Aux assemblées générales de Coop Alsace, comme à celle de Strasbourg mercredi soir, il y a ceux qui attendent les knacks, et ceux qui aimeraient comprendre. Comprendre comment cette entreprise qui employait 4 500 salariés en 2011 n’en compte plus que 254 aujourd’hui, comprendre comment une institution aussi ancrée dans le paysage alsacien peut disparaître aussi vite.
Parmi les 350 à 450 sociétaires présents mercredi soir à la salle de la Bourse, en majorité des personnes âgées, beaucoup n’ont pas encore réalisé ce qui s’était passé, tout est allé trop vite. C’est peut être la raison pour laquelle Henri Ancel, nouveau PDG de Coop Alsace, ne les ménage pas. D’emblée il critique l’ancienne direction de Christian Duvillet :
« Les pertes d’exploitations sont restées très élevées, on n’a cessé de vendre des actifs pour les compenser, sans véritable politique de redressement opérationnelle. Donc aujourd’hui, on a vendu tous les hypermarchés et supermarchés à Leclerc et l’essentiel des supérettes à Carrefour. Il ne reste que 15 magasins qui perdent de l’argent, des cafétarias vieillissantes, ainsi qu’une plate-forme logistique dont les contrats vont arriver à échéance et une boucherie qui n’arrive pas à vendre ses produits car Leclerc et Carrefour préfèrent s’approvisionner auprès de leurs centrales. »
Le discours plombe un peu l’ambiance. Mais les sociétaires s’accrochent. Henri Ancel entre dans le dur :
« Fin 2013, on avait une trésorerie de 17,2 millions d’euros. Mais de ça, il a fallu déduire 10 M€ de remboursement aux banques, 4 M€ pour rembourser Casino de leurs investissements avortés dans la proximité, 2,7 M€ en honoraires de cabinets de consultants et encore 1,4 M€ pour les “parachutes” des membres de l’ancienne direction… Conséquence : il a été nécessaire d’emprunter à nouveau 5 M€ pour éviter une cessation de paiements et il faudra vendre le siège du Port-du-Rhin. »
Près de 11 millions d’euros en honoraires
Des soupirs se font entendre. Car bien que l’entreprise perdait entre 15 et 20 millions d’euros par an entre 2011 et 2013, la direction n’a pas lésiné sur les études et les analyses de plusieurs cabinets en dépensant près de 11 millions d’euros en moins de quatre ans (document ci-dessous) :
Les avocats de Paul Hastings se sont occupés des banques, Eight Advisory des prévisions budgétaires et de trésorerie, Elide des affaires aux prud’hommes, Managing des cellules de reclassement, Interactis des contrats avec Leclerc et Carrefour… L’ancien PDG de Coop Alsace entre 2011 et avril 2014, Christian Duvillet réplique :
« Nous avons cédé pour 300 millions d’euros d’actifs et restructuré 150 millions d’euros de dettes bancaires et de créances vis à vis de l’Etat. Donc nous nous sommes entourés de spécialistes du droit des affaires, de la concurrence… C’était nécessaire. Les précédentes directions ne le faisaient pas et on a vu ce que ça a donné. »
Claude Fussler, administrateur de Coop Alsace, ne décolère pas :
« En tant que président du comité d’audit, j’ai fait des observations dès 2012 et on m’a répondu que les avocats locaux étaient des nuls, qu’il fallait absolument des spécialistes parisiens. Ce n’est pourtant pas compliqué de vendre pour 300 millions d’euros d’actifs et de rembourser avec cet argent 150 millions de dettes… Il n’y a même pas eu de restructuration, nous avons tout payé. En tant qu’administrateurs, on n’a jamais été saisis du montant de ces honoraires, sinon on aurait demandé à connaître le coût avant les prestations, pour pouvoir choisir… On n’a retrouvé aucune convention d’honoraires, ce n’est quand même pas normal. »
Des contrats de travail en or
Henri Ancel a aussi fustigé les contrats de travail dont ont bénéficié les membres de la précédente équipe de direction :
« Les quatre directeurs émargeaient à 130 000€ par an, plus une prime annuelle d’objectif d’environ 20 000€ qui était systématiquement octroyée alors même que les résultats n’étaient pas bons, plus de conséquents remboursements de frais, une voiture de fonction et disposaient d’un “parachute doré” composé de deux ans de salaire en cas de départ de la société. Ces dirigeants sont partis avec des indemnités comprises entre 250 et 390 000€, certains après moins de deux années passées dans l’entreprise ! »
De son côté, Christian Duvillet a indiqué que ces contrats étaient conformes aux recommandations du Medef et que le conseil d’administration, dont faisait partie Henri Ancel, a été informé des conditions de rémunération des cadres dirigeants. Mais pour Henri Ancel, le pouvoir des administrateurs était très limité :
« On a voté des rémunérations à la va-vite lors d’un conseil d’administration un samedi de juin 2013 à midi, on s’est fait avoir. Dès qu’on a découvert les montants, quelques administrateurs et moi-même avons demandé à Christian Duvillet que les dirigeants renoncent à leurs “parachutes dorés” à l’automne 2013. Refus catégorique. Christian Duvillet a alors annulé le conseil du 26 octobre au dernier moment car il savait que les administrateurs allaient voter sa destitution. Puis en janvier, on se réunit enfin pour entériner le rachat de la proximité par Carrefour. Mais il nous a fait comprendre qu’une crise de gouvernance à ce moment serait de nature à faire échouer la reprise… Comme nous n’avions pas d’autre plan pour la proximité, nous nous sommes résolus à garder Christian Duvillet, à condition qu’il s’engage à quitter l’entreprise après l’opération Carrefour, en avril. »
Le syndicat Force Ouvrière n’entend pas en rester là et prévoit de porter plainte contre la direction pour « mise en péril de l’entreprise, prise illégale d’intérêts, entente, collusion et divulgation de secrets de fabrication » selon Laurent Hobel, délégué syndical :
« Il y a eu des irrégularités de commises, on va demander à la justice d’enquêter en apportant des éléments. On se demande bien pourquoi les dirigeants étaient si grassement payés et surtout pourquoi les cadres ont été augmentés, parfois de 1 000€ par mois dans une entreprise en grandes difficultés et dont les résultats sont sans cesse dans le rouge. Voudrait-on prouver que l’entreprise ne pouvait pas être rentable qu’on n’aurait pas procédé autrement. »
La relance par la camionnette
Henri Ancel a brièvement évoqué le futur de Coop Alsace. Les 15 magasins pourraient devenir des épiceries faisant la part belle aux produits alsaciens de qualité :
« À Seebach, le chiffre d’une journée du point Coop c’est 200€… On pourrait aussi bien le fermer. Mais la gérante est très dynamique et a proposé qu’on relance un bus de la Coop, pour aller voir les gens chez eux. Eh bien c’est une bonne idée et on va la tester. Nous allons transformer nos magasins pour nous inscrire dans la dynamique des circuits courts. Permettre aux producteurs locaux de distribuer leurs produits chez nous, avec la possibilité de commander depuis son bureau par Internet. On commencera par le magasin Coop de la Robertsau (rue Boecklin). »
Après les rapports des commissaires aux comptes, les sociétaires ont pris connaissance qu’un livre allait être édité sur l’histoire de la Coop à partir du fonds photographique de la Coop. Ce qui a fait dire à l’un d’entre eux au moment de poser des questions : « est-ce que c’est ça l’avenir de la Coop ? En faire un beau livre ? »
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