Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À Bruxelles, Strasbourg lance sa campagne pour le siège du Parlement

« Bruxelles rime avec technocratie. Strasbourg avec démocratie ». C’est avec ce slogan osé et cette interprétation très strasbourgeoise de l’art de la rime que la capitale européenne veut convaincre qu’elle est la seule ville légitime à accueillir le Parlement européen. Et pour la première fois, elle égratigne un peu Bruxelles. Les futurs travaux sur le site bruxellois sont une aubaine pour parer l’argument des coûts.

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Catherine Trautmann semblait un peu seule face aux quelques soutiens et journalistes (capture d’écran du direct vidéo)

Où en est la défense du siège strasbourgeois du Parlement européen ? Cet été, elle donnait l’impression de vouloir se consoler avec un hypothétique « Parlement de la zone euro », dont l’idée était revenue après la crise grecque. Même le ministre de l’Économie Emmanuel Macron (PS) s’y était dit favorable sous les hourras de la classe politique locale socialiste et de « Les Républicains ».

Ce mercredi 21 octobre à Bruxelles, Catherine Trautmann (PS), ancienne maire de Strasbourg et députée européenne, aujourd’hui à la tête de la « Task Force » pour défendre le siège strasbourgeois a présenté les arguments pour la capitale alsacienne lors d’une conférence de presse. Cette fois-ci, finies les initiatives personnelles des uns et des autres ou les communiqués pour simplement dire que la Task-Force « s’est réunie ».

Fini aussi de dire que les votes contre Strasbourg ne sont que la faute des eurosceptiques, quand plus de 545 sur 751 ont voté un texte défavorable au siège strasbourgeois, un rapport de force qui n’a cessé d’empirer. La campagne s’articule autour de deux arguments : rationaliser les coûts et renforcer le rôle du Parlement, à l’influence en déclin.

L’opportunité des travaux

Fin septembre, la version européenne du site d’informations américain Politico révèle que l’administration du site bruxellois envisage des travaux de rénovation et d’agrandissement, qui prévoit notamment la construction de 750 nouveaux bureaux. L’occasion est trop belle. L’argument principal des pro-Bruxelles était d’arrêter les coûts des allers-retours (estimés de 50 million à 200 millions d’euros selon que l’on soit pour ou contre Strasbourg) entre Bruxelles et Strasbourg.

Pour Catherine Trautmann, la solution est toute trouvée. On regroupe tout à Strasbourg et la Commission européenne, qui cherche de nouveaux locaux et songe à acheter en périphérie de Bruxelles où l’immobilier est moins cher qu’au centre, pourrait investir le bien-nommé bâtiment du « Caprice des Dieux ». L’ancienne ministre de la Culture avance que l’immobilier est 30% moins cher à Strasbourg, un levier pour réaliser des économies. Le futur quartier d’affaires du Wacken a de son côté réservé 30 000 m² pour les institutions européennes, si elles le souhaitent.

Renforcer le rôle du Parlement

Autre axe de la campagne, redonner du poids politique à l’institution. Le traité de Lisbonne devait renforcer le Parlement avec un droit de vie ou de mort sur la Commission, mais a surtout donné une grande puissance aux 28 chefs d’État au sein du Conseil européen et dilué le pouvoir des eurodéputés. Pour Catherine Trautmann, l’hémicycle strasbourgeois est devenu « une chambre d’enregistrement ». Environ 2 500 actes réglementaires et une cinquantaine de directives lui échappent. D’autres textes sont à peine débattus.

Dans l’assemblée, un journaliste n’est pas convaincu :

« Je comprends qu’il faut repenser le fonctionnement de la démocratie européenne, mais je ne vois pas en quoi le fait d’être à Strasbourg change quoi que ce soit… »

Pour Catherine Trautmann, l’éloignement géographique renforce l’indépendance de l’institution :

« Quand les chefs d’État viennent à Bruxelles, ils vont voir la Commission, puis le Conseil européen et enfin le Parlement. Avoir sa propre ville permet d’affirmer l’identité du Parlement. »

Toujours selon l’ancienne députée européenne, se regrouper à Strasbourg permettra aussi de tenir les lobbyistes à distance pour mieux défendre les citoyens. Les opposants pensent qu’au contraire seuls les lobbys les plus puissants peuvent payer le déplacement à leurs salariés à Strasbourg. Le quartier d’affaires au Wacken pourrait aussi être investis par ceux qui en ont les moyens.

