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Un centre régional du livre ? Enfin une occasion de sortir des « Malgré nous »

Avec une toute nouvelle structure, la Confédération de l’illustration et du livre (CIL), l’Alsace tente de redorer l’image sclérosée de son édition. Mais est-ce que publier en Alsace implique forcément d’écrire sur l’Alsace ? La pratique permettait d’obtenir des aides du conseil régional. Mais le changement s’annonce. Et il est attendu au tournant.

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(Photo Evan Bench / Flickr / Cc)

Dans toutes les régions de France sauf en Alsace, il existe une structure qui coordonne la filière de l’édition et s’occupe d’organiser des manifestations, des publications et des projets. En Lorraine, un centre régional du livre a été créé en 2002. Parmi ses missions, le développement multimédia, l’organisation de journées professionnelles autour des métiers du livre pour apporter conseils et informations ou encore dynamiser la vie culturelle en proposant des prix littéraires et des concours… Toutes ces actions donnent de la visibilité à la production locale, tant au niveau régional que national, voire européen.

180 000€ accordés à l’économie du livre

En Alsace, ce sera une Confédération et de l’illustration et du livre (CIL) qui fédérera les différentes associations des professionnelles du secteur. Aucun centre régional du livre n’est prévu pour l’instant mais la CIL, présidée par le libraire de Strasbourg-Neudorf Dominique Ehrengarth est composée de cinq associations : Le Grill, Fauteuil Vapeur, A.Lir, AEA (Association des éditeurs en Alsace) et Cordial (Coopération régionale pour la documentation et l’information en Alsace).

Le 18 décembre 2012, dans le cadre du « contrat de progrès 2012-2014, un fonds de soutien à la CIL de 180 000€ sur trois ans a été accordé par la Région Alsace et la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) à cette nouvelle structure.

Présentation du dossier de la CIL

Des financements réservés jusqu’à présent aux alsatiques

Sur un territoire où le régionalisme est fort, ce n’est pas facile pour une maison d’édition de proposer des livres qui ne parlent pas d’Alsace. Et jusqu’ici, la politique de soutien régional était très centrée sur les « alsatiques », ces ouvrages parlant de la région. Ainsi à La dernière goutte, maison d’édition indépendante implantée à Strasbourg depuis 5 ans, mais qui ne publie aucun alsatique, l’un des responsables, Christophe Sedierta, déplore que jusqu’ici « tous les financements de projets aient été réservés aux seuls alsatiques ».

Éric Catarina, des éditions du Long Bec créées en mars 2012, n’a pas non plus obtenir des aides de la Région, malgré une ligne éditoriale ultra-ciblée, « L’Alsace comme vous ne l’avez jamais lue! » :

« Quand j’ai ouvert ma maison d’édition, en mars 2012, la Région Alsace allouait des subventions aux alsatiques, l’idée étant de promouvoir les œuvres régionales. Depuis, avec la création de la CIL entre autres, les règles ont changé et les subventions devraient être plus largement distribuées. »

Le potentiel identitaire ne fait pas tout

Pour Clotilde Lambert, chargée de mission de la CIL, il s’agit surtout de « rattraper un retard ». Elle explique la démarche :

« Il n’y avait rien au niveau interprofessionnel. Or il y a, dans l’édition alsacienne deux niveaux : le local et le national, voire l’international. Aujourd’hui, la Région Alsace a évolué et s’est ouverte au monde de l’édition dans toute sa diversité de production. Le fonds alloué aux professionnels de la chaîne du livre ne concerne plus seulement les alsatiques. Il y a certes un gros potentiel identitaire en Alsace, mais cela ne fait pas tout. »

Selon Pascal Mangin, conseiller régional et président de la commission culturelle, la création d’une telle structure était devenue « une nécessité ». Il en précise l’objectif :

« La CIL devra constituer un outil adapté aux importants défis auxquels est confrontée la filière du livre en permettant de réunir tous les professionnels de la chaîne au même niveau pour qu’ils décident ensemble des urgences à traiter. Le fonds alloué à la CIL est entièrement dédié aux actions qui devront être menées pour redynamiser la filière du livre en Alsace. Dans cet objectif, la Région Alsace, elle, ne s’occupe que de l’économie du livre, c’est aux professionnels de se mettre d’accord sur leurs besoins, certes bien différents, pour prendre des décisions sur les projets à mener ensemble. »

« Les maisons d’édition locales s’essoufflent »

En Alsace, il existe aussi une spécificité, celle des illustrateurs qualifiés. Avec l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, la région héberge un important vivier d’illustrateurs. Mais les étudiants peinent parfois à se faire connaître quand ils sortent de leurs études, malgré le prestige que le nom de l’école leur confère. La CIL devrait leur offrir l’opportunité de rencontrer des conseillers capables de les guider dans leurs choix professionnels. L’idée est aussi de « garder » les talents en Alsace, souligne Pascal Mangin.

