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Concert : Dominique A majuscule

Voilà déjà deux décennies et neuf albums que Dominique A distille son élégante et subtile poésie. Le quadragénaire nantais aime le rock électrique et le lyrisme acoustique. Il le démontre dans son dernier disque, Vers les lueurs, nouveau chapitre coloré et resplendissant d’une œuvre au substrat organique et charnel. Entretien avec Dominique A avant son concert, le 9 novembre à la Laiterie.

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Concert : Dominique A majuscule

Dominique A
Dominique A (photo Frank Loriou)

Rue 89 Strasbourg : Quelle a été votre démarche musicale dans la construction de ce nouvel album Vers les lueurs ?

Dominique A : L’objectif, avant tout, c’était de faire un disque avec le groupe de la tournée précédente (ndlr, en 2009-2010, pour l’album La Musique). On l’a enregistré dans les conditions du live, et ce que je voulais dans l’instrumentation, c’était une flûte. C’était mon point de départ, une flûte face à une guitare électrique. Et progressivement, l’idée d’un ensemble classique est venue, un quintette à vents. J’ai même pensé à une chorale sur scène, mais dans ce cas, on aurait été quarante, et ça n’aurait pas été possible ! Finalement, de fil en aiguille, on a associé l’aspect électrique au côté classique et pour que cela rende bien, avec un sentiment d’urgence, avec de l’excitation, on a tout enregistré en bloc.

En associant le classique et l’électrique, vous explorez un nouveau chemin. Est-il nécessaire, vital pour vous, de gratter de nouveaux styles ?

Dominique A
Dominique A (photo Frank Loriou)

Si je n’avais pas autant peur de décevoir, je ferais toujours le même disque, dans les mêmes conditions. En fait, ce n’est pas tant l’ennui qui m’effraie mais le fait de ne pas avancer, de ne pas trouver le costume musical qui me convient. Un album, une tournée, ça engage d’autres personnes, on collabore, on travaille ensemble et là, on me donne les moyens de créer. J’aime cette idée de sentir que j’ai quelque chose entre les mains. Je m’en sers pour modeler des choses différentes et, peut-être, parvenir à trouver ma formule pour arriver à une sorte d’état naturel, qui est loin d’être inné.

En fait, je cherche quelque chose, je ne sais toujours pas exactement quoi, mais chaque disque correspond à une façon différente de chercher. Et j’en suis au neuvième ! Vous savez, ce sont des moments de joie, de plénitude qui arrivent. On sent qu’on touche un truc, ça tient à une ou deux chansons par album. Par exemple, je me souviens, sur Auguri (ndlr, cinquième album studio, sorti en 2001), la chanson « Le commerce de l’eau » sonnait bien. Et au bout d’une journée, voilà, ça devenait le mur sonore idéal !

A quelles chansons pensez-vous sur l’album Vers les lueurs ?

Aux deux dernières, « Le Convoi » et « Par les lueurs ». Celle-ci, c’est une espèce de comptine très simple, j’arrive à quelque chose d’assez enfantin dans la formulation et le refrain, c’est presque naïf et ça me procure beaucoup de joie sur scène. Quand je dis « naïf », je pense à un côté « poésie de collégien en quatrième ». L’idée principale de la chanson, c’est d’être traversé par de petites illuminations avec un rapport presque religieux à l’existence mais délesté d’un rapport à une religion en particulier. C’en est presque gênant de chanter cela, mais tout est dans le décorum musical, dans la manière de l’amener pour faire ressentir quelque chose d’enfantin. J’ai été le premier surpris par cette naïveté !

Ça rejoint cette phrase rebattue, quand Picasso disait : « J’ai passé toute ma vie à essayer de dessiner comme un enfant ». Arrive donc ce moment où l’habit, l’intellect de l’adulte disparaît au profit d’une expression plus brute et plus profonde, plus primaire pourrait-on dire.

« Avec le son qu’on a sur cet album, il se passe quelque chose »

Pensez-vous que ce facteur a contribué à la fois au succès du disque et à l’écho plus large qu’il a eu auprès du public ?

