C’est un e-mail anodin qui a alerté Imène Julich la semaine dernière : « qu’est-ce que tes enfants veulent pour Noël ? » Mère de trois enfants de 3, 6 et 9 ans, elle n’en avait aucune idée. Elle n’a pas eu le temps de leur poser la question car elle tient toute la journée la boutique de la brasserie artisanale « La Mercière » qu’elle a fondée avec son mari à Niederhausbergen il y a cinq ans. L’affaire marche bien mais depuis quelques temps, elle y passe ses nuits aussi, à la suite d’un conflit inextricable avec le maire de ce village d’un millier d’habitants au nord-ouest de Strasbourg, Jean-Luc Herzog.
En résumé, Franck et Imène Julich ont besoin de plus d’espace pour augmenter leur production. Chance, ils disposaient dans la famille d’un terrain de 40 ares, suffisamment grand et en bordure de Niederhausbergen, avec un accès à l’autoroute. Mais ce terrain, bien que partiellement bâti sur 600 m², est en zone non-constructible. Et surtout, le maire Jean-Luc Herzog ne veut pas d’une brasserie artisanale à cet endroit, qu’il destine à de futures fonctions municipales. Il a placé le lot dans les réserves foncières de la commune, dans le Plan local d’urbanisme (PLU) intercommunautaire, qui doit être voté vendredi.
Après cinq générations à Niederhausbergen, Franck Julich doit partir
Depuis qu’ils ont le projet de s’agrandir, le maire de la commune, également vice-président de l’Eurométropole en charge de l’artisanat ce qui ne manque pas de piquant, multiplie les obstacles : après avoir réservé le terrain dans le PLU, à l’insu de Franck et Imène Julich, il refuse de les recevoir pour étudier leur projet ou même qu’ils s’adressent aux conseillers municipaux. Après la publicité que Rue89 Strasbourg avait donné à ce conflit, Jean-Luc Herzog a multiplié les difficultés administratives et juridiques.
Lundi matin lors d’une conférence de presse à Strasbourg, Franck et Imène Julich ont, avec beaucoup d’émotion, annoncé qu’ils abandonnaient :
« Après cinq générations de Julich à Niederhausbergen, on a pris la décision de partir. Toutes les décisions du maire sont contestables, mais nous sommes des brasseurs. Notre métier, c’est de faire de la bière, pas de se perdre en procédures et frais d’avocats. Et on n’a plus la force. Pour le terrain qui appartient à mon grand père, on a dû justifier de nos plans d’expansion, montrer nos bilans, décortiquer et faire valider nos projets économiques… De son côté, pour nous priver de notre développement, le maire n’a à justifier de rien. Et il peut puiser dans les fonds municipaux pour payer ses avocats, pas nous. Alors la mort dans l’âme, on a décidé que La Mercière, bière née à Niederhausbergen, allait s’implanter ailleurs. »
Bientôt un appel aux soutiens
Le projet de Franck et Imène Julich prévoyait d’installer une malterie, une unité de brassage et une épicerie ouverte au public, dédiée aux circuits courts, aux produits artisanaux et locaux. L’endroit devait accueillir aussi des ateliers et des rencontres autour de l’économie solidaire, locale et patrimoniale. L’ensemble devait s’intégrer dans le paysage avec une réutilisation des fondations existantes, et des façades végétalisées.
Franck et Imène Julich sont désormais à la recherche d’une commune plus accueillante, pour la brasserie, son projet pédagogique et leur maison. Ils ont bien conscience qu’en l’absence de faveurs familiales, ils ne devraient pas être en mesure de financer l’acquisition d’un terrain d’une surface similaire dans l’enceinte de l’Eurométropole. Ils se préparent donc à quitter le territoire métropolitain.
Dès qu’une solution sera trouvée, Franck et Imène Julich prévoient de lancer une opération de financement participatif pour passer ce cap, qu’ils étaient loin de pouvoir imaginer.
L’Eurométropole se déresponsabilise
Vice-président de l’Eurométropole en charge du PLU et maire de Linolsheim, Yves Bur (Les Républicains), a déclaré mardi 13 décembre lors d’un point presse que son assemblée n’a pas à se mêler de cette affaire communale (la réserve du commissaire enquêteur lui suggère pourtant de le faire), tout en laissant une ultime porte ouverte :
« Il y a un principe qu’on ne peut pas dépasser [dans l’élaboration du PLU], c’est qu’on ne se substitue pas aux communes pour leur développement, sauf s’il y a un intérêt métropolitain. Il s’applique à Niederhausbergen, même si nous le regrettons. On ne peut pas empêcher les affaires communales de vivre. La Mercière, c’est une vielle histoire. Mais quelques propositions peuvent encore émerger d’ici vendredi. »
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