de rubis ». À l’intérieur, des restes de mosaïque et de sculptures répandus au sol. Tout a été pillé : des plaques de cuivre du toit aux gaines électriques. C’est devenu un haut lieu touristique interdit, et un endroit de bonnes soirées pour les jeunes de la région. On y entre par un trou percé dans un mur : la porte d’entrée est cadenassée.
Le reportage sur Buzludzha sera en ligne le 11 juillet 2014 sur le site du Bulli Tour Europa.
Départ pour la frontière bulgaro-turque !
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : chroniques du Bulli Tour Europa (blog sur les coulisses)
Sur Bulli Tour.eu : les reportages
Chargement des commentaires…