Les gens qui découvrent et qui sont conquis par ce disque-là en particulier, ils aiment le fond du disque avant tout. Mais peut-être que l’audience élargie s’explique aussi par l’immédiateté plus importante des chansons. Sur l’album, on a vraiment fait le lien entre le studio et le live : l’enregistrement a été rapide, à peine quelques jours, le jeu collectif s’est déroulé en deux temps, électrique d’un coté, puis le quintette de l’autre, ce qui rend certainement l’album plus ouvert sur le fond. Globalement, avec le son que l’on a, les choses se passent, ça donne quelque chose, on ressent un truc car par rapport au disque précédent, il n’y a plus de filtre.

Lorsque vous écrivez des textes, comment opérez-vous ? Est-ce que vous déballez votre histoire ou vous mettez-vous dans la peau d’un personnage-narrateur dans une situation bien précise ?

Ma démarche d’écriture, c’est « metteur en scène – acteur », et pas d’autobiographie brute. Par exemple, pour « Vers le bleu » (ndlr, l’un des deux singles de l’album Vers les lueurs), j’aime beaucoup cette idée de la personne qui en protège une autre, en l’occurrence deux frères dans cette chanson. J’avais ma première phrase, « Une ombre passait sur le mur / Au pied duquel tu m’attendais / La main posée sur les blessures / Que n’importe qui t’avait fait ». Et puis au bout de huit lignes, j’ai la situation. Ensuite, je laisse le stylo faire le boulot.

Évidemment, il y a quelques chansons autobiographiques, comme « Close West », c’est une suite d’images syncopées, très elliptiques. Et le déballage, il est là. Car chanteur, ce n’est pas le métier le plus pudique du monde ! Je veux juste promettre aux gens quelque chose qui les fasse réagir car j’adore qu’il y ait des points d’interrogation, que l’on se pose des questions avec les textes. Mais bon, on me renvoie souvent que c’est compliqué.

« Je n’ai pas de problème avec la pudeur »

Que recherchez-vous dans une chanson ?

Dominique A
Dominique A (photo Frank Loriou)

En fait, je n’ai pas de problème avec la pudeur, moins c’est cloisonné, mieux c’est ! Mais ce qui me plaît avant tout, c’est qu’une chanson vous déplace géographiquement. Et en tant qu’auditeur , je cherche à me construire des images. J’écoute énormément de musique en voyage, dans le camion, en train, en tournée, je me projette dans le décor de la chanson. Ce qui m’inspire le plus, c’est de me retrouver dans des situations où j’ai une heure ou deux devant moi, et marcher, car j’adore me balader.

Il y a des chansons qui sont nées comme ça. Par exemple, « Hasta que el cuerpo aguante » (ndlr, morceau de l’album La Musique, sorti en 2009), j’y ai pensé en promo en Espagne. A Séville. J’avais ce titre en espagnol en tête et quand mon grand-père est décédé, peu de temps après, cela s’est imposé naturellement, car son corps venait de le lâcher.

Un autre exemple, sur le dernier album, « Close West ». La première phrase de la chanson (ndlr, « J’imaginais au loin les plaines américaines / Tout en haut des collines qui bordent la Vilaine »), c’est lié à mes souvenirs d’enfance lorsque j’allais en Bretagne tous les étés. Et j’ai toujours pensé qu’il y avait l’Amérique au loin. C’est un souvenir tellement présent, tellement fort qu’il fallait traduire ce sentiment par des guitares lourdes, par de la violence électrique. J’avais vraiment envie d’opposer enfance et violence.

Quel regard portez-vous sur l’esprit général de Vers les lueurs ?

Globalement, ce sont des chansons qui traduisent le manque, surtout dans des vies comme celles que l’on a aujourd’hui, avec une course permanente, à l’argent, au pouvoir. On a remplacé les dieux par des idoles qui sont le fric, le pouvoir !

Dans « Contre un arbre », les paroles me sont venues in situ, après des mois de travail dans une ambiance urbaine, avec un relâchement nécessaire, vital. J’avais besoin de couper ! Il y a bien sûr un côté « déclaration d’intention » à commencer le disque ainsi, mais cela se rattache à des émotions d’enfance. Je viens d’une ville de 12 000 habitants, Provins en Seine-et-Marne. Juste à côté, il y a la campagne. La nature, ça me tient donc à cœur !

