Alors que s’est tenu ce week-end « Sans Titre, Mais Poétique ! » (voir photo ci-dessus), l’association organisatrice, La Friche Laiterie, ne sait pas si elle sera toujours aux commandes du Hall des Chars en septembre. Des rendez-vous sont en cours avec la Ville pour renégocier la convention d’occupation et d’animation de ces trois salles de spectacles. L’an dernier, la Ville avait refusé de reconduire pour trois ans la convention signée en 2009 avec l’association La Friche Laiterie. À la place, la mairie n’avait alors que prolongé d’un an le cadre existant, en proposant que l’association mette ce temps à profit pour se restructurer et proposer en 2014 un projet viable et stable.
Las, le président d’alors, Pierre Poudoulec, a démissionné avec fracas du conseil d’administration de la Friche Laiterie en juin 2012, pour protester contre une convention d’occupation, changée depuis, qui réservait 200 jours par an à la Ville, trop selon lui pour que le Hall des Chars puisse imprimer en ville une saison culturelle qui serait la sienne. Ça tombe bien, la Ville ne veut pas d’une nouvelle salle de spectacle, pour réserver le Hall des Chars à l’expérimentation et à la rencontre entre les artistes strasbourgeois.
Un manque de moyens usant
Mais cette expérimentation permanente commence à peser auprès des membres et des bénévoles de la Friche Laiterie. Alice, danseuse et membre du conseil d’administration entre 2012 et 2013, résume le sentiment général :
« Les bénévoles donnent beaucoup beaucoup de leur temps. Mais leur engagement est plombé par des problèmes internes, qu’on doit en bonne partie à l’instabilité financière de l’association. On s’esquinte et on déploie une énergie folle pour mettre sur pieds les spectacles. On bricole en permanence. Alors au bout d’un moment, ça use et les gens désertent. »
Une désaffection par les artistes mêmes à qui ce lieu est destiné, voilà ce qui inquiète la Ville, qui octroie 120 000€ par an à La Friche Laiterie. La municipalité a demandé à l’association de s’expliquer et de lui prouver qu’elle avait les moyens humains de relancer l’animation des lieux. Le conseil d’administration a donc convoqué la centaine de membres à une réunion d’information lundi 26 mai avec ce mot d’ordre « la mobilisation pour le Hall des Chars, c’est maintenant ». Une quarantaine de personnes se sont déplacées, un bon signe selon la présidente par intérim Chiara Villa, metteuse en scène :
« La Ville remarque une baisse du nombre d’adhérents, c’est vrai. On nous reproche aussi que les artistes ne viennent pas voir les spectacles des autres, c’est aussi vrai mais on y travaille. Mais le Hall des Chars propose de très nombreux spectacles et le conseil d’administration, dont tous les membres sont bénévoles, se réunit très régulièrement. On ne sait pas exactement ce que veut la Ville. On a attendu que le nouvel adjoint à la culture s’installe et maintenant que c’est fait, on va pouvoir engager le dialogue en espérant que la Ville nous dise enfin quels sont ses objectifs pour le Hall des Chars et comment on peut l’aider à y parvenir. »
Quatre présidents en deux ans
Mais depuis avril, l’association est engluée dans une nouvelle crise interne. Le conseil d’administration a débarqué le président successeur de Pierre Poudoulec, Arthur Poutignat, l’accusant de se servir du Hall des Chars pour sa promotion personnelle. Ce dernier a refusé de démissionner. La situation est bloquée. Arthur Poutignat détaille :
« Je ne démissionnerai pas parce que ce serait reconnaître ce dont on m’accuse. Or c’est faux. Je suis l’organisateur du festival In’Act qui utilise le Hall des Chars, mais je suis bénévole dans les deux structures. Alors bon… Le problème dans cette association, c’est que les bénévoles donnent tous tellement de temps qu’ils finissent par s’approprier des décisions, ce qui provoque des tensions à répétition. Il y a une culture du putsch qui s’est installée. Et puis, fédérer les artistes c’est bien mais les musiciens, les plasticiens et les comédiens ont tous des modes de fonctionnement différents, des logiques, des rémunérations différentes… Autre problème, on passe notre temps à accueillir les spectacles des autres, et donc à gérer les problèmes des autres. Tout ça finit par être usant. »
De son côté, la Ville de Strasbourg cherche une issue comme l’explique le premier adjoint au maire, en charge de la culture Alain Fontanel :
« Il y a une instabilité chronique à la tête de l’association, une désaffection des adhérents et du public et on a constaté des dégradations dans les locaux. Le subvention versée à l’association pour l’émergence et l’expérimentation au Hall des Chars est une somme considérable. La plupart des structures aidées reçoivent moins de 50 000€ par an ! Donc on a engagé le dialogue avec l’association et on étudiera le dossier pendant l’été. Nous n’avons pas d’idées préconçues, nous voulons simplement que ce lieu fonctionne selon les objectifs qui avaient été fixés. »
Des projets, mais personne pour les porter
Mais la Friche Laiterie aura-t-elle les moyens de se repenser ? L’association emploie deux salariés administratifs, mais pas à plein temps. Galaad Le Goaster, artiste et membre du CA de 2010 à 2012 détaille :
« En deux saisons, nous avions 225 propositions artistiques publiques, 18 éditions de festivals soutenus (dont 2 créés par l’association autour du solo et de la poésie sonore), 2 résidences longues, quelques cartes blanches à l’année (Enfants de la pluie, Hiéro, etc.), etc. Lors de la première des deux saisons où j’y étais, il y a eu 70 réunions de CA ! Mais à un moment, les bénévoles ne peuvent pas porter seuls des projets d’envergure. Il nous faut plus d’argent. On a présenté des projets très structurés à la Ville, mais nos interlocuteurs changeaient tout le temps, on a eu neuf personnes différentes chargées de notre dossier ! »
Pour Galaad Le Goaster, ce ne sont pourtant pas les pistes de développement qui manquent :
« On a fait des propositions pour que le Hall des Chars soit doté d’un parc de matériel, utilisable par les TAPS, la Fabrique de théâtre, la Laiterie, la Semencerie ou le Molodoï… Ce qui aurait eu pour effet de rendre le lieu plus apte à réagir aux événements des compagnies. On a aussi proposé de transformer la brasserie abandonnée en bar associatif. Aucune de ces questions n’a abouti, on n’a reçu aucune réponse sur nos projets de développement. »
Mais à la Ville, on ne veut guère entendre parler d’une augmentation de la subvention de fonctionnement, puisque l’ambiance est plutôt de savoir si l’association conservera l’actuelle… D’autres pensent que la municipalité veut récupérer ce lieu pour d’autres projets, un nouveau théâtre pour le Kafteur par exemple. Mais Alain Fontanel précise :
« La convention sera reconduite ou non avec la Friche Laiterie, elle sera peut-être revue, il est trop tôt pour le dire. Mais nous voulons garder un lieu dédié aux expressions artistiques strasbourgeoise, une salle pour l’émergence. La Friche Laiterie doit agir comme une association pivot, à la fois porteur de projets et animatrice des projets d’autres associations. »
Volonté de développer une identité et sortir de la précarité d’un côté, garder un lieu ouvert aux compagnies de l’autre… Les futures réunions entre la Ville et le Hall des Chars risquent de durer…
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Rudes négociations en cours entre la Ville et l’association gérant le Hall des Chars
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