Rue89 Strasbourg avait déjà détaillé les spectacles de la nouvelle saison du Maillon lors d’une rencontre avec son ancien directeur, Bernard Fleury, en juin. Quoi de plus normal après tout, puisqu’il s’agissait bien de sa dernière programmation, à lui. Il la présente cependant en cette rentrée avec Frédéric Simon, nouveau directeur fraichement nommé cet été, qui arrive de la Scène nationale du Carreau à Forbach. Celui-ci nous livre, au débotté, ses ambitions culturelles et ses stratégies pragmatiques pour donner au Maillon la stature promise par le nouvel équipement à venir dans un territoire en pleine redéfinition identitaire.
Rue89 Strasbourg : Est-ce qu’il y a des spectacles dans cette dernière saison de Bernard Fleury que vous recommandez tout particulièrement ?
Frédéric Simon : Il y a peut-être les spectacles qui permettent un peu de jalonner les idées que Bernard a sur le monde. Il y a cette volonté de suivre des artistes et des parcours, donc de ne pas être dans « l’objet spectacle ». On pense à Romeo Castellucci et à Angélica Liddell. Ces artistes-là ne se cristallisent pas en un seul spectacle, on est plus dans une forme de rendez-vous avec une singularité. C’est le cas de Gisèle Vienne aussi.
Quand on vient voir un spectacle de Gisèle Vienne en se disant « je vais tout comprendre de Gisèle Vienne », on est très déçu. Elle ne se dévoile pas en un spectacle. Il y a quelque chose de non-définitif chez elle, de presque un peu hermétique, et le mystère est là : on se dit donc qu’on reviendra voir un autre spectacle pour mieux comprendre le propos de l’artiste. Elle nous amène dans des situations très obscures, dans l’infra-language. Donc l’idée c’est bien de ne plus s’attacher aux objets des artistes mais aux artistes eux-mêmes. On ne peut pas fermer ces histoires-là. Avec Angélica [Liddell], il y a quelque chose qui doit durer.
« Comprendre la relation des publics avec le spectacle vivant »
Derrière tout ça il y a l’idée de s’adresser à des énergies différentes, même chez les spectateurs. Certains se contenteront d’un spectacle, d’autres auront une fidélité au lieu, d’autres vont migrer du TNS au TJP… Il y a bien sur des passerelles entre les lieux, pour les spectateurs comme pour les artistes. Nous allons sans doute lancer avec l’université une étude sur les comportements des publics.
Pas pour de la stratégie de relations publiques, mais plutôt pour observer la relation que les publics s’inventent au spectacle vivant et à la culture aujourd’hui. Est-ce que la culture, et le théâtre en particulier, est encore transmis dans les familles ? J’en doute fortement. Et pourtant cette idée a été notre fonds de commerce sur les classes moyennes. Même ceux qu’un ami appelait les « Maif / Camif / Télérama », autrement dit les bobos, on les voit de moins en moins.
Rue89 Strasbourg : Comment est-ce qu’on prend en main un nouveau théâtre ?
Frédéric Simon : Il faut éviter de croire qu’on est le premier. Certains collègues, il y a cinquante ans, étaient les premiers, comme Hubert Gignoux. Nous, nous devons avoir une autre façon de voir les choses. Aujourd’hui, personne n’attend rien de particulier de nous. Nous sommes là pour continuer, pour ne pas mettre les choses en danger. Et si vraiment on a des idées très différentes de celui qui précède, la première chose à faire c’est de comprendre ce qui s’est passé, ce qui a conduit une maison à être ce qu’elle est.
Là où j’ai dirigé des maisons, j’étais déjà spectateur, ça m’a donné une base solide de connaissances. Je ne suis jamais allé à l’autre bout de la France diriger une maison que je ne connaissais pas. Le Maillon, je le fréquentais. Bernard [Fleury], on l’a connu parce que c’est une figure du métier, à l’ONDA par exemple… Donc pour moi ici ce n’est pas une terre inconnue. Vous m’auriez envoyé à Marseille ou à Bayonne, je n’avais aucune avance à l’allumage. Et puis j’ai été étudiant à Strasbourg, même si j’ai quitté cette ville au moment où Marcel Rudloff était battu. Ça ne nous rajeunit pas !