Mais au-delà des thématiques écologisantes, comme dans « Rendez-nous la lumière », ça part d’un ressenti très fort : le paysage est uniforme, et au bout d’un moment, quand on passe quatre jours en tournée, dans des zones industrielles, quand vous êtes loin du centre-ville, c’est pesant. C’est donc une chanson d’observation, une chanson très pompière aussi car elle renvoie à notre quotidien d’où la beauté est de plus en plus absente, notamment dans les rapports humains. Il y a un tel cynisme, une telle violence, on est dans l’ère du ricanement par rapport à l’autre, dans un exercice où il faut constamment rabaisser l’autre. Je ne me sens pas l’âme d’un tribun avec ce texte, je formule simplement un constat. A chacun de reprendre cela à son compte.


Vous avez collaboré avec de nombreux autres artistes, vous avez écrit pour eux, chanté avec certains. Qu’en retirez-vous ?

Les collaborations répondent toujours à des sollicitations, donc c’est flatteur. Pour Michel Delpech et Calogero, c’était un travail de commande. Dans ce cas, j’essaie de respecter ce que me disent les interprètes, j’essaie de penser à leur place, de penser à leur voix. Ils sont dans un souci d’accessibilité par rapport au public, un souci qui n’est pas forcément le mien. C’est une démarche très intéressante.

Et puis j’aime cette idée d’écrire pour les autres, d’être appelé par des artistes indé (ndlr, comme les rappeurs bretons de Psykick Lyrikah ou encore Jeanne Balibar, Jane Birkin) pour du featuring vocal. C’est aussi un vrai exercice de style que d’écrire pour des gens qui font de la variété, c’est-à-dire du mainstream, donc ce qui relève du domaine public, ce qui est populaire. C’est presque un autre métier. Je me mets « au service de ». Ma seule condition, c’est d’être inspiré par la personne et ça, ça ne se commande pas et en même temps, ça me rassure car il me faut du respect pour la personne avec laquelle je travaille. Pour moi, c’est une façon d’appréhender ce métier par tous les bouts.

« En concert, j’aime bien balancer la sauce »

Parlons maintenant de la tournée. Comment se déroule le concert ? Quels titres jouez-vous alors que vous avez vingt ans de carrière à votre actif ?

La première partie de la tournée, c’était vraiment avec le quintette sur scène, en jouant les titres du premier album (ndlr, La Fossette) et du dernier (ndlr, Vers les lueurs). Maintenant, c’est la vraie tournée, avec la formation rock et sans le quintette à vent. Du coup, on se donne la liberté de piocher dans tout le répertoire. On revisite tous azimuts chaque disque. On joue des morceaux emblématiques de chaque album ainsi que des titres plus inattendus. On met l’accent sur la dynamique du son, avec une création lumière importante.

J’aime bien balancer la sauce en concert, avec une énergie tendue, dans la rétention et sans faire tout exploser en permanence, mais aussi avec des moments où il faut que la fusée explose dans le ciel ! Là, pour cette tournée, on a travaillé sur à peu près deux heures et quart de concert. Ça repose donc sur des équilibres avec une setlist assez figée désormais, et l’objectif, c’est d’en arriver à un point où on ne pense plus au morceau, où on l’oublie, pour se dépasser soi-même et ne plus porter d’attention aux notes.

Vous êtes souvent venu à Strasbourg. Quelle rapport avez-vous avec cette ville ?

Avant tout des rapports d’amitié, par exemple avec Philippe Poirier (ndlr, l’un des membres de Kat Onoma) et sa femme. Et puis je suis toujours heureux de venir jouer à la Laiterie. J’aime le rapport qu’il y a entre la scène et le public. On n’est pas trop en hauteur, il n’y a pas de barrière avec la salle, sinon, pour moi, c’est rédhibitoire. C’est très important ce lien direct avec le public.

Y aller

Dominique A en concert le vendredi 9 novembre à La Laiterie, 13 rue du Hohwald à Strasbourg. Ouverture des portes à 20h. Première partie : Robi à 20h30. Dominique A montera sur scène à 21h30.


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