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Ratés et succès d’une dizaine de rénovations de places à Strasbourg

Une dizaine de places rénovées, une sorte de performance sur un mandat ! Chacune a été repensée dans sa finalité : place d’apparat (place du Château, au centre-ville), dédiée aux enfants (place des Colombes, au Neuhof) ou encore multifonctions (place Arnold, quartier de la Marne)… Ceux qui sont dans la place, c’est-à-dire les Strasbourgeois, s’expriment volontiers sur ces usages multiples : verdure, enfants, stationnement, trafic.

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Ratés et succès d’une dizaine de rénovations de places à Strasbourg

La Place Arnold et l'église Saint-Maurice (Photo AB / Rue89 Strasbourg)
La Place Arnold et l’église Saint-Maurice (Photo AB / Rue89 Strasbourg)

La place d’Austerlitz et la place Arnold ont en commun une verdure plus libre qu’auparavant, « gérée » sans pesticide. Une perception du vert qui change du tout au tout, selon le public qui fréquente la place. Place Arnold, plus d’une dizaine d’espaces plantés entourent et délimitent la place : une palette végétale composée d’arbustes, de plantes vivaces, de graminées, censée verdir en alternance tout au long de l’année. Comme la place s’articule autour de l’église Saint-Maurice, on a même rajouté un arbre de Judée et des ifs. Question de spiritualité.

Les étudiants n’aiment pas la place Arnold

Problème : située dans le quartier Marne/Forêt-Noire, la place Arnold est conçue pour un public familial aux aspirations écolos, avec même des bacs à compost Compostra. Or, une partie du public qui investit l’endroit ne vient pas du quartier et ne s’y reconnait pas : ce sont les étudiants de Sciences po (IEP Strasbourg) et de l’IPAG (Institut de préparation à l’administration générale) rue Saint-Georges ou les élèves du lycée privé Sainte-Clotilde, rue de Verdun. Le jugement est cinglant pour David, Julien, Paul et Lana, en cinquième année à Science po, qui, vapotant paisiblement, s’accordent à dire que « c’est un peu hideux, ça manque d’entretien, il n’y a pas assez de fleurs ». Le manque de fleurs justement, c’est aussi le grief numéro un des lycéens qui viennent y déjeuner et déplorent à l’unanimité « un manque d’animation ». « Cette place, elle manque de vie. On verrait bien des dalles de couleurs », expliquent-ils. L’utilité de la place ? « On vient surtout ici pour manger et fumer », soutiennent Alix et Cyrille, lycéennes espiègles de seconde. « On l’utilise un peu comme une cafétéria bis », poursuivent les étudiants de Sciences Po. Exit les bacs à compost, le canisite et les jeux pour enfants : tout cela correspond peu aux attentes des étudiants. « C’est mort, ça manque de snacks et puis il n’y a pas passez de bancs », font remarquer Alix et Cyrille, assises sur les marches en pierre de l’église.

Du vert, encore du vert, que du vert à Austerlitz

Avis diamétralement opposé place d’Austerlitz. Alors que l’aménagement de la place a suscité des débats houleux, la plupart des acteurs semble avoir intégré sa dimension verte, au point de la trouver insuffisante. L’idée du lieu : créer un écosystème autonome, du végétal à l’animal, entre les herbes folles et les arbres indigènes pour attirer insectes, mammifères et volatiles.

Et si, au final, il manquait de vert place Austerlitz ? (Photo AB / Rue89 Strasbourg
Et si, au final, il manquait de vert place Austerlitz ? (Photo AB / Rue89 Strasbourg

Pour Michaël et Vincent qui habitent près du Musée d’art moderne et contemporain, la place d’Austerlitz est « stratégique, entre le centre-ville et Malraux ». Il y fait bon se poser, siroter un café avec vue « dégagée » sur le place, regarder les enfants qui jouent. Mais quitte à donner un coup de vert, autant y aller à fond :

« J’aime bien ce côté sauvage de la ville, mais ça manque encore de verdure. Je ne comprends pas pourquoi il y a des bancs en métal du côté des jeux pour enfants. Ils auraient du mettre tout en bois. Et puis je ne vois pas en quoi cela aurait été compliqué de mettre de l’herbe ici mais pas de ce côté [sur le côté bétonné, ndlr]. Ils auraient dû faire les choses différemment. »

Un avis que partagent Vincent et François, en train de grignoter un plat asiatique avant de rejoindre leur travail. L’un est graphiste, l’autre informaticien. Ils pointent eux aussi un déséquilibre entre partie verte et bétonnée :

« Franchement, le résultat est pas super. Il manque des arbres alors que le projet était de les mettre en avant. Ok, il y a encore les trois arbres du centre, ils sont dégagés, mais c’est tout. L’ancien parking a été remplacé par du béton. Elle est où la plus-value par rapport à avant ? Après ce qui est bien c’est que maintenant il y a des gens quand même, les bars doivent être contents. »

Les deux collègues forment même des propositions pour la place : les bancs, disposés en lignes, empêchent les gens de discuter entre eux. Ils auraient souhaité en faire un lieu de vie, avec des tables pour manger, des tables de ping-pong, y mettre des activités (ils plébiscitent la performance artistique « Ceci n’est pas… » et les illuminations nocturnes). Ce qu’ils voudraient : transformer la place en parc, un pendant populaire à celui de l’Orangerie qualifié de « bourgeois ».

