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Il était une fois… le Parlement européen

Un peu courbé, tout en transparence, il épouse les formes de son quartier, entre halls d’exposition obsolètes et quartier d’habitation. Alors que l’IPE4 n’existe que depuis une petite quinzaine d’années, le siège du Parlement européen fait aujourd’hui partie du patrimoine de la ville. Rue89 Strasbourg s’est interrogé sur ce qu’il y avait avant à cet endroit et évoque l’avenir, toujours incertain, de ce bâtiment hors normes.

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Il était une fois… le Parlement européen

Le Parlement européen a été construit à proximité de la cité ouvrière Ungemach (photo L.D)

On aperçoit le Parlement européen depuis la plateforme de la cathédrale de Strasbourg. Difficile de dénicher une carte postale touristique sans un cliché de lui. Une station de tram porte son nom. Et si l’on préfère le vélo, il est même tentant d’aller lui chatouiller les pieds en deux-roues, en parcourant les pistes cyclables qui le longent nonchalamment… Le Parlement européen est l’un des symboles de Strasbourg et l’on n’imagine plus la capitale alsacienne sans lui.

Or, jusque dans les années 1990, les parlementaires européens tenaient leur séance mensuelle dans des locaux loués au Conseil de l’Europe – en face de l’actuel Parlement. Sauf que, passant de six à 15 pays membres à l’horizon de la décennie 1990, le Parlement a vu le nombre d’eurodéputés, d’assistants et de hauts fonctionnaires, s’accroître. Ce petit monde s’est vite senti vite à l’étroit dans les bureaux du Conseil de l’Europe. Strasbourg, sous l’égide de Catherine Trautmann, maire PS de l’époque, lance alors un concours international d’architecture sur un terrain de 4,5 hectares.

Des terrains réservés pour la construction de bâtiments publics

Catherine Trautmann, eurodéputée, ancienne ministre de la Culture et maire de Strasbourg au moment de la construction du Parlement européen, se souvient de cette époque. Pour elle, l’implantation de l’IPE 4 (Immeuble du Parlement Européen n°4), ou encore le bâtiment Louise-Weiss, est allée de soi :

« L’actuel secteur de l’Orangerie, du Conseil de l’Europe et du croisement des canaux de l’Ill et de la Marne-au-Rhin, a été considéré comme le « poumon vert » de Strasbourg depuis le début du XXème siècle et le mandat du maire Jacques Peirotes. Cette zone non constructible, s’étendant de la place de la foire-exposition jusqu’au Rhin, a constitué une réserve foncière pour les institutions européennes depuis le mandat du maire Pierre Pflimlin (1959-1983, ndlr) ».

L’usage de ces terrains devait être réservé à la construction de bâtiments publics. Catherine Trautmann a donc fait traduire cette réserve dans le plan d’occupation des sols. Le statut des terrains et leur usage futur a été fixé dans la durée, avec l’idée d’intérêt public ou naturel et de projets utiles à la collectivité. La maire de l’époque reconnaît :

« La construction du bâtiment Louise-Weiss a été délicate sur une zone difficile et inondable. Par exemple, l’assèchement nécessaire d’un bras du canal, zone de nichoirs pour les cygnes, a été réalisé en concertation avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Dans le débat d’alors sur l’évolution du nombre de députés et des lieux de travail, ce bâtiment est venu le plus près possible de ceux déjà disponibles. Une passerelle le relie notamment au Conseil de l’Europe pour optimiser la synergie entre les deux. L’espace sur lequel se situe l’actuel IPE 4 a été extrait de la zone de la foire-expo et des halls ont été démolis. »

Conserver le patrimoine historique

L’imbrication de l’hémicycle, presque au cœur de la zone pavillonnaire voisine, est assez frappante lorsque l’on s’aventure à pied dans les ruelles de l’ancienne cité ouvrière toute proche. Difficile donc de pouvoir se représenter cet espace européen de 4,5 hectares sans son hémicycle et ses 220 000 mètres carrés de bâti. Allée du printemps, rue du Levant, la cité Ungemach des années 1920 jouxtant l’hémicycle, a été délibérément conservée comme témoignage du patrimoine industriel. Les maisons ont été rénovées à l’occasion de la construction du Parlement européen.

