Strasbourg accueille 3,1 millions de visiteurs par an, selon les chiffres de l’Observatoire régional du tourisme, dont 1,7 million pour le seul marché de Noël. Presque tout le reste des touristes vient pendant la période estivale. Unique différence, les hôtels font le plein en période de Noël alors que pendant la période estivale, les visiteurs restent moins longtemps : le taux d’occupation des hôtels bas-rhinois est de 62 % en juillet et de 58 % en août, contre 72 % en décembre, toujours selon l’ORT.
Les touristes viendraient-ils plus nombreux, tout en restant plus longtemps, si la ville organisait un grand festival d’été ? Sans doute que oui, pour la direction de l’Office de tourisme de Strasbourg :
« Les visiteurs sont nombreux l’été, nous le voyons dans la fréquentation de nos bureaux d’accueil. Mais quand il fait chaud, ils préfèrent se mettre au vert et privilégier les logements en campagne. Ce qui n’est pas bon pour les hôtels strasbourgeois. On aurait bien besoin d’un grand festival comme Le Puy du Fou, car ça attire énormément de monde. »
Des animations pour les Strasbourgeois
Les animations d’été proposées par la ville, comme le spectacle de jets d’eau au bassin d’Austerlitz ou les illuminations de la cathédrale attirent surtout les touristes de proximité, c’est à dire les Alsaciens et les Allemands qui connaissent déjà bien Strasbourg. La capitale alsacienne concentre, avec ses 10 000 chambres, 20% de l’offre départementale d’hébergement. Pourtant, en juillet et en août, ces chambres sont loin d’être remplies, car la plupart des touristes venant à Strasbourg en été sont des excursionnistes, qui ne restent qu’une seule journée en ville et ne dorment pas à l’hôtel le soir.
Comment faire alors pour transformer les touristes de passage en touristes résidents ? Pour Patrick Diebold, président du groupement des hôteliers restaurateurs du Bas-Rhin, il faut un évènement phare de l’été :
« Strasbourg est connue pour son marché de Noël en décembre, mais est oubliée pour tout le reste. L’activité économique hôtelière n’existe qu’à Noël. Pour relancer l’activité économique en été, il faudrait que Strasbourg crée un spectacle d’envergure nationale, tels que peuvent l’être le festival d’Avignon ou Le Puy du Fou [ndlr, encore!]. Les animations d’été ne suffisent pas. Cela dit, ça fait 30 ans que je dis qu’il y a un vrai problème d’animation forte l’été, et je ne crois pas que cela ait beaucoup changé… »
Tentatives avortées
Par le passé, des acteurs de la vie culturelle strasbourgeoise ont tenté d’instaurer un grand festival d’été à Strasbourg. Avec plus ou moins de bonheur. Pierre Poudoulec, organisateur de concerts, avait notamment suggéré une idée de festival à la municipalité l’année dernière :
« Les festivals majeurs comme Décibulles ou le festival Summerlied se déroulent tous bien en périphérie, alors qu’il n’y a rien à Strasbourg et c’est bien regrettable. Mon idée était d’organiser un festival de ciné-concerts à Strasbourg, un genre peu répandu en France. Un film de Charlie Chaplin joué en direct par un orchestre philarmonique par exemple, ça aurait pu être intéressant ! Cela aurait eu le mérite de changer des habituels festivals de musique car, pour que des gens traversent la France pour venir à Strasbourg, l’événement doit avoir de la gueule. »
En 2011, Yérri-Gaspar Hummel, directeur artistique pour le label Zamam Records, avait tenté de donner un peu de corps aux Docks d’été, une série de concerts sur la presqu’île Malraux. Il avait en projet « Live On Docks », un premier jet vers un grand rendez-vous musical. L’idée était ambitieuse : 32 dates de concerts divers et variés de groupes et de musiciens locaux, du mercredi au dimanche soir pendant les mois de juillet et d’août. Il s’avéra finalement que le bruit généré aurait trop dérangé les habitants des bâtiments de Rivétoile, la municipalité n’a donc pas souhaité soutenir cette initiative.