Les enfants près d’un grand axe place Arnold

Retour place Arnold, vrai couteau suisse. Sur une extrémité, un petit espace à jeux a été créé spécialement pour les 4-14 ans. Trois amies, une nounou, une grand-mère et une maman regardent les enfants jouer. Haseini, qui garde un enfant, explique « préférer venir ici plutôt qu’à l’Orangerie », par proximité. Mais elle tempère : « C’est quand même dangereux, avec les voitures ». Une opinion que partage Marjolaine, mère d’une petite fille de 16 mois, habitant dans une rue « juste derrière » :

« Ce parc est pratique parce qu’il est à côté. Mais ici, c’est un espace bâtard, les vélos roulent à fond. Ce n’est pas censé être autorisé mais bon. Et puis ils ont ajouté des grandes plates-bandes de verdure pour faire comme une barrière avec la route mais ça reste dangereux avec l’avenue de la Forêt-Noire. D’accord, on doit surveiller nos enfants, mais bon… »

Bien que la zone soit interdite pour les vélos, les cyclistes traversent la place, pour éviter l'axe de l'avenue de la Forêt Noire. (Photo AB / Rue89 Strasbourg)
Bien que la zone soit interdite aux vélos, les cyclistes traversent la place pour éviter l’axe de l’avenue de la Forêt-Noire (Photo AB / Rue89 Strasbourg)

Même les lycéens de la place approuvent. Y accéder à la place est compliqué et ils rapportent de nombreux cas de coups de klaxon et de freinage en urgence. Quant aux vélos, ils évitent précisément le grand axe et coupent par la place… où jouent les enfants.

La voiture boutée aux abords

La voiture, justement. Que ce soit place Arnold, place d’Austerlitz ou sur la très récente place du Marché à Neudorf cette fois, la voiture est ostracisée. Aux places Arnold et Austerlitz, le stationnement payant borde l’espace central. Place du Marché, on a choisi les zones bleues. Autant à Austerlitz, les Strasbourgeois avouent ne pas s’en soucier, autant place Arnold, c’est une autre paire de manches. Le problème est accentué par les voitures des consulats. Marjolaine s’en plaint :

« Se garer ici, c’est l’horreur, l’enfer. Tout est payant. En plus on a des places sucrées à cause des consulats. Leurs voitures ne s’y garent jamais la nuit, mais on n’a pas le droit de s’y mettre… »

Si la place du Marché à Neudorf n’est pas encore officiellement inaugurée (c’est pour le mois de novembre), cela n’empêche pas d’observer ce qui s’y déroule déjà. Jeudi, Bernard Megel, commerçant forain, attend de savoir s’il peut s’installer. L’homme, discret, est une figure de la place. Il est le propriétaire du carrousel « historique », celui d’avant les travaux de rénovation, jadis installé en plein milieu. Ce jour-là, des grillages bloquent en partie l’accès de la place, de la terre retournée attend d’être ensemencée. Vide, les habitants ne se l’approprient pas encore, ils la contournent. « C’est devenu un peu un couloir », regrette Bernard Megel, qui craint pour son affaire.

La Place du Marché au Neudorf, encore un immense espace vide (Photo AB / Rue89 Strasbourg)
La Place du Marché à Neudorf, encore un immense espace vide (Photo AB / Rue89 Strasbourg)

Avant de pouvoir reprendre son emplacement initial au milieu de la place – qui sera rehaussée d’une pergola – en 2014, Bernard Megel est tombé sur un os. Sur son coin de place où il devait installer son carrousel « en attendant », l’espace est trop petit, d’autant plus qu’il le partage avec un stand de primeurs. Des bancs, demandés par les associations d’habitant, pour certaines très actives sur le dossier de la place, ont obtenu gain de cause. Le manège de Bernard Megel pourrait bloquer l’accès à un ou deux commerçants. Ambiance…

Tensions entre commerçants et forains à Neudorf

Anthony Schneider, de l’ACDAN (Amicale des commerçants détaillants et artisans de Neudorf) est sur la brèche. Il défend le carrousel : « Il a tout à fait sa place ici, assure-t-il, même s’il concède que tout le monde doit partager la responsabilité, lui en premier, « d’un manque de communication de tous les côtés ». Avec les travaux, Anthony Schneider explique qu’il y a eu « des licenciements, des baisses de chiffre d’affaires ». Du coup, tout le monde est un peu crispé dès qu’il s’agit de faire des concessions, encore. Alors que nous sommes sur place, Françoise Buffet, adjointe au maire en charge du quartier, appelle Anthony Schneider et entame une session de damage control. Résultat : Bernard Megel peut installer jusqu’au 12 novembre son attraction. L’homme souffle. Il ne ratera ni les vacances de la Toussaint, ni la Foire d’automne.

Avec le mobilier urbain, plus de place pour mettre un grand carrousel (Photo AB / Rue89 Strasbourg)
Avec le mobilier urbain, plus de place pour mettre un grand carrousel (Photo AB / Rue89 Strasbourg)

Au Neuhof (places des Colombes), à la Meinau (place Boecler), à la Krutenau (place des Orphelins), au centre-ville (place du Château ou place Saint-Thomas)… Une dizaine de places et placettes ont été ou sont en cours de rénovation à Strasbourg. Une performance qui n’a pas manqué de faire bondir l’opposition municipale, qui évalue à 10 millions d’euros les quatre rénovations principales (Château, Austerlitz, Marché, Saint-Thomas). Sollicitée, la Ville de Strasbourg n’a pas pu nous transmettre de chiffrage exact quant au nombre de places rénovées et à leur coût.


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