Après avoir temporairement habité et rhabillé l’an dernier l’entrepôt Seegmuller sur la presqu’île Malraux, à quelques encablures du centre-ville, Ososphère poursuit son exploration des symboles du patrimoine industriel strasbourgeois et de l’activité portuaire de la capitale européenne. L’équipe du festival a jeté son dévolu cette année sur l’ancienne cave à vins de la Coop : plus de 14 000 mètres carrés d’espaces inoccupés depuis 2006 par l’entreprise coopérative. Quatre niveaux s’offrent ainsi à des installations artistiques, performances, expositions et concerts – les fameuses Nuits électroniques qui font la réputation de l’événement, les vendredi 14 et samedi 15 décembre avec une affiche de haut vol sur les dancefloors du rez-de-chaussée susceptibles de ressusciter l’atmosphère des free parties originelles.
Quel avenir pour la Laiterie à la Coop
Et lorsque l’on se rend à la Coop, au cœur de friches grises au charme industriel, le long de voies ferrées désaffectées, face aux gigantesques cheminées fumantes de la Malterie, non loin du port autonome en pleine effervescence, on penserait presque à la Battersea Power Station, cette centrale au charbon qui s’affiche sur la pochette du mythique album Animals de Pink Floyd en 1977. Un site londonien désormais sanctuarisé sur les berges de la Tamise, devenu bâtiment historique, lieu de pèlerinage et aussi l’un des symboles forts de la culture pop universelle.
La Coop connaîtra-t-elle un tel destin ? Mettons immédiatement fin aux conjectures les plus folles… même s’il est permis de rêver et d’y voir un potentiel futur centre névralgique culturel strasbourgeois, à la fois tourné vers l’Allemagne et vers la réhabilitation d’un quartier encore bien enclavé mais en complète mutation. Les lieux appartiennent aujourd’hui à une société privée, la Coop, et l’on peut au moins se réjouir de la concrétisation de cet ambitieux projet souhaité depuis quelques années par Thierry Danet, le patron de la Laiterie et du festival Ososphère :
« Ce site est extraordinaire. Il a une grâce façonnée par l’usage et par le temps. Avec l’arrivée d’Ososphère à la Coop, on s’inscrit dans la nouvelle trajectoire de la ville en rappelant qu’il n’y a pas si longtemps, l’endroit accueillait encore des gens et qu’existait ici une activité ».
Ososphère tenté de s’implanter durablement
Voilà qui soulève évidemment la question d’un potentiel ancrage ultérieur, et à plus long terme, de la Laiterie à la Coop. Une option séduisante d’autant que des travaux d’assainissement et de mise aux normes ont été entrepris dès le mois de septembre afin d’obtenir l’agrément ERP (établissement recevant du public) pour que la Coop puisse accueillir Ososphère jusqu’au 16 décembre.
Comment cette arrivée s’inscrit-elle dans le paysage urbain du Port du Rhin ? Et, surtout, quels bénéfices les 1500 habitants du quartier pourront-ils en tirer ? Françoise Buffet, l’adjointe au maire en charge du quartier, n’y voit que des avantages :
« Il y a là un grand dynamisme, un réel potentiel. C’est une opportunité à tous points de vue puisque nous nous trouvons dans un quartier à la croisée des enjeux géographique, économique et social. Le festival Ososphère est un aspect parmi d’autres du nouvel axe de développement que nous voulons pour le Port du Rhin. L’objectif, c’est le désenclavement et ce rattachement à part entière à la ville passe par tous les projets que nous avons mis en œuvre après le sommet de l’Otan. Nous devons avoir un rôle de catalyseur pour sortir de la disparité actuelle et inclure petit à petit les habitants dans nos réalisations, faire en sorte qu’ils se rattachent à des choses concrètes ».
Ososphère peut-il remplir ce rôle ? Pour Franck Liebenguth, le directeur du centre socio-culturel Au-delà des Ponts, cette initiative ne peut que porter ses fruits :
« Dès le départ, avec ce projet de faire venir le festival à la Coop, il y avait la volonté de ne pas plaquer l’événement à côté de lieux de vie. L’idée, justement, c’était d’apporter de la vie dans une zone excentrée, seulement reliée à la ville par une ligne de bus (la ligne 2). Alors même si les habitants du Port du Rhin se disent aujourd’hui qu’Ososphère ce n’est pas pour eux, il existe une proximité géographique avec le festival. Avec une démarche de sensibilisation, de médiation et un gros travail en amont pour attiser la curiosité, créer de l’intérêt et faire en sorte que les gens aient envie de participer. »
Au mois de juin, la web radio de la Laiterie et Radio en Construction avaient ainsi monté des ateliers de reportage réalisés par des habitants du quartier. Un travail avait également été mené auprès des élèves du groupe scolaire du Port du Rhin et l’association Au-delà des Ponts essaie aussi d’inciter les habitants à se déplacer à Ososphère et aux Nuits électroniques des 14 et 15 décembre grâce à un quota de places vendues à 3 euros, la différence étant prise en charge par la structure. Et l’objectif, selon Franck Liebenguth, c’est de se positionner sur du long terme en dépassant cette première édition d’Ososphère pour penser, déjà, à la seconde.
La mixité sociale au Port du Rhin pour bientôt, selon la mairie
Outre ce volet culturel qui participe assurément de la reconquête sociale du quartier du Port du Rhin, ce sont surtout les grands chantiers et projets de réaménagement urbain qui portent le changement. Plus de 133 millions d’euros de fonds publics et privés ont déjà été investis dans la mutation du quartier, à travers, notamment, la construction de la maison de l’enfance Strasbourg-Kehl, la restructuration du groupe scolaire du Rhin, la réalisation de la deuxième tranche de la liaison inter-ports, l’aménagement de la place de l’Hippodrome et un vaste programme immobilier via la réhabilitation d’immeubles (cité Loucheur, secteur Coulaux Kratz) et la construction de plus de 500 logements (le programme mixte de la Résidence du jardin des Deux Rives et le projet d’Habitation Moderne sur l’îlot de l’église Ste Jeanne d’Arc) dont les premiers doivent être livrés fin 2013.
L’extension de la ligne D du tramway jusqu’à Kehl à partir de 2016 (28 millions d’euros), l’érection du nouveau centre médico-social (2,6 millions d’euros) et de la maison urbaine de santé (2 millions d’euros) regroupant les trois cliniques Adassa, Diaconat et Ste Odile à l’horizon 2016 représenteront aussi un sérieux déclencheur de mutation urbaine sur un territoire de 10 hectares qui manque aujourd’hui cruellement de mixité sociale avec plus de 90% de logements sociaux.
Voilà pourquoi la municipalité poursuit le triple objectif du désenclavement, du triplement de la population d’ici une dizaine d’années et de la cure de jouvence de la Porte de France et de l’entrée de ville par l’Allemagne. Conséquence, d’après Franck Liebenguth, le directeur du CS Au-delà des Ponts : « Le sentiment d’abandon n’est aujourd’hui plus aussi présent » (lire notre article sur ce sujet). A condition que les pouvoirs publics se donnent les moyens de toujours associer politique de rénovation urbaine et mesures de réhabilitation et d’insertion sociale.
Y aller
Le festival Ososphère à la Coop, rue de la Coopérative. A partir de vendredi 7 décembre et jusqu’au dimanche 16 décembre. Infos et programme complet ici. Accès : ligne de bus n°2, arrêt Port du Rhin et ligne D du tram, arrêt place d’Islande (puis marcher 10 minutes).
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