A une époque où je travaillais au centre ville, c’était aux alentours de 2010/2011, j’avais alors 25 ans et j’avais été frappée par le nombre de jeunes sans-domicile fixe (SDF) aux alentours de mon lieu de travail. J’avais commencé à discuter avec eux, je me demandais comment ils s’étaient retrouvés à la rue si jeunes. A force de tisser des liens, ils m’avaient alors invitée dans leur leur squats à partager des moments avec eux.
Ils avaient entre 19 et 24 ans. J’ai ainsi découvert les ouvertures de squats, la débrouille, la manche, les associations caritatives et tout ce qui faisait leur quotidien. Avec moi, qui avais logement, un travail, de l’argent et qui mangeais à ma faim, ils ont tout partagé. Ils ont partagé leurs repas lorsqu’on dînait ensemble, leur espace pour dormir lorsqu’ils trouvaient que j’étais fatiguée, leurs cigarettes, leur joie de vivre, les bons et les mauvais moments. Ils ne m’ont jamais posé de questions sur le fait que j’étais avec eux alors que j’avais un logement, ne m’ont jamais exclue, ni jugée. Au contraire, ils ont toujours été présents et j’ai découvert des gens fiables avec un grand cœur. Ils m’ont écouté quand j’étais en difficulté, se sont ouverts à moi, ont partagé leurs expériences, leurs fêtes, leurs deuils, en étant entiers, sincères, parfois vulnérables et parfois forts.
« J’ai découvert des gens riches d’une vie pleine d’aléas »
J’ai découvert de la débrouille, des gens qui transforment une boite de conserve et de l’alcool à brûler en un réchaud pour faire cuire leur nourriture. Qui savent bricoler une habitation en ruine en lieu de vie. Des gens riches d’une vie pleine d’aléas qui les a rendu sensibles, humain, profonds et tolérants. Des gens solidaires entre eux qui ne se laissent pas tomber les uns les autres.
Je les ai vu perdre des proches de cette rue qui les brise.
Avec eux j’ai subi les persécutions. Moi qui n’avais jamais été contrôlée de ma vie, j’ai vu des policiers me demander des papiers plusieurs fois par jours, alors que nous discutions simplement dans la rue. J’ai vu des commerçants nous agresser verbalement, encore, encore et encore, chaque fois que nous nous déplacions pour trouver un endroit pour nous installer et passer du temps ensemble. J’ai même vu des gérants sortir avec un Taser pour nous faire fuir.
J’ai vu des parents serrer leur enfant contre eux comme si nous étions de dangereux criminels J’ai vu des gens shooter dans la gamelle de manche exprès. J’ai vu des serveurs refuser de nous servir, de nous parler, voire même de nous regarder. J’ai vu aussi, des policiers exciter leurs chiens pour faire réagir mes compagnons et pouvoir les emmener au poste. Pendant qu’après tout ça moi je rentrais chez moi me reposer, eux continuaient à subir dans la rue.
Chassés de la rue le jour, chassés la nuit quand ils s’installent
Je les ai vu se faire chasser de partout. Chasser quand ils s’installent pour discuter, mais aussi chasser quand ils s’installent pour dormir. Après s’être fait agressés toute la journée par des commerçants, des passants, des policiers, je les ai vu se faire expulser d’un terrain où ils avaient posé leur tente et devoir trouver un autre endroit pour dormir. Se faire chasser par la CUS même pendant la trêve hivernale, pour qu’ils ne soient pas trop à proximité des touristes.
Si j’écris tout cela, c’est parce que je lis souvent dans les journaux, que les commerçants, les clients, les passants ont peur et que c’est pour cela qu’ils réagissent ainsi. Je voudrais vraiment dire qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur. Que les médias, à force de répéter qu’ils inspirent la crainte, alimentent les inquiétudes et creusent le gouffre qu’il y a entre eux et tous ces gens qui les persécutent. Qu’il serait bon aussi de parler d’eux autrement qu’avec les mots alcool, différence, problèmes, violence car cela n’est vraiment pas ce qui les définit.
Anaïs Steffan
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Une commerçante répand du souffre contre les SDF Grand’Rue
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