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Coop Alsace : 1,2 million d’euros détournés

La Coop Alsace va mal, très mal. L’enseigne disparaît petit à petit du paysage. On réorganise, restructure, licencie. Les comptes sont dans le rouge, les caisses vides. Sauf qu’un ex-dirigeant, Yves Zehr, est soupçonné d’avoir contribué à les vider. Il aurait échangé des bons d’achats contre de l’argent liquide. Le 19 mars, 800 bons de 100 euros ont été émis à son nom, échappant à tout contrôle. Les représentants du personnel ont découvert le pot-aux-roses, les bons ont été récupérés. Mais selon un document interne, l’ex-PDG pourrait avoir détourné ainsi 1,2 million d’euros depuis 2007.

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Coop Alsace : 1,2 million d’euros détournés

Extraits du procès verbal d’un CCE du groupe Coop, en arrière plan, l’enseigne du supermarché Leclerc de Geispolsheim.

L’affaire a fait surface le 4 avril, lors de deux réunions extraordinaires : celle du comité d’entreprise  (CE) de la Coop Strasbourg et celle du comité central d’entreprise (CCE) du groupe. Rue89 Strasbourg s’est procuré les procès-verbaux de ces deux sessions. Les représentants du personnel entendaient demander des comptes à leur actuel PDG, Christian Duvillet, sur « l’émission et la destination des bons d’achat Coop, leur suivi et leur contrôle sur les cinq dernières années ». Ils s’interrogent notamment sur la provenance de 800 bons de 100 euros qu’un ancien PDG de la Coop, Yves Zehr, a eu en sa possession.

En réponse, l’actuel PDG, Christian Duvillet, a pointé « la procédure », qui nécessiterait selon lui d’être « remise à plat ». Aussi a-t-il établi une circulaire pour renforcer les contrôles et permettre une meilleure traçabilité des bons d’achat. De l’émission à la comptabilité, tout sera centralisé et « les bons seront remboursables, uniquement en marchandises », précise le document, sous-entendant qu’auparavant ils pouvaient l’être en liquide.

« Il a fallu bénéficier de complicités »

Enfin, le PDG signale qu’il a « demandé à ce que M. Yves Zehr n’assume plus de mandat dans le groupe » mais refuse de « lier les deux faits », son éviction et le détournement des 800 bons d’achat. La CGT interroge : « La personne, c’est M. Zehr, mais dans la société, il ne devait pas être le seul au courant ». Trois membres du CA auraient également quitté leurs fonctions suite au départ de Yves Zehr. « Normalement, les bons sont déduits du ticket de caisse. Mais pour sortir 80 000€ et les substituer par 800 bons d’achat, il a fallu bénéficier de complicités », explique Laurent Hobel, délégué FO.

Extrait n°1 du procès verbal du CE de Strasbourg du 4 avril (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

 

Extrait n°2 : procès verbal du Comité central d’entreprise du 4 avril (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Un audit interne plutôt qu’une enquête policière

Un audit sur le « circuit des bons » a en effet été commandé à un cabinet d’expertise comptable externe, par le comité de direction et le conseil d’administration, pour un coût approchant les 20 000€. « On attendait que notre PDG dépose plainte, mais il s’y est opposé, préférant un audit », déplore une représentante des salariés.

Il « faut à peu près 15 jours » pour avoir les résultats, explique Christian Duvillet qui propose sur-le-champ à l’intersyndicale de se « revoir avant le 20 avril 2012 ». Rendez-vous est pris. Sauf que lors du CCE extraordinaire du 20 avril, le rapport n’est pas là, et pour cause : la lettre de mission a été adressée seulement deux jours auparavant au cabinet d’expertise. Malgré la protestation des syndicats, le rapport ne sera rendu que fin juin et la direction se refuse à toute communication officielle sur l’affaire avant. De cette manière, l’épineux dossier ne devrait pas venir perturber l’accord avec Casino.

Extrait n°3 : procès verbal du CCE du 20 avril (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

L’hypermarché de Geispolsheim, « plaque-tournante des détournements »

Pourtant, d’après les documents que Rue89 Strasbourg a pu consulter, la direction en sait plus qu’elle ne veut le faire croire sur les émissions suspectes de bons d’achat. Et selon une source proche du dossier, « l’hypermarché Leclerc de Geispolsheim serait la plaque-tournante des détournements ». C’est là-bas que les bons d’achats étaient échangés contre du liquide pour le compte de Yves Zehr. Une déléguée du personnel explique :

« On a appris qu’il existait un petit carnet dans le coffre de la caisse centrale de Geispolsheim, dans lequel tous les échanges contre liquide ont été consignés par la caissière. Benoît Rebhun, le directeur financier, a été missionné pour aller enquêter là-bas. Le carnet a dû disparaître. »

1,2 million d’euros sur la ligne budgétaire réservée aux « prélèvements » d’Yves Zehr

Rue89 Strasbourg a eu accès à un « récapitulatif des retraits en espèce », un document interne à la Coop issu de l’hypermarché de Geispolsheim. Il s’agit de l’historique de la ligne budgétaire du magasin sur laquelle « n’étaient affectés que les prélèvements de M. Zehr », peut-on lire. Au total, ce sont 1 220 900€ qui ont ainsi été retirés en liquide du coffre de l’hypermarché de Geispolsheim pour être remplacés par des bons d’achat.

La chronologie débute à l’automne 2007, date de mise en service du système informatique. Les « données antérieures » ne sont pas accessibles mais « les faits sont plus anciens », précise le document.

