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Bains municipaux : Strasbourg navigue en eaux troubles

Qu’est-ce que Strasbourg va faire de ce joyau de la « Neustadt » ? Alors que les Bains municipaux – la piscine de la Victoire – pourraient bientôt être classés monuments historiques, la ville de Strasbourg, qui en est propriétaire, hésite encore sur ce qu’elle va faire de ce patrimoine en danger.

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Bains municipaux de Strasbourg - avril 2012 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

A l'origine, la petite piscine était réservée aux femmes, la grande aux hommes. (Photos Marie Marty)

Le site web de la Ville décrit ainsi les bains municipaux :

« Construit entre 1904 et 1911 par l’architecte Fritz Beblo, l’Etablissement de Bains est composé d’un bâtiment principal qui abrite la rotonde d’entrée avec la caisse, les deux piscines, les bains romains et les salles de bains et douches. L’aile gauche permet l’accès au sauna, avec sa cabine de sudation en bois et son étuve à vapeur, ses bassins en marbre aux températures différentes, ses douches à large débit et ses salles de repos. L’aile droite, constituée de la chaufferie à vapeur, est l’une des particularités de l’établissement, qui est l’un des rares en France à ne pas utiliser un chauffage hydraulique… »

En 2000, ce joyau de la « Neustadt », quartier de Strasbourg qui pourrait d’ici 4-5 ans être classé au patrimoine mondial de l’Unesco, a fait l’objet d’une inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Une démarche enclenchée par les services de la DRAC (Direction régionale de l’action culturelle) Alsace, à la demande de la municipalité en 1997, qui ont ensuite remisé le dossier au placard. Finalement exhumé il y a environ deux ans, il a été défendu en commission nationale, qui a rendu mi-mars un avis en faveur du classement du bâtiment dans son ensemble.

Le classement ne peut pas se faire sans l’accord du propriétaire

Mais quelle différence entre inscription à l’Inventaire et classement ? En résumé, le classement est plus protecteur que l’inscription. Un classement pourrait avoir pour conséquence, par exemple, de permettre au propriétaire  – la ville de Strasbourg – de recevoir des aides plus importantes pour rénover le lieu. Mais la classement alourdit aussi les procédures. Plutôt que de valider seulement un projet de rénovation, les services de l’Etat vont pouvoir donner leur avis sur le choix des architectes. De même, certaines démarches que le propriétaire pourrait engager à l’avenir pour réorganiser l’espace, comme la destruction d’un élément d’architecture (la cheminée ou la chaufferie), devront être validées à Paris.

Cet alourdissement de la procédure pourrait faire réfléchir la Ville à deux fois, avant de valider le classement, qui ne peut pas se faire sans son accord. Et pourtant, Robert Herrmann, premier adjoint au maire en charge du dossier, jure :

« Je suis assez favorable à ce classement, car je suis favorable à ces contraintes supplémentaires. J’espère qu’il sera inscrit à l’ordre du jour du conseil municipal avant l’été. Bien sûr, nous sommes en train d’en évaluer les avantages et les inconvénients. Mais de toute façon, nous serons obligés de nous exprimer sur cette question, qui nous sera posée. »

L’irruption du privé balayée suite à une levée de boucliers quasi-générale

Il y a quelques mois encore, le premier adjoint n’aurait peut-être pas accueilli cet « avis favorable » de façon aussi positive. Et pour cause, jusqu’à l’automne dernier, une dizaine de grands groupes du BTP, parmi lesquels Bouygues ou Eiffage, aurait pu signer avec la Ville un partenariat public-privé (PPP). C’est à dire un contrat – avec une entente éventuelle pour le maintien de tarifs abordables pour la partie piscine – visant à faire porter les 30 millions d’euros nécessaires à la rénovation des lieux sur les épaules de l’investisseur privé. Qui « aurait fait son gras, note Robert Herrmann, en exploitant ensuite le site pendant 30 ans, via un sous-traitant spécialisé dans la gestion des piscines ». Or, rien de pire pour un géant du BTP que les contraintes propres aux monuments historiques…

