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[Grand Entretien] Philippe Richert : « on ne reviendra plus sur la réforme territoriale »

Élu face au FN et au PS en décembre, Philippe Richert (« Les Républicains ») préside la nouvelle région Grand Est, après avoir été aux commandes de l’Alsace depuis 2010. Budget, haut débit, rapport de force, FN, PS… Cinq mois après son entrée en fonction, il détaille sa vision.

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Philippe Richert : « L’État propose des formations plus générales et les régions plus spécifiques, presque sur mesure. Passer un accord « oblige » les deux à s’entendre au niveau de Pôle Emploi. Tout n’est pas idyllique, car avant qu’on dise que « ce serait bien que les Régions pilotent », Pôle Emploi avait déjà lancé des appels d’offres pour ne pas prendre de retard. En 2015, 500 000 formations avaient été proposées, là l’objectif est d’en organiser le double. Ça ne s’improvise pas, donc ils avaient anticipé. En dehors de cela, le modèle de concertation est désormais automatique.

Que l’État accepte de transférer le milliard d’euros de la formation entièrement aux Régions, qui font ensuite le pilotage change la donne. Cela s’est bien passé car on est sorti des postures d’un côté comme de l’autre. J’avoue que Manuel Valls (Premier ministre) et Myriam El Khomri (ministre du Travail) ont bien joué le jeu, alors que nos premiers échanges étaient plutôt vifs. Ensuite c’est allé très vite, en un mois. Une fois l’opération terminée, dans 12 à 15 mois, il restera une habitude de travailler ensemble dans toute la France. C’est un bilan positif que l’on va pouvoir engranger pour la suite.

De 49 000 à 75 000 formations

Pour le demandeur d’emploi, il n’y a pas de changement majeur, mais plus de moyens. En Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, on va passer de 49 000 à 75 000 formations et un budget supplémentaire de 75 millions d’euros. Par ailleurs, l’État lance des formations pointues, trop ciblées pour être déclinées au niveau des régions. Évidement, ce n’est pas parce qu’on propose des formations que ça va multiplier le nombre de postes proposés. Mais lorsqu’il y aura une reprise économique, et les derniers indicateurs sont positifs, il faudra que les demandeurs d’emplois soient prêts. »

  • Vous avez pris la présidence de l’Association des Régions de France (ARF) suite aux régionales. Quelles vont être vos revendications ?

« De manière générale, il fallait revoir les relations. L’ARF ne doit pas être une amicale de présidents de régions. La réforme territoriale a été faite de manière très désorganisée, pour être gentil. Mais le gouvernement a dit qu’il fallait des régions puissantes. Donc maintenant, le débat c’est comment faire, alors que l’État a encore un comportement très centralisé. Par exemple, lorsque les fonctionnaires ont été augmentés (1,2% en 2 ans, ndlr), c’est la ministre qui a décidé sans les régions, les départements ni les agglomérations. En Allemagne, ce serait la révolution.

En 2012, on avait eu des déclarations initiales positives du nouveau gouvernement qui n’ont pas été suivies d’effet. On doit être dans une nouvelle relation pour que la décentralisation aille plus loin. Nous avons mis en place une plateforme co-écrite. On précise comment on va travailler sur certains sujets comme la formation professionnelle, l’Éducation, le développement économique… Puis, avec les ministres concernés on décline des propositions.

« Alain Vidalies n’en a rien à faire de l’ARF »

Par exemple, que les Régions gèrent les « fonds libres » pour l’apprentissage et en discutent ensuite avec les partenaires sociaux, alors qu’avant c’était l’inverse. On a aussi des discussions sur les lycées professionnels, les pôles de compétitivité, une partie de régionalisation des fonds Programme d’Investissements d’Avenir (PIA). Jusqu’ici 50 millions d’euros étaient régionalisés, là ce sera 500 millions. On voit que les régions prennent de l’ampleur. Mais tout le monde ne joue le jeu. Alain Vidalies, secrétaire d’État des Transports, dit par exemple qu’il n’en à rien à faire de l’ARF, quand bien même les consignes de Matignon sont différentes. »

  • Mais est-ce que cela va durer s’il y a un nouveau gouvernement en 2017 ?

