À deux sièges près, la droite, le centre et des maires indépendants pourraient prendre le contrôle de l’Eurométropole (EMS) de Strasbourg en janvier. Une majorité certes très fragile car elle suppose que tout le monde s’accorde, du centre (UDI, Modem, société civile) à la droite, en incluant les nombreux maires « sans étiquette » de l’agglomération. Et surtout que les élus « Les Républicains » de Strasbourg s’entendent avec Yves Bur, maire de Lingolsheim et actuel chef du groupe des maires qui participent à la coalition droite-gauche à la tête de l’Eurométropole depuis 2014.
Cette situation est le résultat d’une surprise, lors du vote de nouveaux élus de la Ville de Strasbourg au conseil de l’EMS, à l’occasion du conseil municipal de lundi 13 décembre. Avec le passage de 28 à 33 communes dans l’intercommunalité au 1er janvier, Strasbourg passe de 47 à 50 représentants, tandis que l’assemblée passe de 95 à 100 élus, puisque chaque commune y envoie un élu. Autre conséquence, il faut revoter pour le président et sa vingtaine de vice-présidents début janvier.
EELV fait les frais d’abstentions PS à Strasbourg
Alors que tout le monde pensait que trois élus de la majorité PS et EELV de Strasbourg rejoindraient l’assemblée métropolitaine, ce sont finalement deux socialistes, mais aussi Éric Senet, élu non-encarté mais du groupe de droite « Les Républicains » qui ont été élus.
Le vote était secret, mais la liste d’opposition a reçu 17 votes – correspondant aux 15 voix du groupe de droite et de l’UDI, et vraisemblablement aux voix des deux élus du Front national, qui ne se sont pas exprimés sur le sujet. Mais surtout, quatre votants se sont abstenus, ce qui a sapé la possibilité que l’écologiste Jean Werlen, troisième sur la liste, entre au conseil communautaire. Un mauvais coup qui a fait fulminer les écologistes, qui ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes : s’ils avaient proposé une femme, elle aurait à coup sûr été élue en deuxième position, alternance paritaire oblige.
D’après nos informations, les abstentions proviennent de conseillers municipaux dépités de ne pas avoir été sur cette fameuse liste. Dans le même temps, trois élus de gauche ou d’EELV d’Illkrich-Graffenstaden, Bischheim et Schiltigheim vont céder leur place, en raison du rééquilibrage du poids démographique de leurs communes. En janvier, on comptera donc 51 élus de droite, du centre ou maires de communes, contre 48 du PS, d’EELV et autres alliés et encore 1 élu du Front national (Jean-Luc Schaffhauser), peu susceptible de se rattacher à un camp ou un autre.
Avant, une majorité de gauche et d’écologistes existaient, même si le président Robert-Herrmann (PS) avait choisi d’intégrer les maires des autres communes, de droite pour la plupart, à la direction de l’Eurométropole, pour former une coalition étendue.
Un scénario à la mulhousienne ?
Les maires des petites communes ayant pour habitude de rester en groupe pour peser le plus possible, il n’en faut pas plus pour que certains imaginent déjà un renversement de la table. C’est ce qui s’est passé à Mulhouse la semaine dernière où le maire Jean Rottner et ses soutiens ont été évincés de la présidence de l’agglomération par les maires des communes voisines qui ont installé leur propre candidat.
L’actuel président Robert Herrmann, et candidat à sa succession, espère ne pas subir le même sort :
« On a un projet pour la friche de Reichstett, on a lancé deux extensions du tram, mis fin aux procédures avec les pompiers du SDIS, négocié les compétences avec le Département, un projet pour la zone commerciale nord, lancé la transition énergétique, les travaux sont repartis au PAPS-PCPI, l’abonnement unique CTS/TER, les budgets ont été adoptés, etc. Je regarde ce que cette alliance a apporté aux concitoyens. J’ai toujours dit qu’une agglomération, c’est la diversité. Je regarde ce qui se fait à Mulhouse et je ne pense pas qu’une agglomération puisse se passer de sa ville-centre. Je n’entends pas que ce soit le souhait des maires ici. »
Les regards se tournent vers Yves Bur (LR), maire et ancien député de Lingolsheim, qui mène ce groupe de maires. Lui non plus n’envisage pas de remettre en cause cette alliance :
« Je souhaite que cette gouvernance continue. Je ne veux pas qu’on revienne au modèle ancien avec des débauchages pour des hochets politiques. Je réunis mon groupe ce mercredi soir pour en discuter. »
S’exposer au lâchage des alliés
Il est vrai qu’une majorité à deux sièges près, c’est s’exposer au blocage des projets par deux ou trois élus. Pour autant, Yves Bur ne ferme pas complètement la porte à une candidature à la présidence dans le cadre d’une gouvernance droite-gauche. Et dans ce cas, une alliance avec le PS pourrait marginaliser encore plus les 7 écologistes, voire l’aile gauche du PS.