Une image de capitale auto-proclamée de la démocratie écornée

Les votes du Parlement correspondent souvent à de subtiles alliances politiques et diplomatiques, auxquelles les partis européens et chefs d’État participent. Le seul exemple marquant où l’institution avait affirmé son indépendance était lors d’un vote contre le traité ACTA après une mobilisation de la société civile en 2012.

Convaincre les européens en jouant la carte de la démocratie à Strasbourg s’annonce risqué. Entre les consulats géants de Chine et de Turquie à quelques pas des institutions, ou la venue du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan à Strasbourg, ce à quoi le maire de Bruxelles avait lui réussi à s’opposer, la ville à quelque peu écorné son image de capitale auto-proclamée de la démocratie.

Les changements de fonctionnement proposés par la Task Force ne nécessiteraient pas une modification des traités européens, puisqu’ils fixent le siège du Parlement à Strasbourg, contrairement à un regroupement à Bruxelles. Changer de traité nécessiterait l’accord de tous les pays, une opération périlleuse.

Strasbourg contre-attaque sur Bruxelles

Autre nouveauté, jusqu’ici les pro-Strasbourg n’avaient jamais répondu aux attaques directes contre la capitale alsacienne, jugée comme trop provinciale ou mal desservie. Cette fois, Strasbourg tacle à son tour la capitale belge :

« Le terme «bruxellisation » a fait son entrée dans le dictionnaire pour définir le “pourrissement d’immeubles d’habitations en vue de les transformer en espaces de bureaux”. »

Catherine Trautmann a aussi expliqué qu’elle a passé 50 minutes dans les embouteillages à Bruxelles récemment. La vice-présidente de l’Eurométropole, comme la plaquette d’information, insistent sur un meilleur cadre de vie à Strasbourg.

Concernant les hôtels, souvent fustigés pour leurs prix plus élevés qu’à Bruxelles lors des sessions, la plaquette avance la création de nouvelles chambres, ce qui impliquera une réduction des prix . Le secteur hôtelier s’est toujours montré réticent à baisser ses tarifs quand bien même certains parlementaires et leurs assistants choisissent désormais l’Allemagne. Si le Parlement est à plein temps à Strasbourg, il semble peu probable que les députés et leurs assistants se logent à l’hôtel.

Où sont passés les millions d’euros pour le tram direct gare-institutions ?

La Task Force propose enfin de mieux connecter Strasbourg aux sept aéroports à moins de deux heures de vol (Amsterdam, Francfort, Paris, Stuttgart, Zurich et Bâle-Mulhouse) et un temps de voyage raccourci en TGV grâce à l’extension de la ligne à grande vitesse vers Paris (1h50 contre 2h20 à partir d’avril). Elle ajoute qu’une navette TER relie l’aéroport à la gare en 9 minutes. Mais la gare n’a toujours pas sa ligne directe vers les institutions, contrairement au métro bruxellois.

Ce projet doit être pourtant financé par le contrat triennal entre l’État et les collectivités alsaciennes. Lors d’un déjeuner de presse en janvier Catherine Trautmann se voulait rassurante en affirmant que les sommes prévues n’étaient pas toujours dépensées jusqu’alors et que cette fois-ci ce serait le cas. La version 2015-2017, à la baisse, prévoit 16 millions d’euros pour une ligne directe, mais est liée à l’extension de 1,4 kilomètre du tram vers la Robertsau. Or à l’Eurométropole, toute extension du réseau de tram n’est plus d’actualité et reste suspendue aux débats d’arbitrages budgétaires qui durent plus longtemps que prévu.

La campagne du siège ne fait que commencer.

Aller plus loin

Sur TheSeat.info : les arguments de la campagne The Seat

Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur la bataille du siège


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