Julie a 14 ans et demi (à cet âge le demi a son importance), elle vient me voir en consultation toute seule , et c’est la toute première fois qu’elle vient seule. Je la connais depuis qu’elle est toute petite . Elle n’a pas sa carte Vitale sur elle, et pour cause : c’est encore celle de sa mère (elle n’aura la sienne qu’à 16 ans) . Elle se tortille sur sa chaise sans réussir à aborder la raison de sa venue.
Et puis elle lâche : le préservatif a craqué ! C’est la panique, elle pleure parce qu’elle ne prend pas de contraception. En plus, Julie ne veut absolument pas que ses parents sachent qu’elle a des rapports sexuels. Bref c’est la crise !
Je la rassure parce que c’est arrivé hier et qu’on est dans les temps. Je lui prescris la pilule du lendemain et je lui explique qu’elle lui sera délivrée gratuitement sans carte Vitale sans pièce d’identité (correction). Bref c’est tout simple et très efficace. La petite Julie arrête de pleurer et se calme doucement.
Naviguer dans les méandres de la Sécurité sociale
Ensuite je prends mon temps avec elle. J’aborde le sujet de la contraception. Comme elle ne veut pas en parler à ses parents, il n’y a pas 36 000 solutions. Le préservatif ne suffit pas, elle a « un petit copain » régulier. Seule solution pour rester discrète, mais la plus contraignante : la pilule.
Comme nous sommes en ville, elle peut obtenir gratuitement la pilule au planning familial. Mais ce ne serait pas le cas à la campagne où le planning est absent . On décide ensemble que je lui prescris une pilule remboursée, donc très peu chère.
Là encore pour garder le secret, il y a 2 solutions : soit la jeune fille paye la pilule de sa poche, soit elle ment sur les raisons de sa consultation chez moi et je lui remets alors deux ordonnances, l’une avec la pilule, l’autre avec 2 ou 3 boîtes de paracetamol qui feront diversion auprès des parents. Les relevés de sécurité sociale arriveront chez les parents avec la mention du remboursement, mais sans le nom du médicament. Bref, on louvoie allègrement dans les arcanes de la prescription médicamenteuse et du système de sécurité sociale.
Je lui parle aussi du secret médical qui existe, même à son âge. Elle est inquiète que je parle à ses parents qui sont aussi mes patients. Je la rassure : le secret est la base de la confiance qui s’établit entre cette jeune patiente et le médecin que je suis. En résumé : motus et bouche cousue.
Dans cette histoire, Julie aura fait face à un vrai parcours du combattant du haut de ses 14 ans 1/2. La plupart des jeunes filles de cet âge ne viendront pas jusqu’à un cabinet médical, par peur, et aussi à cause de la difficulté de la démarche. Ces filles là rejoindront la cohorte des demandes d’interruptions volontaires de grossesses (IVG) ou, lorsqu’il est trop tard, des filles mères.
Des efforts du gouvernement, encore insuffisant
Madame Marisol Touraine vient de décider de la gratuité de la pilule chez les mineures, ainsi que celle de l’IVG. Très bien mais pourquoi s’arrêter ainsi au milieu du gué ? L’accès à la contraception n’est pas synonyme de pilule faut-il le rappeler? Quand on est une très jeune fille, l’observance d’un traitement est difficile.
La contraception est diverse et variée : les autres moyens de contraceptions comme le stérilet ou l’implant doivent être à la portée des mineures comme la pilule, et donc anonymes et gratuits de la même manière que la pilule. A quand une délivrance gratuite de la contraception en pharmacie avec respect de l’anonymat sur simple ordonnance annuelle ? A quand un tiers payant intégral chez les médecins traitants pour les consultations de contraception chez les mineures, et ce sans examen gynécologique inutile ? A quand une rémunération sans aucun retour vers les assurés qui sont les parents, comme cela existe déjà pour l’IVG ?
Ce type de mesures permettrait sans nul doute de faire baisser le taux d’IVG chez ces jeunes filles. Car l’IVG n’est pas seulement un échec de la contraception, mais aussi un vrai traumatisme pour la plupart des femmes.
Chargement des commentaires…