Sixième volet de notre série sur les perles des médiathèques de Strasbourg : cette semaine, chose promise, chose due, c’est parti pour une petite dose de féminisme, et on s’intéresse plus particulièrement à un courant non majoritaire, mais bien stimulant –qu’on y adhère ou qu’on le récuse : le féminisme pro-sexe. La littérature n’abonde pas vraiment sur le sujet en France, mais on peut tout de même glaner quelques petites choses par-ci par-là dans les divers fonds de nos médiathèques.
Féminisme et antiféminisme
« A l’invective et à l’injure les antiféministes préfèrent ordinairement le sous-entendu graveleux. Car c’est toujours le sexe, la sexualité des femmes qui sont visés. Leur dépendance sexuelle, qui a si longtemps conduit des femmes à agir en courtisanes, demi-mondaines, voire en égéries, au point qu’on a vu là la principale source de leur influence, fait que toute femme qui s’aventure dans l’espace public et y connaît une promotion professionnelle, intellectuelle, politique…, est suspecte de « coucher » et de « toucher » (de l’argent). D’où les ravages que provoquent celles d’entre elles qui usent de leurs charmes dans les relations de pouvoir. D’où aussi un certain moralisme du féminisme qui l’a fait taxer de censeur pudibond et dépourvu d’humour, attentatoire à la liberté d’expression inhérente à l’art. Il y a là une zone sensible que franchissent plus allègrement, non sans une provocation jubilatoire, des créatrices de la nouvelle génération (une Virginie Despentes par exemple). Comment le corps, le corps sexué, ne serait-il pas partie prenante dans cette confrontation ? L’antiféminisme est un corps à corps. »
Ce bout d’analyse est extrait de la préface que signe Michelle Perrot pour l’ouvrage collectif Un siècle d’antiféminisme (éditions Fayard, disponible à la BMS, à demander au magasin). Et puisqu’elle nous mène si obligeamment sur cette voie, passons à ces fameuses créatrices de la nouvelle génération.
Virginie Despentes et Cie.
Le documentaire de Virginie Despentes, Mutantes (édité en DVD par Blaq Out, disponible à la médiathèque Sud) est une parfaite introduction à la mouvance pro-sexe. D’autant que c’est en gros la seule disponible sur le sujet, en France. Mutantes est sous-titré Féminisme porno punk et on y découvre des femmes extraordinaires en ce qu’elles bousculent les « normes », souvent dans la joie et la bonne humeur. Ce sont surtout les Américaines et les Espagnoles qui sont ici mises en avant, car ce sont elles, semble-t-il, qui d’hier à aujourd’hui ont poussé la réflexion et la pratique le plus loin. Ce film passionnant découle de King Kong Théorie (éditions Grasset, disponible à Hautepierre, en traitement à la BMS), un essai non moins prenant que Virginie Despentes termine ainsi :
« Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l’échangisme, il n’est pas seulement question d’améliorer les salaires d’appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. »
Terre brûlée ?
Pour l’instant les expériences que font les féministes pro-sexe radicales sont marginales, néanmoins elles existent et ont le grand mérite de présenter d’autres options, ce qui est précieux. Car les alternatives sont notre air frais, la cervelle fonctionne mieux quand elle est aérée ! Même si évidemment, il faut se méfier : une alternative séduisante risque aussi de se transformer en nouvelle norme qui, mal digérée, peut engendrer un certain n’importe quoi. C’est d’ailleurs ce qu’a étudié Ariel Levy aux USA, dans son enquête intitulée Les nouvelles salopes – Les femmes et l’essor de la culture porno (édition Tournon, disponible à la BMS) :
« Au lieu de faire avancer la cause du Mouvement de Libération des Femmes ou de la révolution sexuelle, la primauté persistante du cul dans le courant majoritaire a dilué l’influence à la fois des radicales du sexe et des féministes qui ont vu les images de leur mouvement popularisées tandis que leurs idéaux ont été oubliés. Comme le déclare Candida Royalle : « Nous sommes devenus une culture fortement sexualisée, mais c’est le consumérisme et le sexe combinés. Les mouvements révolutionnaires et le sexe combinés. Les mouvements révolutionnaires tendent à être cooptés –engloutis par le courant majoritaire et transformés en pop culture. C’est une manière de les neutraliser, quand on y pense… ça les rend tous sans danger et acceptables, ça ferme la bouche aux radicales. Une fois que cela arrive, le vrai pouvoir est en grande partie perdu. » »
Evidemment, vous ne trouverez pas les films de Candida Royalle dans les rayons de vos médiathèques qui n’ont pas vocation à passer la barrière du X, en revanche, on y revient, elle figure dans le film de Virginie Despentes, Mutantes… En fait, apparemment la seule féministe Américaine de cette mouvance à être traduite est Judith Butler. Vous trouverez plusieurs de ses livres dans les divers établissements de la CUS, notamment Trouble dans le genre : pour un féminisme de la subversion (éditions la Découverte, disponible aux médiathèques Malraux et Sud, ainsi qu’à Neudorf, en traitement à la BMS).
Mais arrêtons-nous là pour cette semaine, histoire de ne pas tout mélanger : la semaine prochaine, ou la suivante, bientôt en tout cas, il faudra se replonger dans le féminisme en l’abordant sous un autre angle, celui du Planning Familial. D’autant que les médiathèques de Strasbourg possèdent un certains nombre de documents sur le sujet. A suivre, donc…
Aller plus loin
Le portail des médiathèques de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg
Virigine Despentes était à Strasbourg pour l’avant-première de son nouveau film, Bye Bye Blondie, ça a été l’occasion de la rencontrer :
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