Muriel avait 52 ans. Je ne la connaissais pas, c’est un oncologue qui, un jour, m’a appelée pour me demander si j’acceptais de la prendre comme patiente. Elle ne voulait plus continuer son traitement, ni aucun autre traitement d’ailleurs. Elle voulait juste rentrer chez elle.
Son cancer ? le pancréas. Celui qui ne fait pas de quartier. Elle venait de demander à son oncologue combien de temps il lui restait, pour la dixième fois. La réponse ?
– « Plus tellement, plus beaucoup.
– Combien ?
– On ne sait pas. Peut-être six mois. »
Elle a voulu passer ces derniers mois sans hôpital, sans chimio. Elle avait bien le droit, Muriel, puisqu’il n’y avait plus grand chose à faire. Je l’ai rencontrée à mon cabinet, la toute première fois. Elle m’a fait penser à un oiseau frêle et blessé, mais ses yeux me regardaient intensément . Ses yeux dévoraient son visage amaigri.
La rencontre a été un beau moment dans ma vie de médecin : Muriel n’était pas banale. Une vie sans enfant, un nouvel amour tout neuf depuis moins d’un an. Muriel s’était mariée début janvier, et fin janvier, on lui diagnostiquait son crabe. Mais méchant, très méchant ce cancer.
Elle a commencé sa chimio, mais sans résultat, puis nouvelle chimio, son cancer allait plus vite encore. Elle s’est mise à maigrir de plus en plus vite, et à souffrir. En arrivant à mon cabinet, elle prenait déjà de la morphine depuis 2 semaines.
« Pas d’acharnement, une mort digne, c’est tout Docteur, vous comprenez ? »
Et là, Muriel m’a expliqué ce qu’elle attendait de moi et du reste de temps qu’elle avait à vivre :
– « Pas d’acharnement, une mort digne, c’est tout Docteur, vous comprenez ? »
Je suis très vite allée la voir à son domicile, ses forces diminuaient à toute allure. Muriel ne mangeait pas beaucoup. Les doses de morphiniques ont été très vite augmentées. Elle avait des douleurs insomniantes. Une nouvelle forme de morphinique venait de faire son apparition permettant de prendre en charge très vite les accès douloureux aigus.
Je passais la voir une fois par semaine au début, puis plus souvent. Mais je ne voyais jamais son mari. Elle me disait qu’il travaillait beaucoup, à l’étranger. Je passais toujours en début d’après midi et ne m’en étonnais pas au début. Voyant son état s’aggraver, je demandais à voir son conjoint.
Malgré mes demandes, je ne le rencontrais jamais. Et puis un jour, alors qu’elle était plus mal, elle m’a expliqué que jeune mariée (depuis moins de 6 mois), elle avait décidé d’éloigner son mari et de ne pas lui faire subir une femme « cancéreuse ». J’ai passé du temps ce jour là, pour lui dire que son mari devait souffrir encore plus de se sentir exclu et totalement impuissant devant sa détresse. Ils s’aimaient.
Je l’ai revue 3 jours plus tard pour adapter son traitement et je l’ai vue apaisée. Elle avait changé de position quant au partage de sa maladie avec son tout nouveau mari. Elle avait eu une longue conversation avec lui, et ils avaient décidé de faire face ensemble tous les deux, de se soutenir l’un l’autre, face à cette mort inéluctable.
Muriel a survécu 3 semaines encore. Elle est restée très courageuse. Je lui proposais régulièrement une hospitalisation en soin palliatifs, qu’elle a refusée jusqu’au dernier jour. Elle ne voulait pas non plus de soins d’hospitalisation à domicile. Elle a préféré avoir les soins d’une infirmière qui a été très proche d’elle aussi.
Et puis, devant la difficulté absolue de s’alimenter depuis 24h, elle a bien voulu être hospitalisée le dernier jour. Son oncologue m’a appelée le lendemain. Muriel était partie. Son mari était resté à ses côtés.
Le rapport le plus intense avec un patient
Pendant tout le temps du suivi à son domicile qui a duré moins de 3 mois, Muriel m’a écrit des lettres : parler l’épuisait. Ces lettres ont été de plus en plus longues et de plus en plus personnelles et affectueuses.
Je n’ai jamais eu un rapport aussi intense avec un patient sur un temps aussi court. On sentait l’urgence dans chacune de ses phrases. Dans ses lettres, elle parlait très peu de ses symptômes. Mais dans chaque lettre, elle parlait d’amour, d’amour des petites choses de la vie, puis de l’amour qu’elle avait pour ce mari, de son regret de ne pouvoir continuer sa vie avec cet homme qu’elle aimait tant.
Je pense encore souvent à Muriel, elle est morte il y a plus de 4 ans maintenant. J’ai rangé ses lettres au fond d’un tiroir chez moi. Je sais que je n’arrive pas à les relire… Mais elles sont là.
Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Les soins palliatifs se sont bien développés ces dernières années . Le cancer se soigne mieux, même s’il reste une des premières causes de mortalité dans notre pays.
Le patient a souvent les clés pour décider de poursuivre ou non un traitement agressif alors que l’espoir de guérison est perdu. Il peut être hospitalisé dans des services spécialisés qui sont très humains, très à l’écoute. Il y a aussi des équipes mobiles qui permettent d’apporter au patient l’hôpital à la maison. Ces services ont amené une prise en charge qui a été pour moi un grand progrès dans la prise en charge des cancers, au même titre que les progrès des thérapeutiques curatives.
De tout cela, Muriel n’en voulait pas, c’était son droit. Elle a refusé toute alimentation parentérale et toute perfusion jusqu’au bout. L’hospitalisation terminale a permis une mort sans souffrance excessive. Elle n’a duré que quelques heures comme c’était son souhait.
Ce genre de patient particulier et très décidé est très rare. Je n’ai plus jamais rencontré quelqu’un comme elle.
Pour une amélioration de la loi sur l’euthanasie
Je suis pour une amélioration de la loi sur la fin de vie et pour permettre aux patients d’avoir un vrai choix de mourir dans la dignité. La loi actuelle permet une sorte d’euthanasie passive qui permet de soulager les souffrances tout à la fin de l’évolution d’une maladie. Son application dépend des soignants et de l’entourage du malade, plus que du malade lui-même.
J’aimerais une évolution vers un système d’aide active décidée par le patient, lorsqu’il en est encore capable et lorsque des conditions précises de maladie sont remplies. Un système qui ressemble à ce qui existe en Suisse par exemple.
Mais je suis pessimiste quant à cette évolution en France. Les communautés religieuses ont un poids sociétal ces derniers temps que je n’imaginais pas dans mon pays que j’ai toujours cru laïc.
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