Sociologue et urbaniste, à l’initiative de cette expérience, je vous présenterai donc, à intervalles réguliers, des « points de vue » sur quelques grands sujets, quelques grandes convergences d’esprits qui, parmi de nombreuses idées, commentaires et votes, me paraissent émerger du débat. Co-concepteur du site, j’ai l’avantage d’avoir accès à la base de données et de recevoir une notification à chacune de vos contributions. Oui, chacune ! J’ai ainsi reçu et lu plus de 1 350 courriels depuis le 28 août… Faut-il aimer Strasbourg !
Pour plus de détails sur les intentions et le fonctionnement du site Strasbourg 2028, je vous renvoie vers les articles déjà publiés par Rue89 au démarrage de l’opération, fin août. Rappelons simplement ici qu’au départ, l’application Carticipe utilisée à Strasbourg, avait été développée à Laval (Mayenne) par mon petit groupe de sociologues, urbanistes et informaticiens. L’objectif était d’offrir à la ville un outil attrayant, incitant les citoyens à exprimer leurs souhaits et leurs visions concernant les aménagements urbains.
Son lancement à Strasbourg correspond à notre volonté d’expérimenter une version 2.0 du logiciel, plus évoluée, dans une (beaucoup) plus grande agglomération. En l’occurrence, ma ville natale.
Quelques chiffres qui (me) donnent le tournis…
Innovation, créativité, sens des deniers publics parfois, convergence de points de vue souvent, amorces de controverses (il en faut), me semblent les traits marquants de ce premier flot de contributions. Mais commençons par un rapide point d’étape quantitatif, au terme de ce premier mois. Les internautes strasbourgeois ont déposé sur fond de carte plus de 400 idées d’améliorations urbaines, enrichies de plus de 950 commentaires et de plus de 6 000 votes favorables ou défavorables aux différentes idées.
S’y ajoutent des centaines d’illustrations visuelles, complétant parfois très judicieusement les idées et souvent de façon collaborative, car une même idée peut être illustrée par plusieurs contributeurs. Cette profusion est le fruit de plus de 500 contributeurs inscrits, que nous appellerons entre nous « carticipants ». Le site a été visité par plus de 4 300 personnes qui ont généré plus de 14 200 pages vues. C’est plutôt un bon début. Rapportée au nombre d’habitants, la participation s’avère légèrement plus élevée qu’à Laval, c’est-à-dire 6 fois plus volumineuse… Une somme de matière à ingurgiter !
Idée la plus populaire, 117 votes
Notons, pour en finir avec les grands chiffres, que l’idée qui a atteint le « score » le plus élevé à ce jour, est une proposition de l’AFGES. L’association étudiante a visiblement su battre le rappel pour rendre visible son idée intitulée les Cités de l’Avenir. Il s’agit d’un projet de renouveau de la Cité U Gallia, actuellement inoccupée. La « bulle » qui représente cette idée sur la carte obtient un solde positif de 117 votes : 121 favorables et 4 défavorables ce samedi. La taille des bulles étant proportionnelle aux votes, cette idée dame donc le pion à beaucoup d’autres, de prime abord. Mais ce genre de mobilisation fait partie intégrante du jeu démocratique. Y compris dans le cadre d’une initiative indépendante du pouvoir politique.
Il ne faut donc pas se limiter aux idées récoltant les meilleurs votes. Quelques autres idées se détachent, quantitativement, mais il est encore bien trop tôt pour en distinguer les causes. Il y a un effet d’ancienneté, car les premières déposées sont en moyenne les mieux servies. Il y a des effets de mobilisation, donc, avec relais sur les réseaux sociaux. Il y a aussi de la convergence réelle et spontanée de points de vue, sur certaines propositions, mais sans qu’on puisse encore dégager d’idées « phares ».
Zoom sur les petites idées
Par expérience, j’ajouterais que les « petites » idées ne sont pas toujours les moins intéressantes. Je vous invite à explorer la carte attentivement, à fond sur la manette de zoom : les petites idées n’apparaissent qu’en s’en rapprochant, c’est une contrainte technique. Vous pouvez par exemple explorer de près votre quartier, en utilisant le zoom et l’outil « se géolocaliser », situé en haut à droite de la carte. Vous détecterez peut-être quelques idées lumineuses encore vues par peu de monde, que vous aurez envie de soutenir et de relayer sur les réseaux sociaux. Vous aurez peut-être, par la même occasion, une nouvelle idée à déposer, qui sortira des sentiers battus du centre urbain.
Notons surtout qu’il y a beaucoup d’idées dispersées qui peuvent, je dirais même qui doivent, s’interpréter en grandes tendances, plus ou moins convergentes. Elles constituent alors une masse d’implications citoyennes tout aussi significative. À ce titre, notre outil resterait perfectible, pour permettre d’identifier plus facilement des réseaux d’idées, ou permettre le regroupement de certaines. Mais nos moyens techniques ne sont pas illimités. Et puis, il faut bien laisser un peu de travail de synthèse aux sociologues…
Episode 1, les transports en ville
Commençons par le vaste thème des transports en commun, qui occupe une part conséquente des contributions à ce jour. Avec précisément 69 idées sur 407, soit 17%, c’est à dire près d’une idée déposée sur cinq, et une proportion équivalente des commentaires et des votes (910 votes dont 657 positifs), il semble rester un sujet de préoccupation majeure à Strasbourg.
