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Comment sauver la knack alsacienne

La charcuterie industrielle alsacienne souffre. Après la reprise d’Iller à Altdorf par le groupe André Bazin, supprimant au passage plus de 60 emplois, d’autres PME montrent des signes inquiétants. Encore cinq géants en concurrence il y a encore quelques années, ils ne sont maintenant plus que deux. Et la hausse des coûts de production n’arrange rien. Alors, comment envisager l’avenir de ce secteur en Alsace ?

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La knack alsacienne, ou saucisse de Strasbourg, pourrait bénéficier d'une protection géographique (-)

La knack alsacienne, ou saucisse de Strasbourg, pourrait bénéficier d'une protection géographique (-)
La knack alsacienne, ou saucisse de Strasbourg, pourrait bénéficier d’une protection géographique (-)

La grande restructuration de l’industrie de la charcuterie alsacienne a commencé en 2008, lorsque Stoeffler a été absorbé par son concurrent historique, Pierre Schmidt. En 2012, Tempé à Mulhouse est racheté par Maurer de Kingersheim, à la faveur d’un plan de redressement. Tempé employait 272 salariés et existait depuis 1910. Et fin mai, Iller, en redressement judiciaire, a été repris la société haute-saônoise André-Bazin

Depuis cinq ans, le secteur et ses trente-cinq entreprises sont en difficulté à cause de la hausse du prix des matières premières, à débouchés constants. Ce secteur embauche encore 2 700 Alsaciens et produit plus 80 000 tonnes de charcuterie chaque année, soit 7 à 8 % de la production nationale.

Le porc flambe, les charcutiers en bavent

Dans cette industrie, les matières premières (viandes, œufs, farine…) représentent la moitié du coût total de production. Alors, quand le prix de la viande la plus utilisée chez les charcutiers, le porc, augmente, la rentabilité baisse automatiquement. « La gestion se fait au jour le jour », comme l’explique Daniel Muller, directeur général de la boucherie charcuterie Metzger Muller :

« Notre cycle d’exploitation est très court. Entre la livraison et la vente il ne se passe que quelques jours. On ne peut pas stocker ni spéculer. Du coup, on subit les prix, qui dépendent de l’offre et de la demande mondiale, sans pouvoir anticiper car la variation est rapide. Cette situation est très complexe à gérer, autant au niveau de la trésorerie que des ressources humaines. On est tellement au fil de l’eau qu’à la première crise, on tombe tous. »

Une solution : se retirer des marchés…

Pour Dominique Bigard, président du groupe Maurer Tempé, l’autre raison de « ces dégâts actuels » est « la course au volume », qui a eu lieu entre les quelques groupes les plus importants de cette industrie il y a quatre ou cinq ans. Mais Catherine Goavec, déléguée générale de la FICT, ne semble pas du même avis :

« Il y a simplement une course au prix et à la concurrence comme dans tous les domaines. Et là, la profession est prise en étau entre les prix agricoles qui augmentent et les distributeurs qui sont dans une logique de concurrence et qui ne souhaitent donc pas renégocier les prix quelles que soit les variations. »

Résultat, les entreprises sont obligées de répercuter l’augmentation des coûts de production sur leurs fonds propres. Alors, certains industriels, comme le groupe Maurer Tempé, ont décidé d’adopter une nouvelle stratégie pour faire face à la situation. Depuis un an l’entreprise se retire des gros marchés. Elle est encore présente en grande surface mais uniquement sous sa propre marque. Ses produits sont également présents dans 28 points de vente directe. De cette manière, le groupe préfère « miser sur qualité » quitte à ce que le produit soit plus cher, plutôt que « sur la quantité », selon le mot de Dominique Bigeard.

C’est également l’avis de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Alsace (Draaf) qui préconise « le développement d’alternatives de distribution » pour améliorer la situation du secteur. Car actuellement, 70 % de la production est commercialisée en grande et moyenne surface. Utiliser ses magasins propres et des circuits alternatifs permettrait aux industriels de fixer eux-mêmes leurs prix en fonction de leur coût de production. Pierre-Adrien Romon, chargé de mission à la Draaf, confirme :

« Développer les produits sains (diminution du sel, des graisses, travail sur les colorants, etc.) serait une manière de les rendre plus attractifs auprès des consommateurs. Dans une période de difficultés du secteur, l’innovation et la diversification des produits, en marge ou hors du schéma de la charcuterie traditionnelle alsacienne, représentent un axe de développement possible. »

Et si les prix de la charcuterie augmentaient ?

Mais une solution pourrait bien être trouvée dans les prochains mois pour remédier à cette « pression » des prix, exercée par les distributeurs. Le gouvernement et la Fédération industrielle des charcutiers traiteurs (Fict) réfléchissent sur un projet de clause de renégociation des prix dans le cadre d’un plan d’avenir pour la filière porcine. D’après la Fict, ce projet de loi devrait être discutée et votée d’ici la fin de l’année.

Présentation du projet de loi par Benoit Hamon

Pour les dirigeants des charcuteries industrielles, cette clause représente un réel espoir, comme l’affirme Dominique Bigard :

« On est tout à fait favorable à cette mesure. Je dirais même qu’elle est indispensable. On ne peut plus supporter cette hausse colossale des coûts. « 

Du coup les ventes ne pourraient-elles pas baisser ? Pour lui, « il n’y a pas de risque, car la charcuterie n’est pas un produit cher ». Et puis, la charcuterie est encore l’un des rares produit à ne pas avoir été affecté par la crise, en France sa consommation se maintient, voire progresse.

Protéger la knack alsacienne

Pour se sortir de cette situation difficile la charcuterie industrielle d’Alsace compte aussi sur sa knack traditionnelle. Ce produit 100 % alsacien pourrait bien être reconnu comme une véritable spécificité géographique et protégé en tant que telle. La knack d’Alsace ne serait alors produite que dans la région selon un cahier des charges qualitatif précis. Une manière d’éviter les « contre-façons », tout en valorisant ce produit. La demande d’une indication géographique protégée (IGP) a été faite en 2009.

Catherine Goavec rappelle que la knack d’Alsace n’est encore protégée, loin de là :

« En ce moment une procédure obligatoire de deux mois est en cours afin de faire connaître cette demande d’appellation. Si personne n’a de raison pour s’opposer à cette protection d’ici là, la demande sera directement envoyée à Bruxelles. Et la knack alsacienne bénéficiera d’une protection transitoire rapidement en attendant la décision finale. Mais s’il y a des oppositions, de la part d’industriels qui en produisent hors de la région par exemple, ça peut prendre encore des années… »

La charcuterie alsacienne, encore trop peu en France

Avant la filière de la charcuterie alsacienne parlait d’investissements, d’exportations… Mais ça c’était avant. Aujourd’hui ce secteur n’en a plus les moyens. Pourtant, avec des investissements à l’extérieur la situation de la charcuterie alsacienne pourrait bel et bien s’améliorer.

Actuellement les importations de charcuterie sont deux fois plus élevées que les exportations en France. En 2011, les échanges nationaux affichaient un solde négatif de 300 millions d’euros. Ainsi, comme l’explique la Draaf, « il y a des potentiels sur le marché international, mais cela suppose des investissements sur la durée et implique une adaptation des produits aux marchés ciblés ». Et en Alsace on peut même envisager conquérir le marché français en sortant des frontières de la région « notamment dans le quart Nord-Est du pays », souligne la Draaf. Depuis l’année dernière, une cellule de réflexion pour les industries agroalimentaires d’Alsace a été créée.


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