« Manuel Valls a dit à la presse que ce qui a été fait ne pourra plus être gommé. On le retrouve aussi dans la façon de travailler. Parmi les nouveaux présidents de Région, ceux de droite sont tous nouveaux en dehors de moi. Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, Hervé Morin Bruno Retaillau, Christian Estrosi ont un profil très pointu. Et beaucoup d’entre eux ont laissé tomber leurs mandats nationaux pour se consacrer à leur région. Cette nouvelle génération apporte un retour médiatique sur les territoires tout à fait nouveau.

« On ne peut plus passer 6 ans à réformer, puis 6 ans à défaire »

Alors ça ne veut pas dire que tout est gagné. Lorsqu’un candidat à la primaire de la droite passe ici ou ailleurs, évidemment il veut faire plaisir en disant à ceux qui veulent entendre « mais bien entendu, on va faire ce que vous souhaitez ». Sauf que ce que l’on souhaite diffère d’un endroit à l’autre et on voit très bien que revenir sur tout ce qui a été fait sera très difficile. La plupart des gens ne croient pas deux secondes qu’on va revenir sur la réforme territoriale.

Il faut que notre pays arrête d’imaginer qu’il a du temps à perdre et soit au rendez-vous de sa modernisation. On ne peut pas passer 6 ans à réformer, 6 ans à défaire, 6 ans à refaire. Le conseiller territorial c’était bien, la TVA sociale, c’étaient de bonnes mesures. Et après on dit « si on avait su on l’aurait remis en place. » On doit être au service de nos concitoyens, pas d’un parcours personnel. C’est aujourd’hui ce qui est en train de s’inscrire. Le gouvernement doit tenir compte des présidents de régions qui deviennent plus exigeants.

Cette réforme va avoir plus de conséquences que ce qu’on imagine. Et c’est parfois difficile à accepter pour certains, comme les Départements, car en France la spécialité c’est de ne rien changer. Mais avec les synergies qui se mettent en place, il va pouvoir y avoir des impulsions. »

  • Il y avait aussi le projet d’avoir plus de marges de manœuvre financières, comme en maîtrisant un impôt…

« Le Premier Ministre m’a donné un accord pour une fiscalité propre aux Régions. Mes collègues présidents ont souhaité que le débat sur les modalités soit reporté à la loi de Finances 2017. Il y aura donc ensuite un fléchage fiscal, pour financer développement économique que les départements abandonnent. Mais ce n’est pas un transfert. »

  • Que va devenir l’Agence de développement d’Alsace (Adira) pilotée par les deux Départements alsaciens ?

« Que l‘Adira fusionne Bas-Rhin et Haut-Rhin, je trouve c’est une bonne chose. D’ici un an, on aura l’occasion de faire le point car la compétence sera entièrement dévolue aux Régions, partagée avec les agglomérations, qui ici en Alsace sont tout à fait partenaires. On ne va pas se chamailler aujourd’hui. Ce qui compte c’est de garder l’efficacité. Un outil existe, mais il y a besoin d’une réflexion à l’échelle de la région, qui se fera lors du débat sur le schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII).

La Région étant chef de file, on n’imagine pas que les Départements fassent l’animation et que la Région paie tout. Les conseils départementaux ne paient plus l’innovation et le développement. Mais j’imagine ça en termes partenariat, car il est légitime que sur le terrain les Départements soient aux côtés de la Région et des agglomérations. On n’est pas pressé. Je n’ai pas de problème avec ça. »

Philippe Richert : « On est sorti des postures » (photo JFG / Rue89 Strasbourg.com)

Premier impératif du budget : pas de rupture

  • La Région Grand Est va adopter son premier budget en juin. Quelles ont été vos premiers choix ?