Quand on change de maison, on met trois ans à comprendre, trois ans à modifier et enfin trois ans à lancer quelque chose de nouveau. Au Carreau, finalement, j’ai fait 10 ans, et c’est pendant les trois dernières années que j’ai senti que je pouvais vraiment mettre ma patte. Nous n’avons rien cassé. Nous avons bougé, translaté, modifié tout doucement, avec l’accord des gens, parce qu’une équipe, c’est un organisme vivant. Il ne faut pas arriver en pensant que tout le monde va pouvoir faire des parcours à angle droit, ou volte-face.
« Il va y avoir du changement, il faudra s’écouter »
C’est comme ça que j’imagine les années que je vais passer ici, avec quand même cette chose nouvelle qui est la préfiguration d’un nouveau lieu. Il y a aussi cette transition à effectuer. Le lieu va être ambitieux, il y a plusieurs salles à l’intérieur. Il va falloir faire plus et mieux. C’est une gageure, puisque Bernard avait déjà fait un boulot pas possible.
Une autre chose particulière à Strasbourg, c’est la densité des opérateurs culturels. Même si il y a une population importante, il y a tout de même une offre culturelle tout aussi importante. On sent bien ici qu’au fur et à mesure des années il s’est construit quelque chose d’assez raisonnable : les établissements ont clairement identifié leurs positions. Le Maillon avait sa place.
Avec l’arrivée de Renaud [Herbin] qui essaie de modifier les lignes au TJP, et de Stanislas [Nordey] au TNS, qui est un garçon turbulent [rires],- vous allez voir, il va agiter le bestiaire ! -, et sachant que je ne suis pas non plus quelqu’un de très classique, il va y avoir du changement. Si on change tous en même temps, il va falloir s’écouter. Mobile dans l’élément mobile, ce n’est pas simple.
« On est dans une phase charnière à Strasbourg, les établissements changent de génération »
Il faudra qu’on travaille ensemble, encore plus fortement qu’avant, tout en restant soi-même, en ayant chacun notre particularité de culture d’entreprise. Et puis il y a aussi Musica, l’Opéra, etc.: on voit bien qu’aujourd’hui on est dans une phase charnière à Strasbourg. La plupart des établissements culturels vont changer de direction et de génération. C’est l’occasion où jamais d’inventer quelque chose de nouveau. Sans casser l’histoire, mais en basculant dans le XXIe siècle.
Ce qui me caractérise sûrement par rapport à ce que faisait Bernard, c’est que je suis peut-être plus proche de l’éducation artistique. Si lui aime la coopération européenne, moi j’aime aussi la coopération transfrontalière. Lui était plus à l’origine de réseaux d’affinités entre établissements : moi ce que j’ai mené à Forbach, dans la Sarre, c’est vraiment des liens avec les Allemands, non seulement sur les publics, mais sur l’éducation artistique et culturelle, et sur des ambitions de construction territoriale.
« Contre la dissolution de ce que nous sommes, nous aurons un rôle déterminant »
Au delà des ruptures, que construisons-nous de commun en invitant les gens à participer à cette histoire ? Ce n’est plus l’histoire des nations, ce n’est peut-être pas non plus l’histoire des langues, c’est peut-être d’avantage l’histoire d’un avenir de l’Europe, dans lequel les choses et les gens seront polyglottes, multiculturels et polycentriques. Ça fait beaucoup pour les Français : nous sommes très classiques, nous aimons la verticalité, les nations, nous sommes très souverainistes – même pour les plus progressistes. Nous le sentons bien par rapport à tout ce qui se passe au Moyen-Orient, nous avons du mal à nous positionner en tant que Français, mais nous n’arrivons pas non plus à nous positionner comme citoyens du monde.
Dans toutes ces ruptures nous serons aidés, forcément, par le changement de génération, qui apporte une autre façon d’envisager le monde. Il faudra aussi que cette rupture soit douce, car si nous basculons brusquement du monde Gutenberg à un monde disons numérique et non-structuré, très migrant, il y aura une dissolution complète de ce que nous sommes. Les établissements culturels ont un rôle déterminant.
« Il faut ré-inventer d’autres espaces-temps »
Il ne faut pas se limiter au plateau, il faut que nous sortions de chez nous. Non seulement sortir du lieu, mais sortir du temps de la représentation. Il faut que nous inventions d’autres espaces-temps. Les deux expériences les plus marquantes en terme de territoires et de culture sont Nantes et Lille. Lille a réinventé le bassin houiller, comme Nantes a réinventé l’estuaire – qui n’est plus aujourd’hui un territoire négrier et de construction navale.