Yves Zehr, lui, a toujours fait partie de la Coop. Il est membre du comité de direction depuis 1989. Yves Zehr est aussi membre du directoire du club de basket la SIG, il siège à Paris au Conseil économique social et environnemental (CESE) et assure la présidence du CIARUS à Strasbourg. Et bien qu’à la retraite depuis janvier 2009, il a continué à occuper de hautes fonctions au sein de la Coop, jusqu’en avril 2012. PDG, s’il passe la main en octobre 2010 à Denis Fischer, c’est pour mieux la reprendre à peine un mois plus tard. Une représentante du personnel se souvient :

« Le CCE était sur le point d’user de son droit d’alerte pour avoir une expertise comptable de la situation. Le retour de Yves Zehr, virulent, visait à tout faire capoter, il y est parvenu. »

« Une petite élite s’est servie »

En juin 2011, Bruno Vincent-Genod prend les rênes de l’entreprise avec l’aval du PDG historique. Il entreprend une vaste opération de restructuration du groupe et décide, par ailleurs, de remplacer le directeur de l’hypermarché de Geispolsheim. Peu après quoi, il démissionne brutalement et quitte le groupe. Christian Duvillet, l’actuel PDG, prend la suite en novembre 2011. Yves Zehr est alors président du conseil d’administration. Une source proche de la direction déplore :

« Cela pose la question du fonctionnement du conseil d’administration, constitué de membres honoraires qui ont en moyenne 75-80 ans et de quelques administrateurs qui n’ont pas le niveau. Ils sont dépassés et se font endormir. Car le rôle du comité de direction tout entier est troublant. Une petite élite s’est servie et son inconséquence a conduit l’entreprise dans le mur alors que les valeurs coopératives sont plus que jamais d’actualité. »

Fausses factures, emplois fictifs, bien immobiliers bradés

« Depuis l’affaire des 80 000€ et le retrait de ses mandats à Yves Zehr, les langues se délient », témoigne une représentante du personnel. Outre les détournements de fonds, il est question de sociétés écran, d’emplois fictifs, d’abus de biens sociaux », poursuit-elle. Et un autre délégué du personnel d’ajouter : « On a aussi découvert des factures pour des opérations réalisées dans les magasins par des sociétés extérieures dont le montant est supérieur à la prestation ».

Dans ce contexte, à la Coop, on s’interroge même sur le choix du partenariat avec Leclerc en juin 2008 :

« Tout était organisé avec Système U et la veille de la signature : revirement ! C’est Leclerc qui est choisi… Pourquoi ? Est-ce qu’il n’y a pas eu des petits arrangements pour ouvrir les portes à Leclerc ? »

Puis, ils aimeraient bien savoir pourquoi les « biens immobiliers de la Coop ont été bradés » ? Une déléguée du personnel explique :

« Pour 15 millions d’euros, on a cédé à Leclerc neuf supermarchés et l’hypermarché de Soufflenheim, alors que ce dernier, à lui seul, vaut plus de 30 millions d’euros ! »

Concernant l’accord avec Casino pour la reprise des magasins de proximité, la méfiance est de mise. Les salariés s’inquiètent d’autant plus qu’ils ont du mal à en saisir la pertinence. Dans l’état actuel des choses, Casino exige que la Coop se réorganise avant de racheter. Casino rachèterait en fait une nouvelle société dans laquelle seraient transférés les salariés. Ceux qui accepteront le transfert deviendront des gérants non-salariés. Et ceux qui refuseront devront être licenciés et leurs indemnités seront payées par… la Coop.

Le parquet et les élus appelés à la rescousse

« Toutes ces affaires montrent la gestion pour le moins hasardeuse du groupe et l’incompétence du conseil d’administration dont nous avions déjà réclamé la démission », commente Philippe Spitz, président de l’association régionale de soutien aux Coop d’Alsace (ARSCA) qui se réjouit de voir « le dossier devenir enfin politique. Les grands élus, qui prenaient faits et causes pour Christian Duvillet, commencent à demander des comptes ».

Avec leurs fiches de paie d’avril, les 3 200 salariés Coop ont reçu une lettre de leur PDG assurant qu’il avait le soutien de la Région, des deux conseils généraux et de la CUS. Mais le ton semble se durcir, Guy-Dominique Kennel, président du conseil général du Bas-Rhin (UMP) ayant demandé à rencontrer le PDG Christian Duvillet hier. Néanmoins, le député PS Armand Jung, vice-président d’honneur de l’ARSCA interpelle :

« Tout le monde est honteusement silencieux dans cette affaire. Quelles sont les amitiés derrière tout ça ? Yves Zehr a réussi à se lier avec tout le monde. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est évident.»

D’abord divisés quant à la marche à suivre, les sept syndicats présents au sein de la Coop sont tombés d’accord. Ils saisiront la justice, en écrivant au procureur de la République pour déposer plainte. Les salariés souhaitent que le Parquet ouvre une enquête. Une déléguée du personnel insiste :

« La Coop n’est pas morte, elle peut encore être sauvée mais il faut faire le ménage, faire la lumière sur cette liquidation orchestrée depuis longtemps. »

 

Contacté et confronté aux accusations portées contre lui, Yves Zehr nous a indiqué « ne pas avoir à répondre ». Quant à nos sources, représentants du personnel ou proches de la direction, toutes ont accepté de parler à condition que leur anonymat soit garanti. 

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