Le bidonville de Saint-Gall est situé à Koenigsoffen, en bordure du cimetière. Ce qui fait rire Pregan, l’un des habitants, expliquant avec ironie que : « si l’on meurt on peut nous enterrer directement ! » Au-delà de cet avantage très relatif, le camp est considéré comme le plus insalubre de Strasbourg par l’association Latcho Rom, dont les membres viennent en aide à cette population. Le camp n’est visible que par les quelques riverains possédant l’un des jardins partagés avoisinants.
À peine franchit-on l’entrée que l’on remarque une odeur insoutenable. Une énorme benne à ordure, installée par la municipalité, est rapidement remplie, mais insuffisamment vidée. Les sacs poubelles s’entassent à côté. Pour les toilettes chimiques, c’est un peu la même chose. « Quand ils sont pleins, nous ne sommes plus censés y aller. Mais comme ce n’est pas souvent vidé, on est forcé d’y retourner quand même », raconte Pregan.
Saint-Gall renvoie au passé des bidonvilles des années 1960
Visuellement, c’est le choc. Des « maisonnettes » construites avec des morceaux d’armoires, des portes de douche, des cartons, et tout ce qu’on a pu trouver, composent ce « village ». A Saint-Gall, l’air est empli de poussière. Les sols se transforment en boue en automne et en hiver. Pas un seul arbre, mais une sorte de mélange de hautes herbes, d’orties et de détritus en tous genres, y constituent les « espaces verts ». Pneus, morceaux de bois, vestiges de ce qui a servi à construire les cabanes, le paysage est chaotique. Un poster représentant le tableau « Terrasse du café le soir » de Vincent Van Gogh, est posé contre le mur fragile d’un de ces abris de fortune, derrière une pile de pneus.
C’est dans ce décor dont l’existence est aujourd’hui impensable dans un pays comme la France, et qui renvoie aux années 1960, lorsque les bidonvilles étaient nombreux en bordure des villes, qu’apparaît David. Il est l’incarnation d’un cliché qui fait dire que les Roms sont de « faux miséreux », de « mauvais pauvres ». Chaussures pointues Gucci, montre bling-bling, dents en or, habillé impeccablement, en chemise et pantalon de costard.
C’est un « enfant des camps » , c’est en tout cas ainsi que les autres le décrivent. Mais David ne les habite plus depuis longtemps. Il possède un deux pièces au Neuhof. Il est aujourd’hui venu rendre visite aux amis et à la famille encore à Saint-Gall. Modèle de réussite, il se dit trilingue « français, roumain et tsigane » et vit de petits boulots, pas toujours déclarés. Il raconte qu’il a brièvement été scolarisé :
« J’ai appris à lire, à écrire, et puis j’ai quitté l’école. Ça me suffisait. J’ai directement passé mon permis et aujourd’hui je suis mécanicien “indépendant”. »
« Le camp des rats »
Quand on lui demande comment il appelle Saint-Gall, il lance : « le camp des rats, il y en a de gros comme ça ! » Pour lui, l’environnement est malsain :
« C’est plein de microbes ici. On ne le sent pas tout de suite, ce n’est que plus tard que les problèmes de santé surviennent. Certaines familles se débrouillent pour avoir de l’électricité, d’autres n’en ont pas et se réchauffent au bois, s’éclairent à la bougie. En hiver, ils se réveillent plusieurs fois dans la nuit pour rallumer le feu de leur poêle. L’hiver dernier il a fait jusqu’à moins 20 degrés, imaginez-vous. »
Pour lui, la situation était meilleure il y a quelques années, car mendier en ville ramenait plus d’argent :
« Même les Français sont fauchés ! Alors nous ? Quand on est étranger et que l’on veut s’en sortir, c’est une vraie galère. On aimerait travailler légalement, mais on nous dit que c’est impossible, parce que nous sommes Roumains. Pas de travail, ça veut dire pas de domicile, et donc être voué à vivre dans des bidonvilles. Nous ne sommes pas désirés ici. On nous engueule souvent (les riverains), on nous dit que ça pue, et c’est vrai ! Avec cette grosse benne trop souvent pleine, ça pue. Quand on vient en France, ce n’est pas pour vivre dans ces conditions, c’est parce que l’on est pauvre et que l’on aspire à mieux. En Roumanie, il n’y a pas de moyens, pas d’aides, aucun espoir. »
« La Tsiganie, cette mafia qui gouverne »
La Roumanie actuelle ne ressemble plus au pays communiste qu’elle était avant 1989. Centres commerciaux, bars, routes en bon état, son développement a été très rapide. Mais les salaires sont restés extrêmement bas, le smic roumain n’atteint que 157 euros.