Rue89 Strasbourg : Voilà qui tombe à pic puisque vous arrivez à Strasbourg au moment où la ville se ré-invente en temps qu’Eurométropole mais aussi en tant que vraie ville transfrontalière avec l’avancée de la ville vers le Rhin et l’Allemagne.
Frédéric Simon : Les quatre candidats pour le Maillon avaient tous des qualités. Si j’ai pu me détacher, c’est peut-être précisément sur ce domaine-là. Je ne remettais pas en cause l’histoire du Maillon, mais il y avait, dans mon parcours, l’idée d’une ouverture. Il y avait un autre candidat dont je pense qu’il aurait pu faire beaucoup pour le Maillon. Il aurait pu hisser la maison à un niveau d’excellence.
Mais ceux qui ont retenu ma candidature voyaient le Maillon aussi comme un vecteur pour le territoire. C’est tout de même une maison soutenue essentiellement par la Ville, donc le projet culturel rejoint d’autres projets.
Rue89 Strasbourg : Vous semblez très préoccupé de la question des publics, – qui rejoint en partie celle de Bernard Fleury qui a créé environ 6 000 places de plus pour les spectateurs du Maillon cette année – : quelles sont vos ambitions à ce sujet ?
Frédéric Simon : Bien sur, pour augmenter l’offre, il faut augmenter la capacité. Mais il n’y a pas que ça. Nous commençons aujourd’hui à mieux comprendre ce que nous cherchions quand nous parlions de démocratisation culturelle, ou de théâtre populaire, à la fin de la guerre.
Les ambitions du Conseil national de la Résistance pour faire en sorte que la culture soit un rempart contre la barbarie, ou quand Brecht voulait que le théâtre construise un autre peuple : ces idées étaient informelles et généreuses. Aujourd’hui, nous nous heurtons à des évaluations. Il va donc falloir que nous soyons plus sérieux là-dessus. Nous devrons prouver que nous agissons sur le monde.
« Atteindre ceux qui ne se sentent pas capables de venir »
Nous pouvons nous dire que plus de gens touchés c’est formidable, mais il faudra aussi savoir qui nous touchons. Nous devons aller vers ceux qui aujourd’hui auraient besoin de nous et ne se sentent pas capables de venir. Toucher des gens qui, en étant là, modifient leur place dans le monde.
Je pense par exemple à ceux qui, par leur place, transforment le monde tous les jours : les enseignants. Leur façon d’être au monde, d’être des adultes devant des enfants est essentielle : si nous les aidons à remettre en question et à mieux vivre cette place-là grâce à la culture, même si nous n’augmentons pas le nombre de spectateurs nous augmenterons l’impact de ce que nous faisons. Pour moi tous les citoyens sont égaux, mais certains auront un impact plus fort encore si grâce à ce que nous faisons nous ouvrons de nouvelles fenêtres, de nouveaux chakras comme on dirait en Inde.
« Nous sommes encore en train d’attendre l’an 2000 »
Nous sommes encore en train d’attendre l’an 2000. Je pense que les enfants et les jeunes sentent bien ça chez les adultes. Quelque chose n’est pas passé. L’avenir n’est toujours pas installé. Nous emmenons nos enfants dans des drôles d’injonctions paradoxales en leur disant : « on sait qu’on s’est ratés, mais faites exactement ce qu’on fait. » C’est un problème sociétal, qu’on ne peut pas changer par la loi.
C’est vraiment en cherchant les angles morts, en soulevant des petites portes sur les côtés, que chaque personne va se sentir en responsabilité du monde et s’adresser aux autres de manière différente. C’est là notre responsabilité. Or ceux que nous appelions traditionnellement les « relais » ou les « leaders d’opinion », ceux-là aujourd’hui ne sont peut-être plus dans les salles.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi ne sont-ils plus dans les salles ?
Frédéric Simon : Parce qu’ils n’y sentent plus de nécessité. Parce qu’ils sont très vite absorbés par l’imitation, et qu’ils ne prennent plus le temps de remettre en question les enseignements qu’on leur a fait. Les modèles sont pris comme données incontestables.
La seule chose que nous faisons au bout du compte dans notre métier, c’est de faire douter. Nous ne servons qu’à ça. Il y a des théâtres qui peuvent se permettre d’être des « musées du théâtre », commémorant un théâtre des 30 Glorieuses ou du XIXe siècle et des classes bourgeoises, mais si aujourd’hui nous voulons vraiment transformer le monde, il faut déjà en parler, tel qu’il est. Nous ne sommes pas obligés d’être crus ou naturalistes, nous pouvons questionner des structures mentales, l’intimité, la société, les faits divers… Nous voyons bien toutes ces pistes, qu’on retrouve dans la saison d’ailleurs.
