Lundi 14 Octobre, les députés européens de la commission des Affaires constitutionnelles ont adopté, par 22 voix contre 4, un rapport réclamant une révision des traités pour que le Parlement puisse lui-même fixer son siège, et non plus avec l’accord des États membres. Le rapport sera soumis au vote en session plénière, en novembre ou en décembre de cette année.
Strasbourg, la mal-aimée aux nombreux torts
« Le Parlement devrait avoir le droit de déterminer ses propres modalités de travail, y compris le droit de décider où et quand il se réunit », requiert le rapport co-rédigé par la conservatrice à tendance eurosceptique britannique Ashley Fox et le vert allemand Gerald Häfner, deux leaders de la fronde. Ils avancent trois principaux arguments pour expliquer leur démarche.
Un surcoût annuel entre 156 et 204 M€ selon les Bruxellois
Le premier concerne le coût des déplacements des députés, mais également des journalistes et des membres de l’administration européenne. On le retrouve dans le rapport. Selon le communiqué de presse du Parlement Européen :
« Le surcoût annuel engendré par la dispersion géographique du Parlement européen serait compris, selon les estimations, entre 156 et 204 millions d’euros, soit environ 10 % du budget annuel du Parlement. »
Le rapport a précisé ce chiffre à 180 millions et ne tiendrait pas compte d’autres frais dus à «cette dispersion», comme la perte d’heures de travail, les frais supplémentaires pour le personnel, et les différences de frais de déplacements des députés, d’après le député allemand Alexander Alvaro, en charge du volet économique du rapport
Le coût écologique est une autre critique importante. Selon les eurodéputés, les émissions supplémentaires de CO2 liées aux déplacements s’élèvent jusqu’à 19 000 tonnes par an.
Enfin, Strasbourg n’étant que très moyennement desservie en termes de transports, certains eurodéputés affirment être contraints de rater les débats du jeudi après-midi, ceux sur les Droits de l’Homme. Assister à cette dernière séance rallongerait même de deux jours le séjour alsacien de certains avant de pouvoir retourner dans leur pays. L’eurodéputée Amalia Sartori n’avait pas hésité à qualifier sur ce blog que venir au Parlement de Strasbourg est un peu comme aller en « prison » ! Facile d’y rentrer et difficile d’en sortir.
S’appuyant sur le rapport « A tale of two cities » de l’eurosceptique Edward McMillan-Scott, les revendications des anti-Strasbourg ne datent pas d’hier. Elles sont néanmoins de plus en plus présentes, notamment médiatiquement, et la rédaction de ce nouveau rapport en est un exemple. Sur Internet, le site Single Seat regroupe cette coalition, qui a recueilli 1,27 millions de signatures depuis 2007 (sur 500 millions d’habitants en Europe).
Tout au plus, un surcoût de 51 M€ selon les Strasbourgeois
Du côté de Strasbourg, le rapport de l’Association Européennes des Jeunes Entrepreneurs (AEJE)« Le siège dans tous ses Etats », publié début 2012, a présenté une série de contre-arguments aux reproches faits à Strasbourg, notamment sur les coûts.
Les chiffres avancés par le rapport de McMillan-Scott sont fortement remis en question, certains datant de 2002. En effet, là où les pro-Bruxelles estiment à 180 millions d’euros le coût des va-et-vient entre la capitale belge et Strasbourg, le rapport de l’AEJE chiffre le tout à 51 millions d’euros, dénonçant une utilisation tronquée des documents du Secrétariat Général du Parlement européen par les partisans du siège unique).
Concernant l’empreinte environnementale, l’AEJE réduit la quantité des émissions carboniques de 19 000 à 4 200 tonnes de CO2. De quoi relativiser les nombreuses critiques que subit Strasbourg, bien que le clivage dépasse une simple question de chiffres. Le rapport de l’AEJE souligne enfin le fait que la cité alsacienne a mis en place une série de projets de ville afin de s’adapter à sa qualité de capitale législative de l’Union Européenne et de faciliter ses transports pour éviter les déboires actuels. Le rapport est également accompagné de recommandations pour que la ville améliore son attractivité.
Strasbourg peut également mettre en avant son caractère de ville historique au haut capital symbolique. Cité-frontière, elle incarne la réconciliation franco-allemande, fer de lance de la construction européenne. Strasbourg bénéficie d’une notoriété internationale en tant que symbole de paix, valeur pourtant à la base de l’Union Européenne.
La défense de Strasbourg se justifie également par le principe européen de diversité. Les institutions européennes sont réparties selon une notion de polycentrisme qui est caractéristique de l’Union : l’exécutif se trouve à Bruxelles, le judiciaire à Luxembourg et le législatif à Strasbourg. Concentrer exécutif et législatif dans la capitale belge reviendrait à nier ce principe de diversité.
Union de la classe politique française derrière Strasbourg
Les plus fervents défenseurs du siège strasbourgeois sont des acteurs politiques français reconnus, localement et nationalement. Outre Roland Ries, maire PS de Strasbourg qui en appelle à une « mobilisation collective », et le cri d’alerte lancé par la sénatrice UMP Fabienne Keller, Catherine Trautmann incarne le visage du lobbying pro-Strasbourg, mais le sujet fait consensus à droite comme à gauche.
Depuis juillet dernier, l’ancienne ministre et maire strasbourgeoise dirige une « task-force » spécialement créée pour la guerre du siège. Son objectif est de répondre aux critiques des anti-Strasbourg en vantant les atouts de la ville et son importance dans la construction européenne, si possible en étant aussi efficace que le lobby bruxellois. Elle a reçu le soutien du ministre des Affaires Européennes, Thierry Repentin, qui rencontrera cette « task-force » mercredi 23 octobre au Parlement européen, dont on attend encore la première action concrète…
Les pro-Strasbourg ont le droit avec eux
S’il est adopté en séance plénière, le rapport réclamant une révision des traités pour que le Parlement puisse lui-même fixer son siège pourrait être un instrument de pression politique, venant s’ajouter à la pétition citoyenne de la députée Cécilia Malmström, reprise par Single Seat.
Toutefois, l’adoption de ce rapport n’aurait pas une influence déterminante. En effet, la voie juridique est la seule pouvant changer le statut de siège du Parlement européen. A ce jour, la Cour de Justice de l’Union européenne a toujours donné raison à la France dans les conflits autour du siège.
Selon les traités européens, le protocole n°6 aux traités constitutifs de l’UE affirme que « le Parlement a son siège à Strasbourg », lieu où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles. Difficile d’être plus clair. La bataille juridique pour la guerre du siège consiste donc à changer ce protocole. L’article 341 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que « le siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres ». Les anti-Strasbourg veulent donc faire réviser le Traité de Lisbonne de 2007.
Mais les pro-Strasbourg disposent d’un verrou de taille. C’est le Conseil européen, regroupant les 28 chefs d’État des pays membres de l’UE, qui seul peut réviser ce traité à l’unanimité. Un simple veto de François Hollande suffit normalement à réduire en poussière tous les efforts des anti-Strasbourg. Mais les détracteurs du siège de Strasbourg continuent d’accentuer la pression, comptant sur un affaiblissement de la position française jusqu’à ce qu’elle devienne intenable.
Aller plus loin
Sur le Huffington Post : Le Parlement européen vit-il ses derniers jours à Strasbourg ?
Sur Rue89 Strasbourg : Bataille du siège : Strasbourg crée un lobby pour défendre le Parlement
Sur Eurojournal : L’Europe humaniste doit rester à Strasbourg (tribune)
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