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L’agroquartier ne sera pas l’arme anti-densité de la Robertsau

Depuis 2011, des habitants de la Robertsau réfléchissent à la création d’un « agroquartier », un écoquartier qui viserait l’autonomie alimentaire, au sud du parc de Pourtalès. Sur le site Strasbourg 2028, vous êtes 35 à juger l’idée intéressante. Mais l’agroquartier tel que présenté par le conseil de quartier aux élus en 2013 pose au moins deux problèmes : sa densité et l’intégration dans le quartier d’exploitations agricoles pérennes.

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L’agroquartier ne sera pas l’arme anti-densité de la Robertsau

Un troupeau de highland cattles a été installé sur la zone non constructible entre la digue et la forêt de la Robertsau (Photo MM / Rue89 Strasbourg)
Un troupeau de bovins rustiques de la race Highland Cattles a été installé en avril 2012 sur la zone non constructible entre la digue et la forêt de la Robertsau (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Dans le quartier de la Robertsau, au nord de Strasbourg, les participants de Strasbourg 2028 ont concentré leurs efforts sur deux thématiques, l’extension du tram et « l’agroquartier ». Ce projet original d’écoquartier viserait, en plus de la performance énergétique des bâtiments et du lien social entre les habitants, une certaine autonomie alimentaire (production de légumes, fruits du verger, œufs du poulailler, miel d’un rucher installé sur place, etc.).

Franck Leduc, habitant de la Robertsau et membre du conseil de quartier, écrit sur Strasbourg 2028 :

« La création d’un agroquartier [permettrait de] privilégier une opération de relocalisation d’une exploitation maraichère au sein d’un nouvel ensemble de constructions collectives de haute qualité, en préservant le site naturel et assurant la jonction avec l’espace de loisir du Pourtalès ou le centre d’initiation à la nature et à l’environnement (CINE) de Bussierre. »

« Sacrifiée sur l’autel de l’intensification urbaine »

Cet agroquartier serait implanté sur les 25 à 30 hectares encore constructibles dans le secteur Mélanie, là où l’on trouve actuellement des champs de maïs longés à l’est par la piste cyclable qui mène au parc de Pourtalès. L’idée a longtemps été portée par deux Robertsauviens impliqués à l’Adir (Association pour la défense des intérêts de la Robertsau), René Hampé et Gérald Brothier. Ce dernier détaille :

« Les Robertsauviens sont conscients du besoin de construire en ville pour accueillir de nouveaux habitants, mais cette « densification » ne peut pas se faire partout comme à Neudorf, où les gens sont obligés de se satisfaire de très peu d’espaces verts. Le secteur Mélanie, c’est la dernière réserve foncière de la Robertsau. Elle ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de l’intensification urbaine. C’est pourquoi l’agroquartier doit aussi être une zone de culture, pour que le quartier des maraîchers ne perde pas son âme… »

Le cahier des attentes du conseil de quartier

Tirer parti des contraintes du PPRT

Le créateur de Strasbourg 2028, urbaniste et sociologue, Éric Hamelin est originaire de la Robertsau. Il a été mandaté par le conseil de quartier (COQ) – aux frais de la ville de Strasbourg – pour travailler sur le projet de cahier des attentes. Pour lui, il est important que l’agroquartier puisse prétendre au label national Écoquartier, comme Danube sur l’axe Deux-Rives.

Pour cela, quelques obligations seront à remplir, qui rentrent parfois en contradiction avec le contenu du cahier des attentes, comme l’arrivée ou non du BHNS (bus à haut niveau de service) jusqu’au site. Éric Hamelin explique :

« Il faudra maintenir les voitures à l’extérieur du quartier pour avoir une chance de prétendre au « label écoquartier » [ndlr, notre explicateur], inclure un axe et une station de BHNS (évoquée au niveau de la ville en prolongation de la ligne 15), transport en site propre sans lequel le secteur Mélanie-Pourtalès n’a aucune chance de pouvoir revendiquer un titre officiel d’écoquartier à l’avenir. Dans le même objectif, les membres du COQ étaient d’accord pour inclure une part importante de logements sociaux, de la mixité fonctionnelle avec des « rez-de-chaussée actifs » (commerces de proximité, dont un point de vente de produits agricoles locaux).

Il sera aussi intéressant de tirer parti des contraintes du nouveau PPRT (plan de prévention des risques technologiques) en cours de validation pour maintenir en « agricole » une grande partie du site, puisque aucune construction n’y sera autorisée tant qu’il y aura du pétrole et des produits explosif dans le port voisin. A noter qu’il faudra également tenir compte et tirer parti du classement en ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) de toute la moitié Est du site Mélanie-Pourtalès. »

Un croquis dessiné par Eric Hamelin dans le cadre des ateliers "agroquartier" du conseil de quartier de la Robertsau (Document remis)
Un croquis dessiné par Eric Hamelin dans le cadre des ateliers « agroquartier » du conseil de quartier de la Robertsau (Document remis)

Seize logements à l’hectare ? « Jamais de la vie »

Mais au-delà de l’accessibilité du quartier, c’est sur sa densité que se cristalliseront les positions divergentes. L’agroquartier tel que rêvé par les Robertsauviens du COQ ne compterait que 400 logements pour près de 30 hectares. Déjà trop pour Luc Wehrung, président de l’Asser (Association pour la sauvegarde de l’environnement de la Robertsau), marquée à droite. Le président déclare :

