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Rue du faisan, le calvaire d’habitants intoxiqués et délogés

Douze habitants du centre-ville de Strasbourg ont respiré du monoxyde de carbone pendant des mois à des doses dangereuses. Mais entre la vétusté des appartements et les postures des parties prenantes, la situation est bloquée. En l’absence de travaux, les locataires ont été délogés sans savoir quand ils pourront réintégrer leurs appartements.

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Douze locataires, répartis dans trois appartements, rue du faisan en plein centre-ville, pensaient qu’habiter un appartement ancien était le bon plan pour vivre au cœur de Strasbourg pour peu cher. Dans une partie de l’immeuble, logeaient un couple avec un enfant, des jeunes travailleurs ou étudiants. Mais depuis le 1er août, tout ce petit monde ne peut plus y habiter. La faute à la présence de monoxyde de carbone (CO) dans leurs habitations, un gaz invisible et inodore très dangereux pour la santé au-delà de certaines concentrations.

Le premier signalement remonte à août 2014. Les habitants sentent le charbon et la fumée qui venait du restaurant La Pampa au rez-de-chaussée. Cet établissement a remplacé le Tiger Wok et ses spécialités asiatiques en 2013. Il propose des grillades au feu de bois, un concept traditionnel argentin.

Les appartements et le fonds de commerce du restaurant appartiennent au même propriétaire, la SCI Investim de Jean-Claude Bintz, gérée dans les faits par son fils par Daniel Bintz, co-actionnaire. Il se trouve être le président de la Fédération nationale des agences immobilières (FNAIM). Son agence professionnelle, Habitat et Humanisme, a pour vocation de gérer un parc immobilier privé à destination des personnes fragilisées.

De premiers travaux inefficaces

Après plusieurs démarches des locataires auprès de leur agence, du propriétaire, du restaurant et du service Hygiène et Santé de la Ville de Strasbourg, les choses rentrent dans l’ordre au printemps 2015 (voir chronologie). Les riverains, pensent qu’il s’agit de la fin d’un événement tendu – des courriers d’avocats sont tout de même échangés – mais finalement réglé. Le restaurant avait d’abord procédé à des modifications de sa chaudière.

Largement insuffisant, les concentration de CO restaient trop élevées. Puis « on a changé deux chaudières et une aspiration dans les combles », se rappelle Daniel Bintz, comme lui demandait un premier arrêté municipal en mars.

Mais en novembre 2015, les nuisances olfactives reviennent, de nouveau cette odeur de charbon. Cependant, les concentrations de gaz CO sont en-dessous des valeurs limites cette fois. Depuis l’été, d’autres travaux ont été réalisés par le propriétaire comme au niveau des ventilations. Tout s’envenime en mai 2016, lorsqu’une habitante est prise de vertiges, un des symptômes de la présence de monoxyde de carbone.

Une nouvelle enquête est réalisée par les services de la Ville, qui détectent à nouveau des mesures trop élevées. Le service a eu la bonne idée de se déplacer pour la première fois aux heures d’ouverture du restaurant. Dans son rapport d’enquête, les services d’hygiène mettent en avant que les pics sont corrélés aux heures d’accueil des clients.

Plus de monoxyde lors des services

Le 15 juin, un pic de monoxyde entre 12h et 15h, puis qui redémarre vers 18h. (extrait du rapport d’enquête des services hygiène et santé de la ville)
Le 14 juin, détail de la concentration de monoxyde entre midi et 14h. (extrait du rapport d’enquête des services hygiène et santé de la ville)
Le 25 juin, un pic de monoxyde à partir de 20h30 jusqu’à environ minuit. (extrait du rapport d’enquête des services hygiène et santé de la ville)

Pas d’action du propriétaire, une fermeture en juillet

Un arrêté municipal pris le 1er juillet, exige des mesures urgentes et plus radicales que par le passé : l’installation de détecteurs et déclencheurs d’alarme sous une semaine et de diagnostics sous un mois pour le bailleur. Si les excès continuent, il a obligation de reloger ses habitants. Le restaurant effectue le test d’étanchéité demandé sous une semaine, mais le propriétaire estime avoir déjà effectué beaucoup de travaux sans que la situation ne s’améliore.

Il ne suit pas l’arrêté et demande une expertise judiciaire en référé pour établir clairement ce qui provoque ces dépassements. Expertise qui dure et qui est toujours en cours car l’expert nommé par le tribunal demande l’aide d’un sapiteur, c’est-à-dire une aide technique évoluée. Le propriétaire demande aussi l’arrêt provisoire du restaurant, ce qui lui est refusé par la Justice. Les locataires ne sont pas informés de cette passe d’armes judiciaire et ne peuvent se constituer partie prenante à temps. Des recours contre les entreprises qui ont effectués les travaux par le passé contribuent à allonger les délais.

Sous les allures de petite rue tranquille, une vie cauchemardesque (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Sans surprise, les concentrations sont de nouveau dépassées lors d’un nouveau contrôle le 12 juillet en soirée (jusqu’à 604 PPM détectés). Par mesure d’urgence, le restaurant est fermé une semaine via un troisième arrêté municipal. Résultat, les ex-habitants font les frais de cet immobilisme. Ils ne peuvent plus habiter rue du faisan jusqu’à nouvel ordre. L’appartement est sous scellé depuis le 1er août, date de la réouverture du restaurant après ses congés d’été. L’accès est possible les mardis et jeudis de 8h à 11h, « quand on travaille » regrette une habitante.