Comme si le progrès fulgurant des transports en commun strasbourgeois de ces 20 dernières années en appelait encore bien d’autres. Les « carticipants » se creusent ainsi les méninges et débattent pour rechercher des solutions d’avenir, propres à accroître à moyen ou long terme les performances du réseau, avec des débats parfois très pointus, et quelques controverses.
Amplifier les liens tram-TER
Diverses propositions à succès se rejoignent sur le souhait d’amplifier les liens tram-TER, ou d’optimiser l’utilisation des infrastructures existantes en créant de nouvelles gares dans la CUS. Des gares sont suggérées sur l’axe de Fret qui traverse Cronenbourg , Koenigshoffen puis l’Elsau, sur la voie férrée qui va de la Gare Centrale à Kehl en contournant Neudorf : ou encore le sur l’axe ferroviaire Strasbourg-Mulhouse, à la hauteur de la Montagne Verte ou entre Ostwald et Lingolsheim. Sur cette voie vers le sud, certains suggèrent aussi de stimuler l’usage des gares existantes, en les agrémentant d’un P+R à la façon des trams, à La Vigie (Illkirch) ou à Fegersheim.
Parfois, cette possible utilisation optimisée du chemin de fer en ville est vue comme une alternative à certains projets de Tram, en particulier pour l’axe Nord en direction de Vendenheim, ou comme un complément utile, par exemple à Bischheim. De cet ensemble de réflexion transparaît, globalement, le souhait de lignes TER qui relieraient directement plusieurs communes ou quartiers entre eux sans s’interrompre en Gare Centrale comme c’est le cas actuellement à Strasbourg. L’idée est de créer un « effet réseau », complétant le tram, avec une meilleure performance en termes de vitesse sur les longs trajets.
Rocades de tram et TER urbain
Il est à noter que l’ensemble de ces propositions qui font réseau, provient d’au moins 10 contributeurs différents, appuyés par les commentaires favorables et complémentaires de dizaines d’autres. On assiste donc là à une véritable convergence spontanée autour d’une idée générale. Ces contributeurs sont même parvenus à trouver, à la fois le moyen de « relier » entre elles plusieurs propositions (en copiant collant les liens), et, plus fort, à proposer un intitulé commun à ce projet collectif, le « TER banlieue » ou « TER urbain » !
Même si certains reprennent l’appellation Tram-Train, le concept général reste bien celui d’une utilisation intensifiée des voies ferrées existantes, limitée à l’intérieur de l’agglomération, avec une tarification urbaine. Vu sous cet angle, il s’agirait alors d’une innovation par rapport à ce que l’on appelle ailleurs « RER » ou « S-Bahn » ou encore « Tram-train ». Car l’utilisation intensive se limiterait alors une zone urbaine compacte, et serait potentiellement plus rentable pour un service à haute fréquence. Ça tombe bien : Le futur statut d’Eurométropole pourrait permettre une rétrocession à la communauté urbaine d’une part de la compétence régionale, c’est-à-dire des finances, liée aux transports ferroviaires…
Dans le même esprit qu’un TER de rocade, un autre concept d’évolution des transports publics locaux émerge de plusieurs propositions. C’est celui d’une ou de plusieurs rocades de tram, contournant le centre-ville. Différentes options sont envisagées et débattues : passer par les quais du côté du Tribunal, créer une boucle par différents boulevards, ou un peu plus largement à travers les faubourgs strasbourgeois, en reprenant certains tronçons existants, ou à une plus grande échelle entre communes de la CUS.
Notons que la préoccupation exprimée est, non seulement, de desservir de nouveaux quartiers, mais aussi de prendre en compte la question fréquemment évoquée de la saturation du nœud des transports publics qu’est l’Homme-de-Fer, où s’entrecroisent 5 lignes de tram. Les commentaires étendent parfois cette problématique de saturation jusqu’à la station République. A ce titre, l’idée financièrement ambitieuse d’un axe RER traversant le centre urbain en sous-sol, semble rallier certains soutiens. Elle s’associe d’ailleurs volontiers au concept plus économe de TER urbain évoqué plus haut.
Métro et monorail, rêves futuristes
Cependant l’hypothèse plus coûteuse d’un véritable métro à Strasbourg, comme solution à la saturation du réseau Tram, séduit toujours aussi peu. Une proposition alternative de passage en souterrain d’un des axes de Tram à l’homme de Fer, ne semble pas non plus recueillir l’approbation générale, bien qu’elle s’inspire du choix fait par la voisine Karlsruhe. Enfin, à mi-chemin entre tram, TER et métro, un « carticipant » préconise l’utilisation des espaces disponibles le long de feu-la-ceinture-verte autour du grand centre-ville, en particulier pour desservir le quartier Wacken-Europe de façon directe depuis la gare. Il ne précise pas la technologie recommandée.
Dans une vision futuriste, un autre contributeur a complétée son idée par un commentaire et une illustration évoquant l’hypothèse d’un monorail. Après tout, 2028, c’est après-demain, mais c’est suffisamment loin pour s’autoriser des rêves visionnaires aux allures de métropoles asiatiques.
Par Eric Hamelin
Sociologue et urbaniste, co-concepteur du Carticipe Strasbourg 2028, pour Repérage urbain
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Strasbourg 2028 : vers la concertation 2.0
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