Début mai, la mairie de Strasbourg faisait parvenir un courrier aux locataires et propriétaires de 28 parcelles des jardins familiaux du Heyritz, au sud de la ville. À l’intérieur de celui-ci, une interdiction : celle de continuer à cultiver les potagers sur lesquels de nombreuses familles comptaient, souvent depuis de nombreuses années. La municipalité venait de prendre connaissance de la présence de concentration de plomb dans les sols, potentiellement toxique, et décidait de fermer ces sites à la culture pour un temps indéterminé.
Au total, c’est la nocivité de près de 5 000 jardins familiaux, dispersés à travers l’Eurométropole et souvent à proximité de sites industriels sensibles ou en lisière d’autoroute, qui est désormais questionnée par les élus.
Interpellé en conseil municipal sur les moyens de contrôle et de surveillance de la pollution des sols dans la ville, l’exécutif de la Ville a expliqué s’appuyer principalement sur une base de données nationale, dénommée Basol, pour garder un œil sur les autres terrains potentiellement à risque.
Les autres ? La liste Basol, acronyme de base de données des sols, recense précisément 40 « sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif » dans les contours de l’Eurométropole. Mais lors du conseil municipal de mai, Robert Herrmann, président de l’Eurométropole et adjoint au maire de Strasbourg, a fait état de « 117 nouveaux sites possiblement pollués. »
Carte : 11 sites à forte pollution à Strasbourg
Alimentée par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), la liste Basol est en libre accès sur internet. Encore faut-il savoir jouer avec les données, pas forcément lisibles au premier abord. Voici donc une carte, mettant en avant les 11 lieux considérés comme particulièrement pollués et les types de traitements mis en œuvre par la Dreal.
Comment comprendre ces différents types de pollution et leur traitement ? C’est là toute la difficulté : chaque cas est spécifique et le classement colorimétrique, réalisé par la Dreal, nécessite d’être nuancé. D’abord, le niveau de pollution d’un site est évalué en fonction de la quantité, de la concentration et de la dangerosité des polluants présents : plomb, amiante, hydrocarbures et diverses substances chimiques.
Pas très ragoûtant, mais pas nécessairement dangereux pour les personnes vivant à proximité ou fréquentant régulièrement les lieux. La gare de Strasbourg, classée en niveau « moyen » et de type « site nécessitant des investigations supplémentaires », ne présente par exemple pas de risque pour ses usagers quotidiens. Même si plus de 60 tonnes d’hydrocarbures ont été extraits des sols en 2012, suite au démantèlement de l’ancienne pomperie, les clients de la SNCF n’ont aucun contact avec les nappes toxiques où se trouvent encore des substances.
Le mystère de l’ampleur de la pollution des sols
Mais les fonctionnaires de la Dreal s’occupant de la liste Basol ne prennent pas uniquement en compte l’état de pollution des sols : les eaux souterraines et la diffusion dans l’air des polluants sont aussi mesurés. De fait, certains sites peuvent être sujets à une pollution « mobile » et possiblement plus dangereuse. D’autant que c’est bien souvent à l’initiative de l’entreprise que les contrôles et les travaux sont effectués.
À l’image de l’entreprise Sanest, spécialisée dans le nettoyage industriel et l’assainissement, dont « ni les travaux de dépollution ni l’étude détaillée des risques n’ont été menés » à ce jour. Comme la majorité des sites à pollution élevée, celle-ci est éloignée des lieux de vie. Mais sous terre, jusqu’où la nappe d’hydrocarbures se diffuse-t-elle ? Si la Dreal assure prélever des échantillons des sols, pour le voisinage, il n’est indiqué nulle part l’étendue de la zone géographique touchée par ces pollutions.
Une école primaire dans les sites à risque élevé
Parmi les sites à pollution élevée, un lieu sort particulièrement de l’ordinaire : une école primaire, installée au 61 rue des Romains. Sur la liste Basol, il n’est fait mention que d’une adresse, contrairement aux entreprises qui sont répertoriées par leur nom. L’école élémentaire des Romains est attenante à un square, où chaque jours les enfants passent et jouent. Elle est installée sur le site d’une ancienne Brasserie qui possédait des cuves souterraines de fioul et est répertoriée dans l’inventaire Basias, qui compile les anciens sites industriels démantelés.