Quatre personnes relogées, les autres pris en charge par la Ville

Le couple avec leur enfant et une troisième personne sont relogés dans deux autres appartements, plus petits, de la SCI Investim. Ils continuent de payer leur loyer au même prix « et il faut compter des petits frais en plus comme des machines à laver, avoir deux contrats d’électricité ou d’internet », relève une personne relogée.

Pour les autres, la Ville de Strasbourg s’est substituée au propriétaire et les redirige vers le Centre communal d’action sociale (CCAS). Concrètement, les neuf personnes non-relogées sont baladées dans des Appart’hotel parfois à la Meinau, au musée d’art moderne ou au boulevard de Nancy à la petite semaine. Ils ne paient plus de loyer et la Ville avance ces frais, en attendant que le contentieux soit réglé avec le propriétaire, qui pourrait se retrouver à rembourses ces sommes. En revanche, cela entraîne de longues pertes de temps (il faut par exemple se présenter toutes les semaines au CCAS) qui pèsent sur la vie personnelle et professionnelle.

Du côté du restaurant, les fermetures temporaires et les travaux qu’il a payés l’ont contraint à licencier du personnel et de n’ouvrir que les soirs désormais. L’établissement est en redressement judiciaire, ce qui a pour conséquences que le loyer n’est plus versé au propriétaire. Complication supplémentaire, la société attaque son propriétaire pour pertes d’exploitations, car elle estime que ce sont des travaux insuffisants qui ont causé les nouveaux arrêtés et donc les fermetures.

L’arreté du 1er juillet dont les exigences ne sont pas levées

Incompréhension générale

Plus de trois mois plus tard, un habitant ne comprend pas le décalage entre la situation constatée et l’arrêté toujours en vigueur :

« On a l’impression que la Ville a privilégié l’activité économique du restaurant à notre santé. Une fermeture aurait été couverte par des assurances. L’arrêté dit que les sources sont multiples, alors que les relevés montrent que c’est aux heures d’ouverture du restaurant que le taux de monoxyde augmente. On remarquait bien que selon la fréquentation du restaurant, les dégagements étaient plus ou moins importants. D’ailleurs, nous sommes autorisés à y retourner le matin, quand le restaurant est fermé. »

Les assurances n’ont pas compensé les pertes déjà subies, car il ne s’agit pas d’un sinistre, mais d’un défaut du bâtiment. Concernant l’origine des gaz toxiques, appréciation différente pour la responsable du service Hygiène et Santé de la Ville de Strasbourg, Pascale Rouillard-Neau, qui avance une certaine prudence nécessaire avant d’exiger la fermeture du restaurant :

« L’arrêté du 1er juillet exigeait des diagnostics et travaux supplémentaires qui n’ont pas été faits par le propriétaire. Nous avons donc pris une mesure d’urgence (le 13 juillet ndlr) pour protéger la santé des habitants. La situation ne nous permet pas de mettre en cause directement la hotte ou le restaurant dans la production du monoxyde. D’autres éléments, comme les équipements du bâtiment, qui est ancien, nous laissent penser qu’il y a plusieurs raisons à ce dépassement des limites. Dès que l’expertise sera rendue, et notre avocat a sensibilisé le tribunal sur l’urgence de la situation, la Ville pourra prendre les décisions adaptées. »

Le rapport d’enquête pointe notamment le défaut d’étanchéité d’un conduit de fumées de la chaudière gaz atmosphérique du logement au 1er étage. Les investigation de juin concluent aussi qu’un réseau de gaines technique dans les étages favorise la diffusion des produits polluants. Des fissures ou des câbles apparents dans les parties communes et les sous-sols que nous avons vus attestent d’une vétusté generale de l’immeuble.

Des arguments bien rôdés

Daniel Bintz, qui regrette que « les ordonnateurs ne soient pas les payeurs » espère qu’en parallèle des procédures lancées, une solution soit possible :

« Il faut être raisonnable et que l’on trouve une solution provisoire avec une cuisson au gaz. Je n’ai eu aucun contrôle sur le type de cuisine du restaurant. C’est un bail commercial qui a été renouvelé en 2012 par le Tiger Wok et repris par la Pampa. »

Changer une cuisine nécessiterait nouveaux travaux. La directrice de la Pampa, Viviana Schrenck préfère rester prudente dans son expression en raison des affaires judiciaires en cours, mais s’estime victime de la situation « comme les locataires » :

« J’attends avec impatience que les expertises de la Justice pour le bien de tous. La situation dure depuis 22 mois et met en péril notre activité. Moi, j’ai respecté tous les arrêtés de la Ville et payé tout ce qu’on me demandait. Quelle sont les garanties que malgré les travaux du propriétaire, le bâtiment est en conformité ? Du monoxyde a été détecté le dimanche quand le restaurant est fermé. Il y a même eu une expertise par le tribunal de Colmar. Si nous étions la seule cause des dégats, la Ville aurait suspendu l’activité. »

Fait rare, les locataires, le restaurant comme le propriétaire se sont tous réjouis d’une médiatisation de la situation en espérant que cela débloque l’impasse actuelle. Des élus ont également été contactés. Mais comme pour l’expertise judiciaire, personne n’espère le même résultat.


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