C’est une première en Europe : les universités de Strasbourg, Mulhouse, Fribourg-en-Brisgau, Bâle et l’Institut de technologie de Karlsruhe ont créé « Eucor – The European Campus ». En créant ce Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT, une structure juridique de droit européen), Strasbourg et ses partenaires veulent créer la première université s’étendant sur trois pays.
Le réseau Eucor et ses sept universités du Rhin Supérieur – le territoire englobant l’Alsace, une partie du Bade Wurtemberg, du Palatinat et du Nord de la Suisse – existe depuis 25 ans. En 2000, il s’est doté d’un bureau de coordination à Strasbourg. Et en mai 2016, il a inauguré officiellement ce « campus » d’un nouveau genre dans la capitale européenne : ni une fusion, ni construction de nouveaux locaux. Le directeur du bureau de coordination, Janosch Nieden, explique :
« Cette structure bâtit les conditions pour créer un campus unique, favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants chercheurs, être davantage visible à l’international, et offrir des carrières transfrontalières et européennes à nos étudiants. »
Le directeur explique qu’il fallait une structure unique pour simplifier le travail entre les universités, en inscrivant dans la durée les liens entre ses différentes entités. Cela permet justement d’abolir les obstacles administratifs. Surtout, le GECT solidifie le réseau et lui permet de bénéficier des fonds européens.
Il est financé par le programme « Interreg VA Rhin Supérieur », à hauteur de 5,5 millions d’euros sur trois ans, grâce au Fonds européen de développement économique et régional (Feder) de l’Union Européenne. Cette structure lui permet à la fois de déposer des projets au niveau communautaire, mais aussi auprès des agences nationales de recherche, une procédure jusque là inédite.
Faciliter la mobilité des étudiants et des enseignants
Les principaux bénéficiaires de cette mutualisation seront les étudiants, selon les promoteurs d’Eucor. Le campus européen doit leur simplifier le parcours académique : jusqu’à maintenant, il était possible pour un étudiant de ces universités de s’inscrire et de suivre des cours dans un établissement partenaire, mais il s’agissait de relations bilatérales et les initiatives reposaient sur l’étudiant.
L’objectif est que les étudiants puissent prendre des cours où ils veulent, avec inscription, suivi et reconnaissance des validations automatiques, même si Janosch Nieden admet que cela constitue encore un défi :
« Il faudra mettre en place des procédures simplifiées et pour cela mettre d’accord les universités sur une marche à suivre unique, ce qui n’est pas sans difficulté. »
Des problèmes que pointent également les étudiants. Ainsi l’Association Fédérative Générale des Etudiants de Strasbourg (AFGES) regrette que l’on soit encore loin d’une intégration totale du parcours de l’étudiant. Le Président Tommy Veyrat, précise :
« En réalité, les étudiants en mobilité dans l’Eucor sont sous statut Erasmus : il n’y a pas de statut « mobilité EUCOR » ni de système d’aides à la mobilité. »
15 parcours bi ou tri-nationaux
Pourtant, « The European Campus » compte renforcer la politique de doubles diplômes déjà bien engagée dans la grande région des cinq universités. L’Unistra propose déjà 15 parcours bi-ou trinationaux dans le cadre d’Eucor, comme le master de journalisme franco-allemand entre Strasbourg et Fribourg.
Plus au sud, la licence transfrontalière en chimie Regio Chimica forme des chimistes entre Mulhouse et Fribourg depuis septembre 2010. Le nouveau campus veut maintenir les cursus existants, et favoriser le développement de nouveaux parcours. L’objectif, au bout du chemin, est d’assurer une insertion professionnelle dans les carrières transfrontalières et internationales.