Pour les Roms cependant, la situation n’a pas évolué dans le bon sens. Appelés Tsiganes dans leur pays d’origine, ils restent victimes de discriminations et la population rom non qualifiée est souvent la plus pauvre du pays. C’est le cas de la famille Coman, composée d’un couple et de ses 4 enfants, en France depuis 7 ans. Le père de famille explique que le jour où il a perdu son emploi à la ville de Timisoara, tout à basculé pour eux :
« Je travaillais dans les jardins publics. Nous avions pris un crédit pour acheter une maison. Le jour où je n’ai plus reçu de salaire, c’était terminé. On nous a pris la maison, nous étions à la rue. C’est pour cela que nous sommes partis. Ça voulait dire enlever les enfants de l’école, ça voulait dire partir sans rien, nous en avons énormément souffert. J’avoue que je ne veux plus retourner en Roumanie, je suis profondément déçu par le système. Ce que nous appelons la « Tsiganie », c’est cette mafia qui nous gouverne. Aujourd’hui j’admet avoir honte d’être Roumain. Je veux faire ma vie ici, je veux avoir un statut social. »
Pourtant, ni lui, ni aucun des membres de sa famille ne parle le français. Le chef de famille essaye d’ailleurs de trouver un dictionnaire français-roumain, pour tenter de comprendre comment obtenir un titre de séjour, comment devenir une personne légalement résidente en France.
Sa femme dit s’être rendue à trois reprises chez l’assistante sociale pour faire assurer ses enfants avant la rentrée scolaire, puisque qu’ils sont inscrits à l’école. A chaque fois, elle rentre bredouille, vu l’impossibilité de communiquer et d’expliquer ce qu’elle veut aux services sociaux.
Avec Ceaucescu : « On avait tous du travail, mais il n’y avait rien a acheter. Ici c’est l’inverse. »
« À l’époque de Ceaucescu, on travaillait, on avait de l’argent, mais il n’y avait rien a acheter, tout était rationné, partagé. Ici c’est l’inverse, il y a tout à acheter, nous sommes dans une société d’abondance. Mais nous, nous sommes incapables de nous payer quoique ce soit. »
A 34 ans, Marcus a 6 enfants, dont 3 en Roumanie qui habitent une petite maison en terre battue des année 1970 qu’il dit craindre de voir s’écrouler à la moindre inondation. Il est devenu père à l’âge de 15 ans et explique que les Tsiganes se mariaient et faisaient des enfants tôt pour échapper au service militaire. A chaque fois que son épouse est tombée enceinte, ils sont retournés en Roumanie pour que l’enfant y voit le jour :
« Nous ne voulions pas qu’ils naissent en France, car notre situation est trop instable. Et si nous devions retourner au pays du jour au lendemain ? Et si on nous expulsait ? On sait très bien que l’on est un problème, que l’on est considérés comme des moins que rien. Il n’y a pas plus haï que le Tsigane, de tous temps. La réalité, c’est que l’on ne sait pas comment se débarrasser de nous, alors on nous met dans l’attente, en nous promettant des choses qui n’arrivent pas. Les années passent et notre situation ne change pas. »
Marcus explique que même les maigres revenus faits en France, grâce à la mendicité, permettent de mieux vivre qu’en Roumanie :
« Ma femme vend des journaux « sans-abri » en ville. Elle peut gagner jusqu’à 10 euros en une journée. 10 euros, c’est ce que l’on nous donne comme allocation en Roumanie par enfant et par mois. La différence avec la France, c’est que l’État roumain ne t’aide pas du tout. C’est vrai qu’au-delà de l’aspect financier, qui reste le vrai problème, ce que nous avons trouvé en France, c’est la liberté. Si tu veux dormir dans la rue, tu le fais, personne ne viendra te l’interdire. Pour ce qui est de l’égalité et de la fraternité, c’est autre chose. Ce n’est pas comme on l’imaginait. »
« Je suis adulte et je ne sais rien »
Quand elle est arrivée en France, Nica n’avait nulle part où aller. Elle a débarqué seule, avec ses trois enfants, elle a dormi dans la rue. Dans son pays, elle n’est pas allée à l’école :
« J’avais 5 frères, mon père est décédé quand j’étais très jeune. J’ai dû m’occuper d’eux. Aujourd’hui, je suis adulte, et je ne sais rien… Ce que je veux pour mes enfants, dont certains sont nés en France, c’est une vie normale, qu’ils aient le choix de faire ce qu’ils veulent, qu’ils ne soient pas cantonnés à la mendicité. »
Pour Nica, le rejet que vivent les Tsiganes est étrange :
« Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les Français sont plus gentils et compréhensifs avec les migrants roumains qu’avec les Tsiganes. Moi je pense que si on ne nous aime pas, ce n’est pas dû à notre tsiganité, mais à notre manque de statut dans la société. Je préfère croire cela ».
Simena a 8 ans, c’est la fille de Marcus. Ses cheveux sont d’une longueur qui renvoient les Roms à l’origine indienne qu’on leur attribue communément. Ils sont noirs de jais, brillants. Ses yeux également, surmontés d’énormes cils recourbés.
Simena adore les bonbons, faire du vélo, et porter ses jolis vêtements, un peu comme toutes les petites filles de son âge. Quand on lui demande ce qu’elle aimerait faire plus tard, elle répond très simplement :
« Aller à l’école, apprendre à lire et à écrire. J’aimerai apprendre à parler le français … »
Comme si elle sentait que sans cela ses perspectives d’avenir seraient limitées, autant que l’ont été celles de ses parents. Simena a été inscrite à l’école située route des Romains, par Médecins du Monde. Mais sera-t-il possible pour elle de faire sa rentrée ? En septembre, il est prévu que Saint-Gall ferme ses portes et Simena devra « déménager ».
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