« Le spectacle vivant ne s’est pas encore emparé des nouvelles technologies »
Il y a aussi des écritures qui vont arriver et qui sont étonnantes. Elles vont déborder totalement du plateau. Dans les 20 ans qui viennent, il va y avoir un nouvel espace-temps pour les artistes. Bernard Stiegler par exemple nous dit que c’est peut-être la première fois que le monde des arts ne s’empare pas des technologies, aussi rapidement que d’habitude du moins. Dans les théâtres nous étions les premiers à avoir des lampes à gaz et des lampes électriques.
Même si on met un peu de vidéo sur scène, on a bien du mal aujourd’hui à rejoindre un monde dématérialisé, et à avoir des écritures dans ce monde-là. C’est encore pire pour le spectacle vivant. Nous sommes très peu présents, car quelque chose pour nous est mort là-dedans, c’est purement technologique. En fait c’est à nous de lui redonner un visage humain, une présence et une chair.
Rue89 Strasbourg : Vous parliez des grosses structures culturelles strasbourgeoises en terme de collaboration, mais qu’en est-il du côté des associations et des artistes locaux ?
Frédéric Simon : Je suis parti sur un projet de groupement d’employeurs. Je pense que la coopération ne se décrète pas, elle s’effectue. On apprend à se connaître en faisant. Les réseaux sans projets ne durent pas longtemps. Un groupement d’employeurs permettrait de redéployer des petites maisons, – je parle au niveau budgétaire-, pour qu’elles aient d’autres ambitions et créent des liens entres elles, riches et moins riches, par la confiance et par l’action.
« Un groupement d’employeurs, pour mobiliser des compétences »
On n’aime pas les autres structures par décret, il faut qu’il y ait des affinités humaines ou des objectifs communs. Ce groupement d’employeurs devrait permettre, sur l’agglomération et l’Eurométropole, de mobiliser des compétences essentielles quand le besoin s’en fait sentir.
Nous sommes bien dans l’idée d’y inclure des maisons à vocation socio-culturelle ou sociale, et d’y croiser des exigences communes. Nous allons aller au-delà des cercles où on ne s’appelle que par les prénoms, où tous ceux qui ne comprennent pas de qui on parle sont exclus de la conversation. L’idée est plutôt d’avoir le même vocabulaire. Lors de mon expérience en Lorraine, pour partager des expériences communes en milieu rural, on allait voir des spectacles ensemble, pour ensuite en discuter ensemble. On pouvait alors échanger des points de vue sur un objet commun.
« Re-tricoter de l’entregent, y compris au niveau local »
Le groupement d’employeurs sert aussi à ne pas tordre trop le Maillon, dont ce n’est pas la mission principale. Cette solution, qui a l’air d’être purement technique, est souvent la vraie porte de la coopération.
J’aimerais bien que dans ce groupement il y ait une cellule « Europe », une cellule « Éducation artistique » et une cellule « Productions ». Cela implique des gros volumes d’activité que personne ne peut maîtriser seul. L’ingénierie européenne, aucune structure n’en a besoin de manière permanente. Par contre, on voudrait tous être ou chef de file ou rentrer dans des projets européens, qu’ils soient transfrontaliers comme l’Interreg dans le Rhin supérieur ou plus largement en transnational. C’est très gourmand en temps, et on aboutit toujours à la conclusion « on n’a pas le temps de faire ça ».
Pour aller plus loin, pour re-trictoter de l’entregent, y compris au niveau local, il faut qu’on puisse avoir plus d’heures. Ces heures là, on peut les gagner en inter-maisons, en inter-structurel.
Rue89 Strasbourg : Est-ce que ça implique des moyens supplémentaires sur ce groupement d’employeurs ?
Frédéric Simon : Les moyens supplémentaires pour faire vivre un groupement d’employeurs sont des moyens discrets, c’est à dire que ce sont des moyens qui sont liés à des projets. Il y a deux façon d’analyser nos budgets : le fonctionnement, qui est le socle et le budget basique, et de temps en temps nous avons une mission extra-territoriale ou sur des publics spécifiques et là nous avons des moyens supplémentaires. La plupart du temps, ces moyens, on les absorbe dans le fonctionnement. Cela implique un transfert d’énergie du personnel sur ces projets au détriment du fonctionnement. Cela fatigue la maison.