Lors du Plan national environnement santé (2009-2013), l’école a fait l’objet de contrôles. Le directeur de l’établissement a pu nous confirmer le suivi d’un représentant de l’Académie et d’un agent de la Dreal. D’après celle-ci, il n’y aurait pas de risque de pollution mobile dans l’établissement ou de diffusion dans l’air de résidus dangereux. Alors, pourquoi l’école primaire fait-elle encore l’objet d’une catégorisation « élevée » ? Parce que les « sols de surface » peuvent encore être dangereux en cas d’ingestion, voire de manipulation. Potentiellement problématique pour des enfants. Néanmoins, le revêtement en bitume de la cour de récréation est censé protéger ceux-ci, mais ce n’est pas le cas du square.
Un « inventaire historique urbain » à venir
Si le cas de l’école élémentaire des Romains ne semble pas présenter de problèmes sanitaires pour les enfants, on peut s’interroger : des sols pollués se dissimulent-ils dans la ville, y a-t-il des sites inconnus dans Strasbourg ? Avant l’éclosion de l’affaire des jardins du Heyritz, personne ne soupçonnait la présence de plomb dans les jardins. Pourtant, la municipalité assure mener des tests depuis l’ouverture des parcelles à la culture en 2011. Le cas peut-il se répéter ?
Lors du conseil municipal de mai, Robert Hermann a proposé de lancer « un inventaire historique urbain sur la période 2016-2020 pour parfaire l’état actuel des connaissances en matière de sites et sols pollués », comme le souligne les DNA. Christelle Kohler, adjointe à la « ville en nature et à la ville nourricière », précise :
« Nous voulons réaliser un travail plus fin, à l’aide de tous les documents historiques dont nous disposons pour identifier les sites à risque. Par exemple, à Saint Gall, grâce à des photos, nous avons pu constater qu’il y avait une ancienne installation de métallerie sur le site. Il y aura des analyses dans tous les jardins familiaux des environs. »
117 sites encore à inventorier
Disposant de leurs propres données sur la pollution, comme l’observatoire de la nappe phréatique d’Alsace (Aprona) ou des données sur les anciennes stations d’essences, la mairie et l’Eurométropole ont annoncé avoir connaissance de 117 autres sites potentiellement à risques à travers les 28 communes. Où sont situés ces 117 sites, quels types de pollution impliquent-ils ? Christelle Kohler n’a pas su nous répondre et un agent de la Dreal annonce ne pas avoir connaissance de ces autres lieux. Du côté de l’Eurométropole, on annonce des précisions « dans les semaines à venir ».
Autre problématique et pas des moindres : le quartier Danube, qui a obtenu en 2013 l’attestation « engagée dans la labellisation éco-quartier », qui devrait éclore en 2018 avec près de 650 logements, pourrait craindre d’avoir été fondé sur des sols pollués. Toujours lors du même conseil municipal, Robert Hermann a annoncé que les sols du quartier seront suivis durant deux à quatre ans après la construction des bâtiments.
Laurence Vaton, conseillère municipale d’opposition (Modem), s’interroge :
« Et après les quatre ans, il n’y aura plus de contrôles ? La Ville n’a rien prévu pour la suite, tandis que ces choses se font sur le très long terme. Qu’est-ce qu’il va se passer ? »
En réalité, une dépollution a déjà été effectuée par les services de l’État, explique Christelle Kohler, qui note :
« Il y a toujours un risque de pollution résiduelle. Mais il est qualifié de très faible par les experts ».
Deux nouveaux chiffres s’ajoutent au tableau : 221 sites de remblais ont été recensés pour leur caractère potentiellement pollué et 59 secteurs possèdent une nappe phréatique où la présence de polluants est avéré. Où sont situés ces lieux ? L’Eurométropole et la Ville de Strasbourg entendent aller plus loin dans la connaissance des données lié à la pollution des sol et l’introduction d’une carte est prévue dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU). Encore faut-il savoir que ces données se trouvent sur le dossier du PLU et être en capacité de les trouver.
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