Raison pour laquelle, en toute logique, l’aile gauche de la majorité municipale, hostile au PPP, est très favorable au classement. Elle rappelle, par la voix du conseiller municipal Syamak Agha Babaï :

« Sous la pression financière, une frange de la gauche – et son surmoi libéral – a tendance à se tourner vers les solutions qui semblent les moins coûteuses, comme le PPP, qui a pourtant montré ses limites depuis quelques mois (exemples de l’hôpital sud-francilien ou de l’hôtel de police de Strasbourg). Or, il faut aussi s’intéresser à l’aspect de service public local. Et là oui, idéologiquement, je suis pour une régie municipale (ndlr : travaux et gestion entre les mains de la municipalité), même si ça a un coût. »

« Le PPP, note-t-il encore, ne correspondait pas aux valeurs de la gauche et, grâce à une « coproduction » citoyenne (usagers et associations), syndicale (salariés CGT-CUS) et politique (Verts, aile gauche du PS), le projet a été abandonné. Aujourd’hui, une commission de réflexion sur nos marges de manœuvres quant au maintien des services publics a été mise en place et doit se réunir jusqu’à l’été. Notre mission est de construire une doctrine cohérente sur ces sujets, plutôt que de partir bille en tête et de regretter nos choix dans quelques années… »

La SPL pour les travaux, une DSP pour la gestion

Un nouveau contexte – celui de l’abandon du projet de PPP pour la création d’une SPL (société publique locale) – donc et pas de souci du côté du classement : c’est la collectivité qui devrait conserver toutes les cartes en mains. Au moins pour la rénovation. Car, reprend l’adjoint :

« Il nous reste encore à trancher sur l’exploitation des lieux. Il semble très compliqué, voire impossible, de séparer l’activité piscine de l’activité soin du corps. Or la collectivité n’a pas vocation à engager des masseurs, par exemple. Le dossier est donc en phase d’exploration et ce, pour encore plusieurs mois. »

Néanmoins, il est urgent d’agir. Depuis de nombreuses années, le bâtiment n’est plus aux normes et les usagers sont témoins des dégradations:

« Je suis une habituée des Bains depuis 30 ans, c’est là que mes enfants ont appris à nager, raconte Jacqueline, une habitante du quartier, membre de l’association des habitants Bourse-Austerlitz-Krutenau (Ahbak). Pour moi, il faut que cette piscine de quartier garde sa vocation de service public et reste fréquentée par des gens très différents (ndlr : habitants, personnes âgées ou SDF, pour qui les douches du rez-de-chaussée sont ouvertes à horaires réguliers). Mon avis, c’est que des rénovations auraient dû être engagées il y a longtemps ! J’ai vu les locaux se détériorer, par exemple les boiseries des cabines, dont la peinture disparaît et le bois à nu devient vulnérable à l’humidité… Ma seule peur, c’est que la préfecture ordonne un jour la fermeture des Bains pour raisons de sécurité ! »

En 2010, l’Ahbak a réuni 3500 signatures d’usagers de la piscine contre le projet de PPP.

Communiqué AHBAK sept. 2011 Bains municipaux

Fin janvier 2012, la même association a relancé par courrier le maire Roland Ries et les adjoints concernés, pour connaître les développements du dossier. Extrait :

« La mairie a annoncé une « remise  à plat » (ndlr : du projet) pour envisager une formule de type SPL (société publique locale) ou SEM (société d’économie mixte). L’atelier projet (ndlr : baptisé « Quel avenir pour les Bains municipaux ? », qui s’est réuni moins d’une dizaine de fois en 2011) a mobilisé des citoyens pendant plusieurs mois. Il est légitime de leur faire part de la suite donnée à leur travail. Notamment sur les modes de fonctionnement envisagés pour les entités de gestion proposées. »

Une réponse du maire est parvenue à l’association en fin de semaine dernière. Il y promet de réunir rapidement l’atelier projet pour discuter de l’option SPL, qui semble donc largement privilégiée. A suivre.


#Ahbak

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