Plutôt que de fatiguer les maisons, prenons cet argent et affectons-le. Sans réinjecter cet argent dans le fonctionnement, on l’attribue à une autre structure, une partie de structure, qui prend en charge ce surcroit de moyens et de travail à faire. Ce n’est donc pas une ponction sur un budget qui est déjà sur l’os, c’est plutôt saisir l’occasion d’opportunités pour travailler les choses différemment.
Rue89 Strasbourg : Est-ce que vous envisagez la recherche de moyens et de partenaires supplémentaires pour le nouveau lieu ?
Frédéric Simon : Le nouveau lieu va être plus ambitieux et plus gourmand en technique. Nous mesurons ça encore mal aujourd’hui. Nous allons cependant y venir, et je l’ai mis sur la table dès que j’ai été recruté. On ne va pas se voiler la face, il va falloir que d’autres partenaires viennent nous rejoindre, ou que ceux qui sont déjà là mettent plus. Pour l’instant, ceux qui sont déjà là ont dit qu’ils ne mettraient pas plus. Ceci dit la porte n’est pas totalement fermée.
Pour faire entrer d’autres partenaires territoriaux, cela impliquerait qu’on déploie l’action à d’autres échelles. Ce qui est à mesurer donc, c’est l’impact d’un lieu sur un territoire, sur une région. Avec une région qui change de taille, ce qui change les choses aussi. Plus que le fonctionnement régional, les grandes régions vont changer les attitudes métropolitaines.
Une place à trouver, dans le réseau des métropoles et en ALCA
On consulte d’ailleurs assez peu le citoyen sur ces grands changements qui sont en germe et qui font grimper le niveau intercommunal. Les 12 métropoles françaises sont la future structure de la France. À quelle échéance ? Je n’en sais rien. En tout cas nous sommes en route pour ça.
Strasbourg a une prééminence sur ce nouveau territoire, d’autant que les chiffres de l’INSEE montrent que la désertification des territoires à l’ouest de la ligne Nancy-Metz s’accomplit à une vitesse folle. On va finir dans des territoires qui n’ont rien à envier à la Meuse. Plusieurs faits, comme la culture viticole ou les sièges sociaux de grandes entreprises, constituent la force de l’Alsace aujourd’hui, qui ne se résume pas à Strasbourg.
Le Maillon doit donc prendre sa place au sein de l’Eurométropole, mais aussi sur le Rhin supérieur, avec Mulhouse, Colmar et les Allemands de Karlsruhe, Offenbourg et Fribourg. Il y a Bâle aussi. Il s’agit de dépasser les collaborations bilatérales déjà existantes pour trouver des objectifs communs. Il s’agit aussi de travailler sur notre place au niveau national et transnational.
À chaque fois cela implique des contacts avec de nouveaux partenaires. Dans ce cas ce serait peut-être plus à la région qu’à l’Eurométropole de nous fixer les conditions d’obtention de nouveaux crédits, par exemple pour devenir la charpente d’une émergence des arts dans cette grande région… Il pourrait aussi y avoir des fonds européens pour faire circuler des spectateurs, des artistes et des œuvres…
Au niveau transnational, parce que Strasbourg compte aussi le TNS et d’autres structures, cela pourrait générer un pôle d’émergence et de structuration d’un métier, d’une écriture, d’une logique européenne. À chaque fois, il faudra que nous racontions notre fable à une échelle différente. Mais il faudra être vigilant à ce que cette fable soit une seule et même histoire.
La force poétique et tellurique de Strasbourg
Je crois que nous sommes tous assez mûrs, sur ce grand bassin rhénan, pour avoir une vision commune. Ce creuset, pas seulement géographique d’effondrement entre deux montagnes, existe. Beaucoup d’artistes sont venus se réfugier à Strasbourg et ont témoigné de cette force tellurique. Il y a quelque chose, dans le Rhin supérieur et à Strasbourg, qui peut cristalliser, même poétiquement.
La figure que j’aime beaucoup à Strasbourg, que je trouve très explicite, c’est celle de Janus, sous la fontaine en face de l’Opéra. Janus, c’est à la fois la paix et la guerre, -le temple de Janus était fermé pendant la paix et ouvert pendant la guerre-, c’est le double regard, dans deux directions, c’est le masque, c’est le Rhin qui coule au-dessus de sa tête… Ça nous rappelle que le théâtre n’est pas loin puisque Dionysos avait aussi deux masques. Il flotte quelque chose de poétique ici, qui ne peut pas se dérouler ailleurs.
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