Mais dans ce cas de figure, c’est pour Robert Herrmann et les socialistes strasbourgeois que l’avenir s’assombrirait. Abandonner l’alliance avec les écologistes compliquerait la future campagne de 2020 pour la mairie.
Le pouvoir aux maires
C’est donc les maires des communes voisines de Strasbourg qui auront le pouvoir de décider. Et à écouter certains d’entre eux, changer de président, ou du moins de « gouvernance » n’est pas la priorité. Comme par exemple Pierre Perrin, maire de Souffelweyersheim et président de groupe, qui « espère » que les maires des cinq nouvelles communes rejoindront son groupe (ils sont invités ce mercredi soir) pour améliorer le rapport de force :
« La démarche du groupe est de représenter nos collectivités, au delà des étiquettes. On est un groupe écouté et stable. »
Prudence habituelle des maires avant les négociations internes ? Même son de cloche chez Théo Klumpp d’Oberhausbergen et Pia Imbs à Holtzheim qui se disent « écoutés », même si la question de savoir s’ils sont « entendus » est parfois un peu plus épineuse. Enfin, « il faut un candidat qui fasse l’unanimité », souligne Théo Klumpp.
Les vice-présidences en jeu
Certes un « putsch » qui éliminerait les socialistes demanderait beaucoup de bonnes volontés à droite. Mais un chamboulement des 20 vices-présidences est plus probable. Le groupe des maires en possède 7, quand les socialistes et apparentés en tiennent 12 (en plus du président), et une pour les écologistes (Alain Jund).
Jusqu’à hier, le plan était de garder la même équipe, sauf peut-être le vice-président à l’artisanat Jean-Luc Herzog dont l’entêtement risque de faire perdre la brasserie artisanale de La Mercière au territoire de l’Eurométropole. Il ne fait pas l’unanimité dans l’assemblée, ni même au sein de son groupe.
Yves Bur : « Je sais quand même compter »
Mardi 13 décembre, les discours semblaient un peu évoluer, à l’image de cette déclaration d’Yves Bur en conférence de presse :
« À la fin, je sais quand même compter et l’exécutif doit se faire avec les communes. Il y a les principes, mais aussi l’arithmétique. Le vote d’hier à Strasbourg, je n’en suis pas responsable. »
Le président du groupe d’opposition « Les Républicains » Georges Schuler, maire de Reichstett, le seul à ne pas avoir rejoint le groupe des maires en 2014, réitère sa proposition du mois de septembre :
« Ce n’est pas une question de parti politique et c’est aux maires de décider. J’ai déjà exprimé des critiques sur la gouvernance qui prévoyait une stabilité fiscale qui n’a pas été tenue. S’ils veulent un programme différent, ils auront le soutien de notre groupe. Il ne serait pas question de revenir sur les engagements passés : je vais par exemple voter le Plan d’urbanisme qui est un bon outil, même s’il n’est pas parfait. Mais il faut revoir certaines orientations en urbanisme et en transports. Et je précise que je ne suis candidat à rien. »
Les fêtes pour négocier
Le maire de Reichstett est en fait candidat aux élections législatives, en juin 2017, à Strasbourg et dans les communes du nord (circonscription 3) et ne pourrait cumuler une vice-présidence, ou son mandat actuel de maire, s’il est élu. Quant aux possibles divisions de la droite strasbourgeoise et des rapports avec Yves Bur, il pense qu’il est possible de les surmonter :
« Si on arrive à être intelligents et mettre les égos à leur place, je ne vois pas les élus de droite strasbourgeois ne pas soutenir un programme qui leur correspond. »
Ce n’est pas l’analyse de tout le monde. Certains se demandent comment Fabienne Keller par exemple pourrait siéger dans l’opposition à Strasbourg et dans la majorité à l’Eurométropole. En raison de son statut de sénatrice, elle ne pourrait pas non plus occuper de vice-présidence. Un questionnement dont fait part Pascale Jurdant-Pfeiffer, élue UDI de Strasbourg, qui compte deux élus, soit assez pour faire et défaire une majorité :
« En 2014, on avait toqué à la porte et on n’a pas voulu de nous. On reste à l’écoute des propositions, mais on se pose la question de la cohérence entre être dans la majorité à l’Eurométropole et dans l’opposition à la Ville. »
Les candidatures pour la présidence et les vice-présidences sont ouvertes jusqu’au jour du vote. Les fêtes s’annoncent donc comme une période d’intenses tractations politiques, non-prévues il y a quelques jours encore.
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