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Malgré le contexte pesant, la Grande braderie à tout prix

La mairie de Strasbourg et la Préfecture ont accepté la tenue de la Grande braderie à condition d’un sérieux renforcement de la sécurité. Pour soutenir les forces de l’ordre, l’association des Vitrines de Strasbourg, organisateur de l’événement, devra faire appel à des sociétés de sécurité privées. Les commerçants assureront une partie du surcoût d’une des plus grosses opérations de l’association.

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Face à l’insistance des organisateurs, le préfet ainsi que le maire de Strasbourg, Roland Ries (PS), se sont ralliés à la tenue de la 58ème Grande Braderie ce samedi 30 juillet. Pour assurer la quiétude des milliers de visiteurs habituels, les commerçants sont tenus de se soumettre à des conditions de sécurité inédites. (voir notre article et notre carte plus bas)

La fête était pourtant loin d’être acquise après l’attentat du 14 juillet à Nice. Le lendemain, sur le plateau de France 3 Alsace, Roland Ries se disait réticent à la tenue de la braderie à Strasbourg :

« En accord avec M. le préfet, nous avons repéré des manifestations qui sont difficiles à sécuriser. Je pense au grand marché, qui est prévu le 30 juillet, la braderie. Elle s’étend sur toute la Ville. […] Vraisemblablement nous serons obligés de ne pas organiser cette braderie et je le regrette. »

Roland Ries au lendemain de l’attentat de Nice


Roland Ries invité du journal de 19h

Jusqu’alors, seul le dispositif habituel était prévu. Il n’y avait pas de plan B. Mais c’était sans compter sur la détermination de l’association des commerçants, les Vitrines de Strasbourg, organisateur de l’événement chaque année.

La décision n’a pas fait débat au sein du comité de direction de l’association, explique le président Gwenn Bauer :

« Nous avons pris la décision de maintenir l’événement si des conditions de sécurité acceptables pouvaient être mises en place. On était d’accord pour participer à la sécurité. Mais la décision finale revenait au préfet. »

C’est alors que s’engagent d’intenses tractations avec la Ville et la préfecture. Après six réunions entre le 15 et le 21 juillet, un dispositif similaire à celui du marché de Noël 2015, et même plus drastique, est décidé : filtrages policiers sur les différents ponts et aucun tram ou véhicule de 7h à 22h dans la grand Ile. D’autres réunions jusqu’au 30 juillet ont suivi pour affiner le dispositif. “On en fait beaucoup, mais pour la braderie le centre est de toute façon fermé les autres années”, minimise Gwenn Bauer. Le psychodrame colmarien est en tout cas évité (voir encadré).

À Colmar, les frais de sécurité du marché de Noël au coeur de l’annulation de la braderie

À Colmar, le maire Gilbert Meyer (LR) demandait aux commerçants de payer pour la sécurité de l’année précédente du marché de Noël à l’occasion de la Grande braderie. Sauf que la facture de 26 000 euros était adressé aux organisateurs, les Vitrines de Colmar, dont tous les commerces ne sont pas membres. Ces derniers ont refusé d’être les seuls à payer (200 euros par établissement). Résultat, pas de braderie le 22 juillet, après une polémique où le député du Haut-Rhin Éric Straumann (LR) ait proposé de régler la note avec sa réserve parlementaire. Le maire s’y est opposé : cette solution « s’apparente à poser un plâtre sur la jambe d’un patient« . Ambiance.

Le directeur de l’association Pierre Bardet justifie ce maintien par des raisons aussi bien économiques que symboliques :

“Les trois derniers mois ont déjà été difficiles pour les commerçants locaux. La grande Braderie est l’occasion pour eux de passer un grand coup de balai. C’est une tradition que nous tenions à maintenir.”

Une bonne opération pour les Vitrines

Comme les illuminations du marché de Noël, la braderie est un événement organisé par la puissante association des Vitrines de Strasbourg. La Ville facture l’occupation de l’espace public (environ 20 000€ selon le directeur), puis l’association a ensuite les mains libres : re-facturer les emplacements aux commerçants (300€ pour 10 mètres et 261€ pour 8 mètres pour les non-sédentaires membres du syndicat des commerçants non-sédentaires du Bas-Rhin), décider des invités (cette année, il y en a trois, Frédéric François, Derya et Priscilla Betti), jusqu’à assurer le nettoyage le soir (15 000€ payés à la Ville de Strasbourg).

D’un budget d’environ 100 000 euros, la Grande Braderie est l’un des événements phare de l’association avec aussi les fêtes des vendanges et de Pâques, dont les recettes d’exploitations totales étaient de de 875 000 euros en 2014/2015 (environ 60% provient des illuminations de Noël). En 2012 et 2013, cette animation commerciale a permis de dégager 18 715 euros et 27 687 euros de bénéfice.