« Notre position est très simple. Sous couvert d’un agroquartier, c’est de la densification qu’on nous propose. Le maximum de logements à construire encore dans ce secteur, c’est 150 à 200 au maximum, pour avoir une descente douce vers la forêt, appréciée de tous les Strasbourgeois. La Robertsau est saturée, ça se sent aussi en terme de déplacement automobile. Ce qu’on répond à l’Adir, qui était contre l’urbanisation avant : “On rajoute deux tas de fumiers et des poules et vous êtes d’accord pour 400 logements ?” Ce n’est pas raisonnable… »

Quatre cents logements sur une telle surface, c’est pourtant très peu en regard de ce qui s’est fait à Strasbourg durant le mandat qui s’achève. Seize logements à l’hectare ? « Jamais de la vie », s’exclame d’ailleurs Philippe Bies (PS), ancien adjoint au logement de Roland Ries. Gérald Brothier de l’Adir reconnaît lui aussi que « compte tenu de la situation économique actuelle », cette faible densité est « compliquée à tenir ».

Pour lui, on pourrait aller « minimum jusqu’à 800 logements » sur le site, du moment qu’aucune voie traversante ne vienne perturber la quiétude du lieu, que chaque habitant puisse bénéficier d’une large balconnière où faire pousser ses légumes et aromates, que le lien entre ville et campagne prenne là toute sa dimension.

Un agroquartier trop dense, de « l’étalement urbain caractérisé »

Éric Hamelin, lui, n’est pas d’accord. Coauteur de La Tentation du bitume, un ouvrage qui milite contre l’étalement urbain, il fait part de son point de vue :

« Vouloir absolument construire 1 000 logements dans cette « poche agricole résiduelle » éloignée du centre-ville et qui restera loin des transports « lourds » tels que le tram serait une erreur à plus d’un titre. De facto, ça serait de l’étalement urbain caractérisé, puisqu’on urbaniserait totalement des terrains jusqu’ici agricoles. Et ceci avec un objectif de densité finalement insuffisant pour pouvoir prétendre mettre en place des transports collectifs et des services suffisants pour en faire un quartier réellement « développement durable ».

Car 1 000 logements sur 30 hectares, ça fait à peine 33 logements par hectare, alors que selon moi, la densité minimale pour faire de la ville durable est autour de 50 logements par hectare, avec une préférence pour les densités supérieures à 100 logements par hectare. »

De nombreux autres terrains disponibles à la Robertsau

L’urbaniste plaide également pour la construction de quelque 2 000 logements entre l’avenue Pfimlin et le quai Bévin (là ou passe le tram), juste en face du Parlement, « qui pourrait à lui seuls accueillir 1 200 logements dans des immeubles de 4 ou 5 étages, et permettrait, du même coup, d’aménager des locaux commerciaux sur le quai, offrant enfin quelques potentiels restos, cafés et boutiques pour les touristes, aussi bien que pour les députés européens qui évoluent aujourd’hui dans un désert de pierre et d’eau, certes beau mais sans le minimum de vie et services nécessaires ».

Le site du parking relais pourrait lui aussi faire l’objet d’une opération « parking relais sur cours » avec la construction d’au moins 300 logements avec des commerces côtés rues et une hauteur de 5 étages. Pour Eric Hamelin, des appartements pourraient encore être construits sur le parking de la piscine du Wacken avec du stationnement en sous-terrain, ou bien à proximité du futur consulat turc. Partout, sauf à Mélanie, donc.

Pas d’exploitation en confettis dans l’agroquartier

La faible (ou trop forte) densité de logements prévue dans l’agroquartier n’est pourtant pas le seul écueil sur lequel pourrait achopper le projet. Selon Françoise Buffet, adjointe au maire de Strasbourg en charge de l’écologie et de l’agriculture urbaine, l’idée d’implanter une exploitation maraîchère au cœur du quartier est également problématique. Elle précise :

« Cette idée d’agroquartier est très intéressante et fait bien le lien avec le projet d’extension du parc naturel urbain Ill-Bruche (Montagne Verte – Kœnigshoffen) à la Robertsau. Construire un quartier à travers le prisme de la nature sous toutes ses formes – paysagère et nourricière – est aussi une façon de contourner les réticences des habitants, très attachés à leur cadre de vie. Permettre aux futurs habitants de se nourrir avec des produits locaux, c’est aussi ce vers quoi nous voulons aller.

Mais mettre une exploitation maraîchère dans le quartier, je ne suis pas sûre qu’il faille l’envisager. Pour qu’un exploitant en bio puisse vivre de son travail, il lui faut 4 hectares d’un seul tenant. Pas 20 ares par ci, 20 ares par là… Et traverser 4 hectares pour se rendre à une station de bus ou à l’école, ce n’est pas simple non plus. Enfin, il faut travailler sur le circuit de distribution, que les habitants jouent le jeu et achètent sur place… »

L’élue parie plutôt sur une « ceinture maraîchère » autour de la forêt. Elle rappelle que la collectivité a déjà acheté 20 hectares le long de la digue, où paissent aujourd’hui un troupeau de bovins rustiques Highland Cattles, venu des Vosges du Nord (photo ci-dessus). Françoise Buffet « espère encore acheter plusieurs hectares dans le secteur pour installer des maraîchers et des éleveurs en bio », dans une optique de relocalisation de l’approvisionnement alimentaire au niveau de l’agglomération.

Aujourd’hui, aucun projet n’est encore lancé sur le secteur Mélanie-Pourtalès. Le candidat UDI François Loos se serait montré intéressé par l’agroquartier, tandis que Fabienne Keller (UMP) nous confiait ne pas maîtriser suffisamment ce dossier pour s’exprimer.


#environnement

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