« La priorité etait qu’il n’y ait pas de rupture : que tous les salaires soient versés, que les politiques continuent, que les demandeurs de formation ou les chefs d’entreprises aient leurs dossiers toujours instruits. La deuxième a été l’organisation sur le terrain. Tout cela a été fait. Maintenant nous arrivons au stade des stratégies d’intervention pour l’avenir. Le budget est encore imprégné des anciennes politiques. On ne va pas remettre en cause les contrats signés avant 2016 par les anciennes régions.

L’un des points urgents est celui des politiques sportives, car les clubs envoient leur budget à leur fédération avant septembre. On va donc rapidement présenter nos dispositions pour cette année, avant de sans doute les revoir pour la saison 2017/2018. »

  • À l’avenir, votre budget sera en augmentation ou plus léger ?

« Le résultat final sont des additions et des soustractions. Il y aura par exemple plus de crédits européens : 1,8 milliard d’euros sur 6 ans. Dans le budget supplémentaire cette année, on va rajouter les 75 millions de la formation des chômeurs et diminuer d’autres crédits inscrits par prudence en début d’année.

On a aussi négocié avec les 10 départements de reprendre le transport scolaire et interurbains à partir de 2017. Cela représente 280 millions d’euros par an. Mais des agglomérations vont grandir comme Reims et ses 140 communes et donc en reprendre une partie. En même temps, nous continuons des ajustements sur l’organisation du personnel. Plusieurs directeurs sont partis et ne sont plus remplacés. Sur la vingtaine de directeurs, environ dix viennent d’Alsace et dix des deux autres régions. Nous aurons huit directions à Strasbourg, huit à Metz et quatre à Châlons, ce qui est proportionnel au personnel.

En 2017, on devrait être à 2,7 ou 2,8 milliards d’euros contre 2,5 en 2016. À périmètre constant, on dépensera moins. Mais le périmètre de nos actions grandit, donc le budget aussi. »

Principal chantier : le haut débit

  • Passé le stade de l’harmonisation des budgets quels seront les grands projets à l’échelle de la Région lors du mandat ?

« Le principal chantier va être celui du très haut débit, c’est-à-dire décliner sur les 10 départements ce qu’on avait initié en Alsace fin 2015. La Moselle est un cas à part, car le Département fait lui même les investissements est est assez loin dans ses projets, mais il s’inscrit dans notre stratégie commune.

En Alsace, le déploiement commencera en 2017 et durera six ans. Dans les autres départements, le lancement est pour 2018 avec un déploiement sur six à sept ans. Cela représente 1,5 million de prises au total (500 000 en Alsace) pour environ 1,5 milliard d’euros. On est dans ce nouveau rôle de la Région : garder les identités anciennes, et autour de projets structurants, donner une identité nouvelle. C’est concret, c’est solide, c’est ambitieux pour donner une nouvelle dynamique. Emmanuel Macron (ministre de l’Économie) a indiqué que nous sommes la région la plus connectée de France avec ce projet.

Peu de visibilité sur les TER

Sur le TER, on a plus de mal à avoir de visibilité à cause des informations que ne donne pas la SNCF (Philippe Richert vient d’être nommé à sa demande au conseil de surveillance, ndlr). Et il y a de grandes différences selon les territoires. En Champagne-Ardenne, sur la ligne Givey-Charleville, il existe des portions où on roule à 10 km/h. C’est insupportable. »

« On ne peut pas chasser tous les lièvres à la fois. La priorité est allée aux grands choix de l’organisation de la Région, de son administration du nom, du siège, etc. L’objectif est de reprendre la compétence des routes nationales, mais c’est-à-dire l’ensemble : les crédits, le personnel et la gestion d’une taxe transit. Nous pouvons demander l’expérimentation.

Deux autres régions, Aquitaine-Poitou-Charente-Limousin et Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénéennes seraient intéressés. Pour l’instant, l’État botte en touche. En Allemagne, la taxe poids-lourds, à peu près similaire, permet de disposer de 4,5 milliards d’euros. Cette somme permet de moderniser les autoroutes, les voies fluviales ou les voies ferrées. »

« Le FN cherche à prouver qu’il existe »

  • Quelles sont les relations de travail avec les deux autres partis du conseil régional, le Front national et le Parti socialiste ?