Contrepartie à la tenue de l’événement cette année, l’association a dû participer aux frais de sécurité supplémentaires, en faisant appel à la société Axial Protection, soit 30 personnes de plus. Un troisième poste de secours a aussi été pris en charge. Des frais de “quelques milliers d’euros” que Pierre Bardet dit avoir du mal à estimer à quelques jours de l’événement. Seule certitude, une partie sera répercutée sur les commerçants. Le chiffre de 30€ par commerce a été évoqué par plusieurs sources mais n’est pas confirmé par le directeur qui dispose néanmoins d’un accord de principe des participants.

Côté sécurité, chaque commerçant, sédentaire ou non-sédentaire a dû transmettre ses nom, prénom, date de naissance ainsi que l’identification de leur véhicule aux autorités. Les informations doivent passer par “trois fichiers de sécurisation”, raconte Pierre Bardet. Lorsqu’elle transmet ces informations par courrier, l’association fait savoir aux participants qu’elle “a tout fait” pour le maintien de l’événement et ajoute “croyez-bien que cela n’a pas été simple”. Un bon point à l’heure où certains adhérents hésitent à renouveler leur adhésion, parfois déçus par les polémiques autour des illuminations du marché de Noël.

Des commerçants dissuadés

Les nouvelles mesures ont dissuadé des commerçants de tenter leur chance cette année. À deux jours de l’événement, les estimations du nombre d’absents varient. Le 21 juillet, il était question selon les autorités “de 40 à 50 stands” en moins (sur 250 à 300 au total dans les rues, en plus des 700 commerces habituels), ceux prévus place Kléber.

Puis, les jours suivants ces commerçants sont simplement “déplacés” selon les organisateurs. Ils ne seraient que “quelques uns” à ne pas participer selon Pierre Bardet. Un peu plus si l’on écoute divers commerçants du marché Broglie mercredi matin. Par exemple, Hank, habitué de la place Kleber depuis 1992 a lui refusé le nouvel emplacement proposé. Ali (le prénom a été modifié), vendeur de vêtements, préférera le marché hebdomadaire d’Hautepierre :

“Des gens nous disent qu’ils ne viendront pas. Avec le côté forteresse au centre, on craint qu’il y ait peu de monde.”

Les premières semaines du marché de Noël 2015 sont restés dans quelques mémoires. D’autres, ne sont pas en mesure d’entreprendre seuls les allers-retours qu’impliquent ces nouvelles dispositions : décharger le véhicule, sortir le véhicule à l’extérieur, le soir faire la même chose. Le stand se retrouverait sans surveillance.

Jean-Pierre Husson, autre commerçant non-sédentaire habitué a eu plus de chance. Il a pu obtenir un meilleur emplacement grâce à son ancienneté. Malgré tout, il ne compte plus la braderie parmi ses ‘‘inévitables’’ :

« Maintenant on est à la limite de ne pas le refaire l’année prochaine »

Des renforts à Strasbourg, pas à Mulhouse

L’événement a nécessité des renforts de la part des forces de l’ordre. Sans préciser le nombre, les autorité ont annoncées des renforts supplémentaires pour sécuriser l’événement : des policiers en civils, des polices municipales et nationales et même des militaires de la zone Est de défense et de l’opération Sentinelle.

Un soutien exceptionnel que n’a pas obtenu de son côté le maire de Mulhouse Jean-Rottner (LR) le même jour, contraint d’annuler la soirée club’in des Nuits Rouges (les 5 autres événements les autres soirs sont maintenus) :

“On ne demandait pas grand chose, juste une demie-compagnie de gendarmes ou de CRS (soit 45 à 50 hommes NDRL), alors qu’on attend plus de 10 000 personnes. Avec l’état d’urgence, c’est la première fois qu’on ne les obtient pas. On l’a appris seulement après l’attentat de Nice. Dans ces conditions, je prends mes responsabilités pour la sécurité et ne fait pas subir de risque. Il y a 500 policiers qui surveillent Paris Plage, mais beaucoup d’exemple d’événements en province annulés.”

« s’y habituer » ?

C’est donc une braderie très particulière qui s’annonce. La fréquentation est la grande inconnue et risque de conditionner le retour de commerçants les années suivantes. Si un tel dispositif n’était pas imaginé avant l’attentat, le directeur de Vitrines pense qu’il faudra “s’y habituer” pour les grands événements.

En attendant de tirer des conclusions pour les années suivantes, c‘est en tout cas “un dispositif semblable à l’année dernière » qui se profile pour le marché de Noël de décembre 2016 a prévenu le maire de Strasbourg sur le plateau de France 3 Alsace.


#centre-ville

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