Le festival Babel, victime du changement politique
En 1999, dans le but de soutenir la création régionale et « d’enrayer la montée du Front National », Roland Ries, déjà maire de Strasbourg, avait commandé à Roger Siffer, patron de La Choucrouterie, un projet de festival d’été. Après plusieurs propositions, l’idée du festival Babel fut retenue, avec pour ambition de faire se rencontrer des langues, des cultures et des musiques étrangères. Groupes mongols, alsaciens ou yiddiches, dégustation de spécialités exotiques et alsaciennes, jeux pour les enfants…
Le festival proposait un joyeux mélange, qui aura duré trois ans, avant de s’arrêter en 2001 avec l’arrivée de l’équipe Keller-Grossmann à la municipalité. Roger Siffer se souvient :
« La création de ce festival était une volonté politique. Son arrêt l’a également été. Au changement de municipalité, en 2001, Fabienne Keller s’est insurgée contre ce festival, qu’elle qualifiait de socialo-communiste ! Les financements étaient donc devenus dérisoires et il n’était plus possible d’organiser un festival ayant un coût d’environ 500 000 €. On ne peut que le regretter, car si le festival Babel avait subsisté, il aurait pu devenir un parfait équivalent du festival Interceltique de Lorient par exemple. Rien que la troisième année du festival, nous en étions à 12 000 entrées payantes au Palais de la Musique et des Congrès où il se déroulait, sans compter les concerts et le marché d’extérieur.
Aujourd’hui, il faudrait que quelqu’un se lance avec une bonne idée et soit soutenu. Soit par la Ville, soit par la Région. Si on me proposait à nouveau d’organiser un festival, je ferais un Babel modernisé, avec des groupes de rap et de slam, ou de musiques électroniques. »
Le festival International Tzigane a grossi trop vite
Autre rendez-vous de l’été, le festival international tzigane a rythmé pendant douze ans au mois de juillet les murs du Parc de la Citadelle à Strasbourg de jusqu’en 2003. Engé Helmstetter, musicien et directeur artistique du festival, regrette encore aujourd’hui son arrêt, alors que 10 000 à 12 000 personnes par an se déplaçaient selon lui :
« Ce festival était un moment attendu par les strasbourgeois, car à l’époque, il n’y avait pas grand-chose à part les illuminations de la cathédrale. Nous faisions venir des groupes musicaux d’un peu partout pour faire découvrir la culture tzigane. Alsaciens, Allemands, Belges et bien sûr Tziganes faisaient partie du public du festival. Le festival s’est arrêté parce qu’il était devenu très lourd à gérer et que l’association qui l’organisait, Lapona, n’arrivait plus à assurer sa bonne marche tout en proposant d’autres activités en faveur de la communauté.
L’arrêt du festival est intervenu peu après l’arrivée de Fabienne Keller à la mairie de Strasbourg, beaucoup ont cru que c’était la municipalité de droite qui l’avait sabordé, alors que ce n’était pas du tout le cas. Au contraire, je crois que c’est la dernière année du festival que nous avions reçu la meilleure subvention de la ville. »
3 millions sinon rien
L’été 2013 était le dernier du mandat de Roland Ries. Le maire avait pourtant promis, dans ses engagements en 2008, la création d’un « grand événement au creux de l’été », promesse renouvelée lors des Assises de la culture en 2009. Mais pour Mathieu Cahn, adjoint au maire en charge de l’animation, la mise est trop importante pour créer un festival à Strasbourg :
« Bien sûr, on a eu des propositions, dont une qui consistait à créer des Eurockéennes à Strasbourg. C’était trois millions d’euros d’argent public pour le lancer. On s’est aperçu que pour produire quelque chose d’identifiant pour Strasbourg au plan national, il y avait une mise de départ de 2,5 M€. Or le budget des animations d’été, c’est 1,3 M€. Donc je préfère qu’en été, les Strasbourgeois aient des animations pour eux pendant deux mois, plutôt que tout claquer dans trois jours de festival. D’autant que Strasbourg a déjà des événements reconnus, comme l’Ososphère, Musica, le Marché de Noël. Nous mettrons aussi l’accent sur des événements exceptionnels, comme les 500 ans de la cathédrale en 2015. »
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Animation d’été, le programme
Sur Rue89 Strasbourg : Les ambitions brisées de Live On Docks
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