« Le FN est là pour démontrer qu’il est différent. Son jeu est de prouver qu’il existe, avec des attaques violentes, des propos déplacés. Mais il n’a pas de propositions réelles. Dans les commissions thématiques, ses élus s’expriment, mais ne participent pas aux votes. Cela permet ensuite d’intervenir en commission permanente ou en séance plénière et de donner le sentiment qu’ils travaillent. C’est aussi parce qu’ils ne peuvent pas se mettre d’accord entre eux sur la manière de voter.

Avec le PS c’est différent, ça se passe bien, je peux même dire très bien, Même si parfois il y a aussi des besoins d’existence en séance. C’est un jeu classique en politique. À titre personnel, j’ai déjà dit que trouve que ça ne sert à rien de s’opposer sur des dossiers alors qu’on sait qu’on est relativement proche. Ce que je regrette, c’est le temps passé à s’opposer, alors qu’on a besoin de construire. On est dans un pays qui a pris des claques importantes. Il serait temps de comprendre qu’il est temps de construire au-delà des clivages. La minorité a parfois de bonnes idées et la majorité n’est pas obligée d’imposer sa vision des choses systématiquement.

On me dit parfois que je gère « à l’Alsacienne ». C’est vrai que ce sont des méthodes de travail que j’ai mises en place avant. Cela met peut prendre un peu de temps, mais je ne désespère pas que cela prenne, même avec les élus de la majorité de Lorraine et de Champagne Ardenne. C’est vrai que je suis exigeant sur la rigueur, notamment sur les dépenses de fonctionnement, pour dégager des marges manœuvre pour investir. Quand les collectivités n’investissent pas, nos territoires perdent en compétitivité par rapport à nos voisins. Il faut être pertinent par rapport aux Länder allemands ou au Luxembourg. »

« Dans les lycées, la Région est représentée par la majorité »

  • Vous n’avez pas voulu que le FN siège dans les lycées. Pourquoi ?

« J’assume totalement. Dans les conseil d’administration des établissements, il y a un ou plusieurs représentants de la Région, la collectivité qui finance, avec les représentants des professeurs, des parents d’élèves et de l’administration. Quand il y en a un ou deux conseillers régionaux, c’est quelqu’un de la majorité, conformément à la proportionnelle puisqu’on a plus de 50% des sièges dans l’hémicycle. Un conseiller régional représente la Région et ses décisions, pas soi-même, sa sensibilité ou la stratégie électorale de Marine Le Pen.

Tant que je vois le FN se comporter comme il se comporte, je ne souhaite pas qu’il me représente dans les lycées. Ils sont systématiquement dans la posture et ne votent aucune disposition pour les associations de défense des quartiers ou sur les solidarités. Si je les envoie dans des lycées avec des familles défavorisées, qu’est-ce qu’ils vont me faire ? Tout le monde n’est pas issu du même moule. Je pense que cette diversité mérite d’être respectée. Jean-Pierre Masseret (co-président du groupe PS) était d’accord avec ce principe. »

  • Entre les deux tours des élections régionales vous aviez évoqué l’association des formations éliminées aux futures décisions de la Région. Comment ?

« J’avais d’abord rencontré les anciens candidats puis les partis qui ont fait entre 5 et 10%, parfois même un peu moins, au premier tour. Les écologistes (EELV), les nationalistes (Debout La France) et le Front de gauche sont venus. Les autonomistes (Unser Land) ont décliné l’invitation. On a abordé la manière de travailler ensemble et des dossiers précis.
On a convenu de se rencontrer, parfois juste parti par parti et d’autres fois tous ensemble. On va les associer à des débats comme  le SRDEII et le schéma régional d’aménagement et du développement durable du territoire (SRADDT) qui sont de grandes orientations stratégiques, comme s’ils faisaient partie du conseil régional pour que leur position soit entendue. Ça s’est passé dans un climat constructif et tout le monde a accepté ce mode de travail. »

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