« Il y a eu une volonté de conserver ces traces historiques pour montrer que le Parlement ne s’est pas construit contre les habitants, mais dans un projet architectural d’ensemble, note encore Catherine Trautmann. Il s’agit d’un quartier où l’on peut vivre facilement. Et Strasbourg a joué franc-jeu avec le lancement d’un concours architectural en 1990 en présence du président du Parlement européen. Le projet a été arrêté sur la base d’une programmation avec l’institution. La Ville l’a porté en responsabilité et a délégué la maîtrise d’ouvrage à la SERS, société d’économie mixte. Le terrain municipal a été cédé à l’équivalent de l’euro symbolique par la collectivité. Un terrain que le Parlement, inauguré en 1999, s’était engagé à rembourser s’il ne devenait pas acquéreur des locaux dans les dix ans. Il a pu racheter les lieux avant ce délai décennal. »

Un projet public donc. Contrairement aux prémisses du bâtiment bruxellois, qui accueille aujourd’hui près de trois semaines par mois l’activité parlementaire. La dernière semaine, celle des votes, se tient à Strasbourg. Evangelos Gintersos, fonctionnaire européen à Strasbourg, se souvient :

« Au moment de la construction du bâtiment à Bruxelles, personne n’évoquait le mot de Parlement. Il s’agissait officiellement d’un centre international de congrès, financé par des investissements privés. Selon le rapport sur l’impact économique de la présence des institutions européennes à Strasbourg (EDR-CityConsult-Mediascopie, 2011), le Parlement européen et ses institutions liées employaient 223 personnes en poste permanent dans la capitale alsacienne en 2011. En comparaison, les périodes de sessions mobilisent de 5000 à 8000 personnes, entre emplois directs et induits. »

« Il n’est même pas possible d’acheter un sandwich en sortant du Parlement »

Selon le fonctionnaire, son lieu de travail, imbriqué dans ce quartier européen strasbourgeois, ne serait pas des plus pratiques et manquerait de commerces. Il regrette également les abords du parc-expo, dont les anciens halls ne sont pas du plus bel effet. Le fonctionnaire reprend :

« Même si j’aime beaucoup cette ville, les hangars sur les photos des touristes à côté du Parlement dénotent avec la fonction prestigieuse du lieu. J’ai bon espoir que le nouvel aménagement de cet espace prenne en compte ce paramètre. Car le Parlement européen, d’un point de vue symbolique, n’est pas une foire. L’IPE 4 n’a pas bougé depuis 1999 à l’époque de l’Europe des 15. Nous sommes aujourd’hui 27 puis très bientôt nous atteindrons la trentaine de membres. Nous manquerons de place, tout simplement. »

Un manque de place que le fonctionnaire verrait bien combler par un empiètement sur les terrains alentours. Des terrains justement prisés par le projet de quartier d’affaires international, Wacken-Europe, qui devrait voir le jour à l’horizon 2014. Catherine Trautmann remarque :

« Il y a de l’espace pour dédier 35 000 mètres carrées de surface au Parlement européen. C’est une opportunité qui peut être de très grande qualité. Le Parlement dispose en effet d’installations qui vont devenir obsolètes du point de vue des critères énergétiques, notamment celles du côté du Conseil de l’Europe. »

Plus de transparence qu’à Bruxelles

Par ailleurs, pour l’eurodéputée strasbourgeoise, l’implantation de sièges sociaux d’entreprises dans ce quartier d’affaires ne ressemblera pas à des cabinets de consultants ni à du lobbying, à quelques encablures du Parlement. Au contraire:

« Il sera ainsi plus sain et plus simple pour les parlementaires de rencontrer les acteurs de la vie professionnelle dans un espace extérieur et transparent, plutôt que de le faire dans les couloirs du Parlement, et même jusque dans les bureaux d’eurodéputés, comme c’est parfois le cas . »

Un quartier européen qui profitera du renouveau du quartier économique, qui pourra lui aussi bénéficier du train-train parlementaire une fois par mois… Strasbourg et le Parlement, une histoire de donnant-donnant donc ? Sans oublier les contrats triennaux, conclus avec l’Etat et les collectivités territoriales (Ville, CUS, département du Bas-Rhin, Région) qui contribuent à ancrer le caractère européen de Strasbourg. Pierre Loeb, président de l’Association Européenne des Jeunes Entrepreneurs, souligne au passage :

« Loin de vouloir tomber dans la caricature de la ville provinciale et éloignée de tout, il ne faut pas oublier que le Parlement a bien contribué à son désenclavement. Ce n’est pas pour rien que nous avons aujourd’hui le TGV Rhin-Rhône et à l’époque, l’autoroute A4. »

Le volet culturel de ces contrats concourt lui aussi au positionnement de cette « Capitale européenne », estampille que la collectivité brandit volontiers à toutes les occasions. Le dernier contrat triennal 2009-2011 s’élevait à 244,5 millions d’euros. Pour la période 2012-2014, il est chiffré à 248 millions d’euros.

 Un Lieu d’Europe pour palier le manque d’accessibilité ?

Sur le terrain des transports, Catherine Trautmann reconnaît ses réticences de l’époque à « faire arriver la ligne E du tram aux portes de la Robertsau, puisqu’il ne s’agissait pas d’en desservir complètement le quartier ». Pourtant, c’est bien là que devrait se concrétiser le fameux Lieu d’Europe, espace d’information sur les Institutions européennes et d’accueil pour les associations du secteur. Ce Lieu sera implanté dans la villa du parc Kaysersguet, au 4 allée Kastner. La rénovation-extension, financée par la collectivité, devrait être lancée cette année pour une mise en service, au plus tôt, à la rentrée 2013.

Ce « Lieu d’Europe » suffira-t-il à effacer les critiques du manque d’accessibilité du Parlement dans la ville de son siège officiel ? En 2011, quelques 148 700 visiteurs (visites de groupes et en individuel pendant et hors session, visites scolaires, séminaires et colloques) ont été accueillis au Parlement européen. De son côté, Bruxelles a inauguré à l’automne son espace d’accueil pour le public, le Parlamentarium et cette structure a déjà enregistré son 100 000ème visiteur ! Elle a été financée par le Parlement européen pour un budget initial de 15 millions d’euros, qui aurait en fait doublé.

En 2011, le Parlement européen a accueilli près de 150 000 visiteurs. (photo L.D)

L’éternelle bataille du siège

Ces deux centres de visiteurs seront-ils un reflet de la guéguerre des sièges strasbourgeois et bruxellois ? En tout cas, le nouveau Président du Parlement européen, le social-démocrate allemand Martin Schulz, est pour un siège unique à Strasbourg. Il s’est positionné fin mars en faveur de la capitale alsacienne sur une radio suédoise.

Fin mars, lors de la mini-session du Parlement tenue, elle, à Bruxelles, une majorité d’eurodéputés s’est également exprimée en faveur d’un siège unique pour le Parlement, sans toutefois en préciser le lieu. Par ailleurs, selon un récent rapport, Le siège dans tous ses états, initié par Pierre Loeb et l’Association Européenne des Jeunes Entrepreneurs, le coût annuel du siège strasbourgeois s’élèverait à 51,5 millions d’euros. Soit dix centimes d’euros par citoyen et par an. Même pas le prix d’un timbre-poste pour ce géant de verre.


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