Souad El Maysour, vice-présidente de la CUS en charge de la culture, reconnaît que « les alsatiques, ce n’est plus vraiment porteur. » Peu de gens les empruntent dans les bibliothèques, hormis les chercheurs ou les universitaires pour des travaux bien précis. Selon elle, la Confédération arrive à point nommé :

« Nous avons une culture régionale forte, mais les maisons d’édition s’essoufflent, les écrivains ne sont pas toujours bien remarqués parce que pas assez représentés parfois. La CIL devrait permettre un soutien général de tous les professionnels du livre, en prenant en compte toute la chaîne dans sa totalité et sa complexité. »

Le style « Malgré nous », une thérapie de groupe

Mais l’Alsace « a la chance d’avoir une forte tradition du livre », selon Pierre Marchant, directeur de la maison d’édition Le Verger Editeur. Pour lui, il s’agit plus d’une « saveur » que l’on retrouve dans la littérature régionale, qu’il a réussi à exporter par-delà les frontières alsaciennes :

« On ne fait pas forcément dans la choucroute, mais l’origine géographique des éditeurs indépendants a forcément un impact dans les choix de la ligne éditoriale. En Provence, il n’y a pas que des Pagnol… Mais vivre quelque part, c’est avoir un milieu duquel se nourrir. Le style « Malgré nous », forcément, a eu beaucoup de succès, surtout en Alsace. Cela a été un peu comme une thérapie de groupe.

Une identité régionale forte a forcément un impact sur la création locale. Mais c’est l’essence d’un livre. On écrit sur notre voisin, notre vécu, on s’inspire de l’Histoire et celle de l’Alsace a été fortement marquée par ses guerres et sa quête identitaire. Cela a inspiré durant de nombreuses années nos écrivains locaux.

C’est évident que le marché régional donne une valeur ajoutée et une garantie pour les ventes. Les polars régionaux sont des best-sellers, car, grâce à des sujets nationaux, voire internationaux (comme le Sherlock Holmes de Jacques Fortier), remis au goût local (l’histoire se déroule au Haut-Koenigsbourg), les Alsaciens se sentent plus concernés. »

La production locale est riche et foisonnante, preuve à l’appui au Salon du livre de Colmar où, chaque année, le lecteur alsacien a le choix entre la cuisine, la course à pied, en passant par l’architecture et le dialecte… La fierté identitaire se fait clairement sentir sous la plume des auteurs locaux. « Mais l’ouverture sur le monde et ses problématiques actuelles (ou fictionnelles) ne devrait pas pour autant être mis de côté », selon Souad El Maysour.

Le vrai clivage, ce n’est pas Paris contre la province

La CIL a pour mission d’apporter de la visibilité aux professionnels qui en manquent, à l’échelle nationale notamment. D’aucuns profitent d’une renommée locale (comme La Nuée Bleue), réaffirmée au fil des années, et ont pu pénétrer le marché national comme le Verger Éditeur. En tant que président de l’Association des éditeurs en Alsace, Pierre Marchant se réjouit d’ailleurs qu’une telle structure vienne « compléter les lacunes » et apporter du soutien aux acteurs du livre locaux :

« La CIL fera office de centre régional du livre en mutualisant nos moyens à tous les niveaux (librairies, éditeurs, auteurs, illustrateurs). Le débat est faussé si l’on imagine une dichotomie entre Paris et les provinces. Le vrai clivage se situe entre les grosses maisons d’édition et les plus petites. La taille ne jouant pas sur la qualité mais sur les moyens financiers. Or une structure régionale autour du livre doit permettre de rendre la création alsacienne plus dynamique et plus visible au niveau local, avec plus de manifestations autour du livre, et au niveau national. »

« Dépasser le trop alsacien »

Avoir un lectorat local fidèle permettrait ainsi de pouvoir prendre le risque d’aller sur le marché national. Mais alors qu’avant ce « risque » n’était envisageable que pour ceux qui vendaient bien au niveau régional, la CIL devrait offrir de nouveaux débouchés à tous. Un point important pour Éric Catarina des éditions du Long Bec, qui considère que la diffusion nationale de ses BD fantastiques, héroïques ou historiques assurera la pérennité de sa maison d’édition :

« La ligne éditoriale va forcément un peu évoluer avec la diffusion qui est prévue au niveau nationale. Mais toutes les histoires ont pour cadre l’Alsace, réelle ou imaginaire. D’ailleurs, nous avons besoin de faire connaître nos livres en dehors de notre région, d’être lu ailleurs. L’histoire de l’Alsace en bande-dessinée, c’est super, mais ça reste peu acheté en dehors du territoire et le niveau national demeure difficile à atteindre si on reste cantonner à ce style. Il faut toucher tous les publics et donc dépasser le « trop alsacien ». Surtout pour les petites maisons d’édition. »

Ne pas s’emballer trop vite

Pourtant, la CIL n’en est qu’à ses prémices et certains essaient de ne pas trop s’emballer, comme Christophe Sedierta, de La Dernière Goutte, qui a des projets pour la structure :

« Une politique volontariste de la Région influence beaucoup, comme on peut le voir à l’échelle nationale avec les centres régionaux du livre, où chaque filière du livre est visible et mise en avant. Et pour viser autre chose que le marché local, nous avons besoin d’une aide à la création, ce qui signifie des financements en amont pour des projets comme la traduction d’auteurs étrangers, aller sur des salons partout en France, mais aussi à l’étranger. »

L’idée, au final : faire connaître son travail, pas forcément sa région.


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