Une nécessité, pour l’AFGES, qui considère que le nombre de double cursus est faible et trop concentré :
« L’Unistra avance un fort nombre de cursus bi-nationaux, mais la réalité est plus nuancée : ils ne touchent que très peu d’étudiants, et majoritairement dans les domaines scientifiques. Comme d’habitude, les humanités et les sciences sociales restent les parents pauvres des échanges internationaux. Et puis sur 70 mentions de licence et 250 mentions de Master à l’Unistra, c’est finalement très peu, compte tenu de la richesse académique des 5 universités. Le Campus Européen, à l’instar du programme Erasmus à sa création, doit servir à une véritable démocratisation des échanges internationaux académiques, culturels et sociaux. »
Tous les équipements en commun
En attendant, le quotidien des étudiants allemands, français et suisses concernés sera simplifié : le campus unique leur permettra de bénéficier de tous les équipements comme s’ils étaient les leurs. Qu’il s’agisse des bibliothèques, restaurants universitaires ou résidences étudiantes, l’accès sera libre sur chaque site du campus européen pour tous les étudiants en faisant partie.
Comme toute université, ce campus trinational veut proposer à ses étudiants des activités extra académiques. En témoigne le Tour Eucor, un parcours cycliste qui relie depuis 1998 les cinq universités, dont les étudiants et anciens sont invités à rouler ensemble dans une ambiance franco-germano-suisse, ou encore la « Grande école d’été » à venir, interdisciplinaire et internationale, accueillant même des étudiants au-delà de la région transfrontalière.
C’est ainsi que les promoteurs d’Eucor veulent instiller une identité européenne commune pour maintenir la dynamique du campus européen. La vie étudiante au sein de ce grand campus est aussi à améliorer, à en croire Tommy Veyrat :
« Nous souhaitons la création d’un système d’aide sociale à la mobilité dans le Campus Européen, et d’autres événements transnationaux tels que le tour Eucor, pour créer une vraie communauté transfrontalière. »
De l’autre côté du pupitre, ce campus d’un genre nouveau devrait simplifier le recrutement d’enseignants chercheurs. Il arrive qu’un professeur soit employé par plusieurs universités du réseau. L’objectif est maintenant de passer par un seul recrutement, et de faciliter par là la mobilité de l’enseignant sur les différents sites. Les enseignants aussi bénéficieront des équipements et des ressources communs.
Proposer le meilleur de l’offre académique européenne
Surtout, l’ampleur de la structure va permettre une meilleure visibilité au niveau international. Avec plus de 115 000 étudiants, 15 000 chercheurs, 11 000 doctorants et un budget de 2,3 milliards d’euros, le Campus Européen se met au niveau de grands centres universitaires. Janosch Nieden ose : « comme Paris, Berlin ou même Boston ».
Un objectif nécessaire, selon les présidents d’universités, pour attirer les meilleurs talents, chercheurs et étudiants.
Mais c’est aussi là que le bât blesse, d’après l’AFGES. Eucor souffrirait d’un réel manque de visibilité et d’information, déjà auprès du premier public concerné, soulève Tommy Veyrat :
« Il manque une véritable communication autour des formations et échanges proposés (trop peu d’étudiants sont au courant) et des dispositifs d’insertion professionnelle transfrontaliers (possibilités de faire des stages dans une autre ville du Campus Européen par exemple). »
L’Europe pour et par les étudiants
Au-delà de l’aspect académique, le campus européen serait une nouvelle manière de développer la construction européenne. L’AFGES soulève sa singularité :
« Eucor, c’est de la coopération transfrontalière très concrète, et ça a un côté très européen de penser l’enseignement supérieur pas seulement de manière internationale, mais de manière transfrontalière. C’est pour ça que le Campus Européen constitue une réelle avancée : en rendant plus étroit la coopération, on va pouvoir enfin faire participer les étudiant-e-s à cet espace trinational, à la construction européenne. »
En ce sens, le Campus Européen a ramené à la vie le Conseil Etudiant d’Eucor, pour permettre un retour des premiers concernés et les faire participer au développement du réseau. Tommy Veyrat avance même :
« L’objectif à terme sera de permettre au Conseil Etudiant d’avoir une voix délibérative aux côté des Universités membres. »
Malgré tout, la fédération étudiante, qui se dit « européiste », salue l’étape du Campus Européen :
« En somme, [il] renforcera la coopération, et par là même les opportunités pour les étudiants et les chercheurs et chercheuses. Du moins on l’espère et on y contribuera. »
Verdict dès la rentrée, les étudiants les plus volontaires devraient rapidement mettre à l’épreuve ces engagements.
Chargement des commentaires…